Réhabiliter ensemble la fonction noble du politique, la construction de solutions de paix et de mieux-être, acceptables et vivables pour la majorité
Né en 1928 à Larbaâ-Nath- Irathen-(ex Fort National), Algérie. Ecole primaire à Berrouaghia, secondaire à Médéa, Blida et Ben Aknoun. Etudiant de 1946 à 1953 à l'Université d'Alger. Médecin praticien et chercheur en sciences médicales jusqu’en 1955 puis entre 1963 et 1965. Responsable des SMA (Scouts musulmans algériens) dans la Mitidja de 1943 à 1946, militant du PPA en 1944 et responsable de la section universitaire de ce parti en 1948. L’un des trois rédacteurs, au sein du PPA en 1949, de la plate-forme démocratique “L’Algérie libre vivra”. Quitte le PPA après la crise dite faussement berbériste dont il a été un des acteurs. Membre du bureau de l’AEMAN (Association des étudiants musulmans de l’Afrique du Nord) durant plusieurs années et président en 1950, avant son adhésion à la base du PCA en 1951. Membre du CC de ce parti en 1952 et du BP en 1955. Directeur de la revue Progrès en 1953-54 et conseiller général d'El Harrach et Est Mitidja en 1955. Pendant la guerre d’indépendance, clandestin à partir de décembre 1955, condamné aux travaux forcés par contumace, responsable national-adjoint de l’organisation armée “Combattants de la Libération”. Avec Bachir Hadj Ali en avril-juin 1956, il négocie et organise avec les dirigeants du FLN (Abbane et Benkhedda) l’intégration de cette formation dans l’ALN. Après l’indépendance, membre du secrétariat du PCA (interdit dès 1962, sous Ben Bella). Coordinateur de son appareil clandestin pendant “l’occultation” officielle du PCA après la Charte socialiste d’Alger (1964). Suite au coup d’Etat de Boumediène (juin 1965), nouvelle clandestinité pendant 24 ans. Membre de l’ORP (Organisation de la résistance populaire) durant les quelques mois de son existence, puis l’un des fondateurs et premier secrétaire du PAGS (Parti de l’avant-garde socialiste) à partir de 1966. Revenu à la vie légale en 1989, il se dégage en 1991 de toute activité de parti. De 1993 à 1997, entreprend des travaux comme enseignant associé et doctorant en géopolitique auprès du CRAG (Centre de recherches et d’analyses géopolitiques à l’Université de Paris VIII). Auteur de plusieurs publications notamment dans la revue Hérodote, communications à des journées d'études et colloques, articles dans la presse algérienne et internationale, ouvrages en préparation sur les évolutions du mouvement national et social algérien, à commencer par la crise du PPA de 1949.
SADEK HADJERÈS est passé du statut de mythe à celui de pestiféré en l’espace d’un congrès. Ce médecin biologiste a dû très tôt sacrifier son travail pour se consacrer entièrement au Parti communiste algérien. En cette année 1952 où il adhère au PCA, il a déjà des années de militantisme derrière lui. Depuis 1943, il est tour à tour responsable scout, puis leader étudiant, militant du PPA, se trouvant toujours là où les choses vont basculer. En 1949, il fait partie de ce trio irrédentiste de lycéens de Ben Aknoun qui rédige la plate-forme démocratique “L’Algérie libre vivra”. Ce texte doublement rebelle (à l’autoritarisme arbitraire du PPA et aux fondements du nationalisme messianique) provoquera ce qui est entré dans l’histoire sous le nom de crise berbéromarxiste. L’affaire se solde par le départ de Sadek Hadjerès, et d’autres militants du PPA, vers le PCA, dont ils renforcent le processus d’”algérianisation” entamé au milieu des années 1940. Avec, notamment, Bachir Hadj Ali, il mène le Parti communiste aux positions indépendantistes sans équivoque. Ils dirigent le parti et les “Combattants de la liberté”, groupes de résistance communistes. Aux côtés de Bachir Hadj Ali, il négocie avec Abane Ramdane et Benyoucef Benkhedda l’intégration des combattants communistes dans l’ALN. Un principe déjà, qui va servir ultérieurement : garder l’indépendance et la spécificité du Parti communiste, non dissoluble dans le nationalisme, fut-il révolutionnaire. Préserver l’autonomie et la spécificité du Parti communiste