Deux semaines après l’envoi d’une lettre au général Mediene, Rab Dzayer, un qualificatif qu’il s’est donné lui-même en 1999, par Hocine Malti, le destinataire ne juge pas nécessaire de répondre. Et pour cause ! La transparence n’est pas la marque de fabrique de la maison. En plus, à qui va-t-il rendre des comptes ? Au peuple algérien qu’ils ont réduit depuis l’indépendance à un statut subalterne. Surement pas ! De son côté, le peuple algérien, après moult désillusions, ne doit pas attendre non plus grand-chose. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que depuis deux décennies le peuple s’est résigné lui aussi. Frôlant la pusillanimité, il accepte la répartition suivante des rôles : les milliards de dollars pour les dirigeants et la misère pour lui.
Quoi qu’il en soit, malgré la fatalité, faut-il que tous les Algériens baissent les bras ? En tout cas, les hommes de principes, à l’instar de Hocine Malti, n’abdiquent pas. Bien que certaines réactions, dans la presse écrite ou sur le net, tentent de discréditer l’initiative de Hocine Malti en l’inscrivant dans le cadre de la lutte des clans au sein du pouvoir, il n’en reste pas moins que sa portée dépasse largement ce qu’on lui prête. D’une façon générale, sans prendre parti pour tel ou tel clan, Hocine Malti dénonce tout bonnement, au moins dans cinq lettres ouvertes aux chefs, dont une au président de la République en 2005, le pillage organisé des richesses nationales. En fait, l’aisance financière dont dispose l’Algérie donne lieu à des détournements colossaux. Bien que la perception des commissions ait été inaugurée en même temps que l’instauration de la dictature en Algérie, l’augmentation vertigineuse des prix du pétrole depuis les années 2000 rend cette pratique incontrôlable.
Par conséquent, profitant de cette aubaine, « certains hommes clés du pouvoir algérien, à savoir le réseau de commissionnement et les dessous de table perçus dans le cadre des contrats de vente du pétrole et de gaz », pour reprendre Hocine Malti, se gavent sans scrupules. C’est comme si cette rente, acquise grâce aux sacrifices des meilleurs fils d’Algérie entre 1954 et 1962, leur revenait, à eux seuls, de droit. Et si l’on doit retenir un enseignement dans la démarche de Hocine Malti, ce sera celui de la dénonciation de la voracité des dirigeants impliqués dans les détournements des biens de tous les Algériens. Au lieu de manifester la même colère pour exiger de l’ordre dans la maison Algérie, certains doutent de la sincérité du consciencieux Hocine Malti. Et pourtant, cette dernière lettre ouverte, adressée à Rab Edzayer, est la suite des lettres de janvier 2010 et de décembre 2012. En fait, il y a trois ans, les services secrets ont ouvert une enquête sur les malversations au sein de la société nationale des hydrocarbures, la Sonatrach.
Néanmoins, bien que cette volonté puisse s’apparenter à une prise de conscience des enquêteurs, force est de reconnaitre que l’investigation ne concerne que des affaires mineures. « Ces affaires que vous avez mise au jour concernent des marchés d’importance secondaire », écrit Hocine Malti aux enquêteurs du DRS en janvier 2010. Pour lui, s’il y avait une volonté de juguler le phénomène de corruption, ils devraient s’intéresser aux ventes de pétrole par la Sonatrach. C’est là que les pertes pour l’Algérie se chiffrent en milliards de dollars. Car, jusque-là, les affaires traitées ne concernent que des contrats dont les sommes, d’après Hocine Malti, varient entre quelques dizaines de milliers et quelques centaines de milliers de dollars.
En outre, constate-t-il, bien que l’enquête soit ouverte soi-disant sur instruction du président de la République, il n’en demeure pas moins que les personnes impliquées font partie du clan présidentiel. Cela révèle en tout cas les rivalités au sommet de l’État. « Jusqu’à quand l’Algérie restera-t-elle prisonnière de ces combats de coqs et de ces relations incestueuses entre hommes assoiffés de pouvoir et leurs affairistes », s’interroge-t-il.
Cependant, après le lancement de la nouvelle enquête le 10 février 2013 par le parquet d’Alger, Hocine Malti choisit alors de s’adresser carrément à l’homme le plus puissant de l’Algérie, le général Mohamed Mediene. Doutant du courage des magistrats algériens à aller jusqu’au bout de l’affaire, Hocine Malti interpelle Rab Dzayer pour qu’il dise « où se situe la limite que les magistrats ne peuvent pas franchir ». « S’ils ont déclenché cette nouvelle enquête, c’est que vous, Rab Dzayer, avez donné votre feu vert. Est-ce un feu net, éclatant et permanent que vous avez donné ou est-il furtif, délavé et clignotant ? Est-ce que les magistrats en charge de l’affaire pourront lancer toutes les investigations nécessaires, …, procéder aux perquisitions adéquates, faire défiler devant les enquêteurs puis à la barre toute personne impliquée de près ou de loin à ce dossier », se demande Hocine Malti.
Hélas, dans un système bridé comme celui qui est imposé à l’Algérie, il est peu probable que des hommes du premier plan soient inquiétés par la justice. En tout cas, peut-être dans celle de l’au-delà, mais pas sur la justice algérienne. En effet, à moins que cela relève du miracle, il est difficile d’imaginer que « des généraux ou généraux-majors, certains ministres, certains hommes d’affaires véreux, certaines personnes qui évoluent dans la coupole dont vous êtes le point culminant [sous entendant le général Mediene] ainsi que certains membres d’une certaine fratrie » soient déférés devant la justice.
En somme, il est peu probable que le pays soit moralisé, alors que depuis 50 ans le régime fait tout pour faire perdre à l’Algérie tous ses repères. Néanmoins, la balle est désormais dans le camp du peuple. S’il ne veut pas que le sang des Chouhadas ne soit versé pour rien, le peuple doit reprendre l’initiative. Dans le cas contraire, bien que les scandales s’enchainent, ce régime va encore perdurer. En tout cas, ce n’est pas ce énième scandale qui va les gêner. Mais il peut être le point de départ d’une mobilisation pacifique en vue d’un changement de régime. Lequel nouveau régime devra être construit sur de nouvelles bases, notamment la séparation des pouvoirs. Ainsi, il n’y aura plus de Rab Dzayer ni de super citoyen. Tout responsable devra recevoir son mandat du peuple et rendra des comptes à n’importe quel moment de son action. Pour ce faire, l’Algérie a besoin de plusieurs Hocine Malti.
Boubekeur Ait Benali
2 mars 2013