Il y a 6O ans, la nomination d’Abane Ramdane, comme responsable politique du FLN à Alger, a suscité et suscite jusqu’à nos jours des réactions ambivalentes. Si la majorité salue l’engagement de l’homme dans un contexte alambiqué, il n’en est pas de même de ses adversaires n’hésitant pas à évoquer, toute honte bue, un parachutage. Mais, qu’en est-il au juste ? Le fait de s’engager dans une ville quadrillée par les paras est-il une partie du plaisir ? Pourquoi n’a-t-il pas choisi l’Extérieur, comment ils l’ont fait ses détracteurs ? C’est en gros à ces questions que ses adversaires ne répondent pas. Et ce qu’ils ignorent, à juste titre, c’est qu’au moment où Abane Ramdane intègre le mouvement révolutionnaire, toute l’organisation, dans l’Algérois notamment, est à recréer.
En effet, bien que la préparation de l’insurrection se soit déroulée à Alger, au moment du passage à l’acte, les défections se sont multipliées à foison. Ce qui contraint d’ailleurs le chef historique Rabah Bitat, chef de l’Algérois, à solliciter le renfort des combattants de la Kabylie en vue d’exécuter son plan d’action. Mais, une fois l’effet de surprise est passé, Alger est soumise à un quadrillage –peut-être bien plus accentué que les autres régions du pays –militaire impressionnant. Du coup, au lendemain du 1er novembre, les services de sécurité procèdent à des arrestations tous azimuts. Pour ce faire, il s’appuie sur les renseignements de l’ex-fondateur de l’OS (organisation spéciale), créée en 1947, Belhadj Djillali « qui avait été retourné par la police sans que les nationalistes le sachent après son arrestation en 1950 », écrivent Benjamin Stora et Renaud de Rochebrune, dans « la guerre d’Algérie vue par les Algériens ».
Ainsi, « en l’espace de moins de dix jours après le 1er novembre, la totalité du réseau patiemment construit par Zoubir Bouadjadj est démantelée… Y compris les bases logistiques pour l’entrainement et la fabrication des bombes à Souma et Crescia dans l’arrière-pays. La plupart des activistes, à commencer par Bouadjadj lui-même dès le 5 novembre, sont appréhendés tout simplement à leur domicile le plus habituel », notent-ils. Par ailleurs, le hasard faisant bien les choses, les services de sécurité n’arrivent pas à mettre la main sur le chef de l’Algérois, Rabah Bitat, connu sous le nom de guerre « Si Mohammed ». Quoi qu’il en soit, malgré les conditions scabreuses, l’urgence, pour le chef de l’Algérois, est de reconstituer les groupes démantelés.
Concomitamment à ce travail –qui est tout sauf une sinécure –, il doit rétablir le contact avec les chefs des autres zones, appelées wilayas après août 1956. Pour rappel, ceux-ci ont fixé un rendez-vous national, dans les trois mois suivant le déclenchement de la guerre, en vue de faire le point sur l’évolution de la situation. En tout cas, tant bien que mal, les chefs de l’Algérois, de Kabylie et de l’Oranais parviennent à rétablir le contact. Guettant le moment propice pour asséner un coup d’estocade au mouvement, le collabo, Belhadj Djillali, reprend ses activités. Il contacte, début mars, Yacef Saadi, par l’intermédiaire d’Abdellah Kéchida, en l’informant qu’il dispose d’un message des chefs de l’Extérieur. « El Djouden affirme représenter Boudiaf et Ben Bella, donc ces responsables installés au Caire avec lesquels on souhaite vivement depuis longtemps retrouver le contact…Il veut donc se concerter avec les chefs de ces régions [3,4et5] », relatent les historiens déjà cités. Sans la méfiance de Krim et de Ben Mhidi, le 16 mars 1955, Belhadj Djillali aurait livré les trois chefs historiques à la police française. Finalement, seul Bitat est pris au piège.
Voilà donc la situation dans l’Algérois au moment où Abane Ramdane se met au service de l’organisation révolutionnaire. Bien que la succession officielle de Rabah Bitat revienne à Amar Oumarane, il n’en demeure pas moins que rien ne se passe dans la région sans qu’Abane Ramdane ait son mot. Peu à peu, il devient quasiment le chef de l’Intérieur. Son appel à la population, le 1er avril 1955, constitue son baptême de feu. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que son style tranchant fait de lui le vrai chef du FLN. De la même manière, ce tract comporte deux messages. Le premier rassure la population sur la fidélité au combat et le second l’incite à prendre ses responsabilités. Car, depuis le 1er novembre 1954, c’est la première fois que le FLN s’adresse aux Algériens. Et si les chefs, qui lui contestaient ce droit, avaient la fibre révolutionnaire –une révolution se fait avec le peuple –, ils devraient le faire avant Abane Ramdane.
Pour conclure, il va de soi que l’arrivée d’Abane Ramdane au FLN est une aubaine pour la révolution. Que sa franchise ne plaise pas, cela peut se comprendre, mais ne pas reconnaître son rôle capital, cela relève tout bonnement de la mauvaise foi. Car, de mars 1955 à août 1956, Abane Ramdane, aidé par des valeureux chefs à l’instar de Larbi Ben Mhidi, réalise le projet dont rêvent tous les chefs révolutionnaires : le rassemblement de toutes les forces vives de la nation. Hélas, la défaite de la ligne politique prônée par le duo Abane-Ben Mhidi va s’avérer fatale pour l’Algérie. Résultat des courses : l’Algérie traverse, depuis le recouvrement de sa « souveraineté », une crise multidimensionnelle. Enfin, tous les dirigeants ou presque ont un point commun : ils s’opposent tous à la ligne politique définie à la Soummam. Par conséquent, s’il doit y avoir un changement, il faudra revenir à la ligne soummamienne.
Boubekeur Ait Benali
28 mars 2015