restera la ligne de conduite de Sadek Hadjerès. A l’indépendance, Sadek Hadjerès reprend son travail de médecin mais le sort fait par le pouvoir d’Ahmed Ben Bella au PCA va requérir toute son attention. Cette sorte d’attitude ambiguë, quelque chose qui ressemblerait à un ni guerre ni paix, va finir par exercer, à l’intérieur même du PCA, une sorte d’attraction pour la fusion des communistes dans le parti nationaliste. Avec ses camarades, Sadek Hadjerès résiste aux pressions répétées du FLN visant à dissoudre le PCA dont il reste le coordinateur de l’appareil organique clandestin. Celui-ci conserve le lien y compris avec la partie des communistes intégrés au FLN pour une illusion de “rénovation” avortée avant même le grand basculement : le coup d’Etat de Boumediene. Des responsables communistes se joignent à des militants de la gauche du FLN (Mohammed Harbi, Hocine Zehouane) qui ont créé, un peu hâtivement sans doute, l’ORP. Coup de filet : ils sont tous arrêtés par la sécurité militaire. D’autres responsables du PCA, comme Larbi Bouhali, Henri Alleg, prennent le chemin de l’exil. Dans la plus profonde clandestinité, Sadek Hadjerès se trouve alors le seul membre du secrétariat du PCA en liberté. “J’étais un peu comme un entonnoir : ce qui restait politiquement et organiquement du PCA passait par moi et une poignée d’anciens responsables pour continuer à exister”, ditil à propos de cette période. L’ORP, création spontanée au coup d’Etat, ne tient pas le choc. Le PCA constitue, en 1966, la base et l’armature essentielle du Parti de l’avant-garde socialiste (PAGS), un parti illégal et clandestin qui défend une continuité du mouvement national et social algérien. Le PAGS se donnera comme premier secrétaire Sadek Hadjerès, un dirigeant rodé à la clandestinité. Les premières années Boumediene sont celles d’une grande répression, qui n’empêche pas le PAGS de s’implanter notamment dans les syndicats et à l’université. La conjonction de l’évolution intrinsèque de Boumediene et du contexte international, le rapprochement de l’Algérie d’avec le camp socialiste, détend quelque peu l’attitude du pouvoir vis-à-vis des communistes clandestins. Le jeu de la séduction et de la répression, dans lequel excellait Boumediene, à l’égard de ses oppositions se poursuivra, y compris au début des années 70 lorsque le chef du Conseil de la révolution affiche clairement ses intentions socialisantes. La révolution agraire, la gestion des entreprises, la nationalisation des hydrocarbures, la démocratisation de l’enseignement sont autant de “tâches d’édification nationale” à orientation révolutionnaire qui radicalisent à gauche Boumediene et lui permettent des retrouvailles vigilantes, de part et d’autre, avec le PAGS. Un premier signe de cette détente : la libération des communistes arrêtés en 1965 et la sortie de clandestinité d’un certain nombre d’autres. Pas Sadek Hadjerès. Il reste, lui, plongé dans la clandestinité et les nombreux jeunes qui, par le volontariat et l’UNJA, viendront au PAGS pendant ces annéeslà, perçoivent ce militant dont le nom était connu mais pas le visage, un peu comme une figure mythique. A peine sorti de la clandestinité de la guerre de Libération, le voilà replongé dans une autre clandestinité, donnant au PAGS une aura qui atteint son zénith lors des débats sur la Charte nationale de 1976. Mais Boumediene meurt et l’arrivée de Chadli au pouvoir, perpétuant un système qui n’oscille jamais dans ses fondements mais seulement dans ses expressions superficielles en fonction des tendances du chef du moment, inaugure un tournant à droite et l’exclusivisme dans les appareils du parti unique grâce à l’article 120. Le PAGS, un temps, est dans l’expectative, observant une prudente réserve dès le début de la décennie 1980. Prudence dans l’analyse du Printemps berbère. Même prudence dans l’appréciation des révoltes qui secouent l’Algérie dans les premières années de la décennie chaotique. Prudence déplacée par l’appel à voter “oui” pour la charte de Chadli de 1986, marquant le tournant à droite. Bien sûr, ce que