S’il y a un jugement péremptoire à faire sur la IVe République française, c’est qu’elle n’a pas eu les moyens de survivre à la guerre d’Algérie. En effet, c’est à partir d’Alger, un certain 13 mai, que les ultras et les militaires de carrière décident d’imposer leurs propres règles de jeu, et ce, bien que le président du Conseil, à Paris, soit légalement investi.
Pour mieux comprendre cette période agitée, qui s’étale du 13 mai au 1er juin 1958, il faudrait remonter au début de la guerre d’Algérie. En fait, tout repose sur un quiproquo. Bien que tous les partis politiques français claironnent que l’Algérie est une partie intégrante de leur territoire, il n’en demeure pas moins que cette terre est historiquement distincte de la France.
Ainsi, malgré la volonté de certains dirigeants français d’aller vers l’assouplissement du système, à l’instar de Pierre-Mendès France, la crise algérienne se résume, selon Michel Winock, dans « la fièvre hexagonale : les grandes crises de 1871 à 1968 », à trois mots : l’impossible décolonisation de l’Algérie.
Mais, pour que cette terre puisse être assimilée à la France, il faudrait –et c’est le moins que l’on puisse dire –que ses habitants soient égaux. Dans le contexte de l’époque, une telle hypothèse est inenvisageable, dans la mesure où tout le système colonial repose sur la domination de sa minorité sur la majorité autochtone.
De la même manière, pour que cette minorité se soumette aux décisions du gouvernement, il faudrait que les institutions soient stables. Or, « face à cette conjoncture algérienne inextricable, le système paraît désarmé. Un mot résume la faiblesse et tout le discrédit qui pèse sur lui : l’instabilité concrétisée par la courte durée des ministères (moins de huit mois en moyenne). La démission de Félix Gaillard, le 15 avril 1958, ouvre la vingt-deuxième crise ministérielle », écrit Michel Winock.
Cependant, contrairement aux précédentes crises, celle du 13 mai 1958 revêt un cachet particulier : l’armée n’est plus le rempart contre le danger provenant des mouvements extrémistes. Ainsi, avant même l’investiture du président du Conseil, Pierre Pflimlin, dans la nuit du 13 au 14 mai 1958, un comité de salut public (CSP) est créé à Alger. Celui-ci est présidé par le général Massu. Dominé par les ultras, ce comité contient aussi deux gaullistes, Delbecque et Neuwirth. Son but est le suivant : seul un gouvernement présidé par le général de Gaulle sera accepté.
Cela dit, de la création du CSP à l’investiture du général de Gaulle, le 1er juin 1958, comme dernier président du Conseil sous la IVe République agonisante, ces trois semaines sont probablement les plus décisives dans l’histoire contemporaine de la France. En effet, entre une menace « d’une conquête de la métropole par l’armée d’Algérie » et le refus des organisations de gauche –le PCF (parti communiste français) et une partie de la SFIO (section française de l’internationale socialiste) –d’accorder leur confiance au général de Gaulle, le risque d’une guerre civile est suspendu, telle une épée de Damoclès, sur la tête des Français.
Mais, grâce au bon sens du général de Gaulle, le scénario catastrophique sera évité. Par un exercice qu’il maîtrise à merveille, estime Michel Winock, dès le 15 mai, le général de Gaulle parvient à se faire une place de choix. « Dès que l’AFP le diffuse, vers 18 heures, le général portait un coup mortel à toute solution de type défense républicaine, sapait l’autorité du gouvernement Pflimlin et canalisait vers lui le dynamisme du mouvement rebelle. Entre le gouvernement légal de Paris et le comité insurrectionnel d’Alger, un troisième pouvoir surgissait, et déjà l’esquisse du dénouement. » Morale de l’histoire : quand un pays est en crise, ses meilleurs fils parviennent à lui éviter la débâcle.
Pour conclure, il va de soi que le retour du général de Gaulle a sauvé le régime républicain de la France. Pour autant, dans les prochains mois, la crise algérienne ne connaîtra pas le dénouement. Au contraire, les deux premières années qui suivent le retour de l’Homme du 18 juin aux affaires constituent les années de guerre à outrance. Pour Michel Winock, « le vrai dénouement de la crise du 13 mai n’a donc lieu que par la fin de la guerre d’Algérie, les accords d’Évian, les derniers combats de l’OAS, la ratification de l’indépendance algérienne par le suffrage universel… »
Quant aux Algériens, la fin du conflit ne signifie pas la libération totale du peuple algérien. En effet, bien que le territoire soit libéré, il n’en est pas de même de l’ensemble des citoyens. Ainsi, dès juillet 1962, le régime qui s’impose dans l’illégalité suspend toutes les libertés. Résultat des courses : 54 ans après l’indépendance, le pays se cherche encore. Et ce ne sont pas, in fine, les querelles du moment qui vont démentir cet état de fait.
Boubekeur Aït Benali
20 mai 2016