l’on ne savait pas, c’est que le “oui” accordé par le PAGS à Chadli, au grand désarroi de nombre de militants de base, n’était pas le fruit de l’unanimité de sa direction mais une façon de tordre un consensus dans un sens qui n’était pas forcément le sien. L’infiltration de membres des services jusque dans la direction du PAGS a forcément influé sur ses positions, rendues parfois illisibles. La conjonction d’une répression terrible et l’usure de la clandestinité pousse la direction du PAGS à voter son expatriation. Mais l’exil est une clandestinité dans la clandestinité puisque l’hospitalité des “partis frères” des pays socialistes est perturbée par leurs relations avec le FLN. Ils “cachent” le PAGS pour ne pas heurter la susceptibilité du FLN. Sadek Hadjerès a assisté à des congrès de partis communistes des pays de l’Est clandestinement, à deux rangs de la délégation du FLN qui, elle, avait pignon sur rue. Lorsque Sadek Hadjerès revient d’exil en 1989, il met fin ainsi à quelque 35 ans de clandestinité et d’exil cumulés. Il a la soixantaine et a vécu plus de la moitié de sa vie sous de faux noms et à l’étranger. La sortie de clandestinité du PAGS intervient au moment où le Mur de Berlin s’effondre et, avec lui, toutes les convictions communistes frivoles. Dans son affrontement contre le capitalisme, le communisme était supposé avoir perdu la bataille et les redditions commencent à prendre l’allure d’adaptations au sens naturel de l’histoire. C’est dans ce contexte, compliqué par les manœuvres en cours en Algérie pour contrôler le multipartisme de façade que le pouvoir voulait vendre pour une démocratie, que le PAGS est “invité” à participer aux élections municipales de 1990. Pressions, tentatives d’atteinte à l’autonomie du PAGS, manœuvres pour le tracter à des clans de l’armée sont autant de fronts sur lesquels Sadek Hadjerès tente de contrer les responsables d’un appareil politique qu’il connaît à fond et auquel il a indiscutablement imprimé sa marque, voire un style : une réflexion en profondeur, la prudence dans l’analyse, la détermination dans l’action. La tenue du premier congrès légal du PAGS dans le contexte d’une lutte anti-intégriste biaisée a fait que Sadek Hadjerès ne reconnaissait plus les siens. L’icône du PAGS devient, en quelques heures, la bête noire. L’enjeu ? L’autonomie du PAGS par rapport aux centres nerveux de la décision. En 1991, Sadek Hadjerès quitte le parti et le pays, inaugurant un nouvel exil qu’il consacre à la réflexion et à l’analyse. Des générations de communistes algériens ont grandi dans des luttes où son nom était un repère. Ce sont ceux-là qui souhaitaient l’entendre sur certaines questions. Nous n’avons pas pu tout aborder, dans cet entretien. Nous avons essayé de parcourir avec lui 65 ans de militantisme, des étapes historiquement différentes mais abordées, comme on va le voir ici, toujours avec une précision dialectique. En le classant dans la catégorie des “réconciliateurs” (entendre : assujettis à l’intregrisme) on fait à Sadek Hadejrès un mauvais procès. Ses positions sont nettement plus complexes que la vulgate de lutte anti-intégriste primaire dont ses contradicteurs veulent faire un héroïsme et une lucidité. En réalisant cet entretien, on découvre le souci de celui qui fut le premier secrétaire du PAGS de comprendre les phénomènes sociaux et politiques plus qu’idéologiques. Cet héroïsme, qui consiste a aller à contre-courant, et la lucidité de défendre des principes contre des faits de pouvoir ont conduit cet homme autrefois très entouré à une certaine solitude mais une solitude qui le mène à une réflexion qu’aucune désillusion n’arrive à priver de sa fraîcheur. Une solitude qui a pour autre nom : certitude. Celle d’une vie vouée à une seule idée : la justice sociale.
Arezki Metref
1. ÊTRE COMMUNISTE ALGERIEN AUJOURD'HUI
Les législatives viennent d’avoir lieu dans l’indifférence et le scepticisme de la part des électeurs. En tant que communiste, quelle est votre opinion sur ce scrutin et, plus généralement, sur l’étape actuelle que traverse l’Algérie ?
On peut analyser les résultats à deux niveaux. Le premier, celui des constats immédiats, n’apporte rien de neuf. L’ampleur des abstentions aux scrutins bidon n’a jamais échappé à la population et aux observateurs sérieux. Sauf qu’en 2002 et 2007, les statistiques officielles ont commencé à le reconnaître. Il est devenu plus difficile d’afficher les scores triomphalistes comme ceux qui ridiculisent nombre de régimes arabes et africains. D’autant que dans les hautes sphères, les deux principaux courants rivaux à la succession du pouvoir surveillent de près leurs manipulations réciproques. A propos de mœurs électorales, on ne peut que rendre hommage aux leçons de transparence que nous ont administrées nos voisins de Mauritanie et du Mali. Accessoirement, le système des “quotas” va permettre à quelques députés choisis, plus cultivés en politique que d’anciens beni-oui-oui, de donner un semblant de vie à une Assemblée sans pouvoirs réels. On est loin des besoins criants de l’Algérie. Car à un niveau plus profond, reste le vrai problème, les citoyens pour exprimer leur colère et leurs aspirations n’ont eu qu’un seul choix, s’abstenir, répondre par le silence et le mépris. Alors que le but de la libération nationale était de rendre la parole à haute voix au peuple pour garantir la liberté et l’égalité. Les élections en trompe-l’œil, à l’image du système, ont marqué depuis l’indépendance deux étapes aussi négatives et humiliantes l’une que l’autre. Après la crise de l’été 1962, le parti unique a verrouillé la vie politique ; après octobre 1988, la tromperie du pluralisme anti-démocratique a aggravé la crise nationale jusqu’au désastre des années 1990. Aucun des deux modèles n’a apporté ou n’apportera le changement souhaité. Ni le premier dans lequel les décideurs au sommet promettent le miracle lorsque l’un des groupes qui se partagent le pouvoir l’aura emporté sur les autres. Ni le second modèle dans lequel le pluralisme de façade n’a pas libéré une volonté populaire mûrie et constructive mais a libéré deux hégémonismes, tous deux revendiquant le monopole des intérêts du pays et du peuple : les uns estimant que la démocratie est un luxe et un “droit de l’hommisme” et les autres un “koufr” interdit aux musulmans. Enfermé dans le système du parti unique ou du pluralisme falsifié, tout régime est voué aux faux remèdes, aux artifices de gouvernement qui concernent les seuls enjeux de pouvoir et non la solution des problèmes à leur racine. Mais pourquoi aux deux étapes citées, la société et le champ politique n’ont pu imposer leur aspiration à la liberté et à l’égalité, leurs intérêts réels? Parce que, dans leur diversité sociale, politique et culturelle, ils se sont laissés duper et diviser, soit par des jeux et enjeux illusoires de pouvoir, leur dictant des alignements sans principe, soit par des faux clivages de caractère identitaire, habilement entretenus par les pouvoirs en place. Alors que la grande fracture nationale est celle qui s’est instaurée entre la société et ceux qui, déjà dans les faits ou en projet, confondent gouvernement des affaires publiques et domination de la société. L’appel du 1er Novembre 1954 invitait à un effort de synthèse entre aspirations sociales et démocratiques et le socle historique de civilisation et de culture. Les opposer à des fins suspectes n’a finalement donné à l’Algérie ni pratiques démocratiques et sociales, ni l’essor souhaitable de valeurs positives islamiques, arabes, amazighes ou d’ouverture universelle. Les néo-impérialistes peuvent s’en frotter les mains, souhaitons seulement nous réveiller avant que nos inconsciences fassent de nous un nouvel Irak. Arbitré par les rapports de force au sommet et s’appuyant sur l’exploitation des faux clivages, le partage des sièges électoraux laisse à leur détresse aussi bien les familles de victimes du terrorisme que celles des “disparus”, aussi bien les femmes voilées que celles sans foulard, aussi bien ceux qui estiment nécessaire la sécularisation de la scène politique que ceux qui croient à la vertu magique d’un système purement religieux. Les clivages nocifs reculeront seulement si, à partir de toutes les forces saines du pays, organisées ou non, qui ont participé aux élections ou se sont abstenues, émerge une nouvelle logique politique : autonomie envers les manigances de pouvoirs, unité d’action pour la solution des problèmes, éradication des racines objectives de l’oppression et de l’exploitation sociale. Le premier pas est fait depuis longtemps, les citoyens ne croient plus aux faux-semblants. Il leur reste le plus important et le plus difficile : réhabiliter ensemble et dans leur quotidien difficile la fonction noble du politique, la construction de solutions de paix et de mieux-être, acceptables et vivables pour la majorité des nationaux. Dans cette démarche, tous les courants démocratiques et de justice sociale sans exception ont une responsabilité particulière.