« Quand le régime algérien est enrhumé, c’est toute l’Algérie qui tousse », un proverbe adapté à l’actualité algérienne.
En effet, à chaque fois que la scène politique est en ébullition, le rôle de l’armée se pose avec acuité. Bien qu’aucun algérien digne de ce nom ne remette en cause son importance, il n’en reste pas moins que son immixtion dans le champ politique l’expose forcément aux critiques. De toute évidence, à partir du moment où l’armée intervient dans un domaine où les responsables devraient théoriquement rendre des comptes, l’armée, ou plutôt le haut commandement militaire, est traitée en tant qu’acteur politique. Cela dit, « Pour comprendre la prédominance de l’armée dans le système politique algérien, il faut encore revenir à l’histoire du mouvement national », écrit Lahouari ADDI dans « l’Algérie et la démocratie ».
Cependant, bien que les initiateurs de la lutte armée soient écartés –les chefs historiques seront utilisés après l’indépendance pour compenser le manque de la même légitimité de certains chefs -, au nom de ce combat libérateur, « l’armée algérienne considère qu’il lui appartient de diriger l’État –auquel elle a donné naissance –afin qu’il ne dévie pas des objectifs du mouvement national », souligne l’éminent sociologue, Lahouari ADDI. En fait, c’est au nom de cette pureté révolutionnaire que l’armée des frontières, dirigée par Houari Boumediene, accuse, à tort évidemment, le GPRA (gouvernement provisoire de la République algérienne) d’avoir bradé la souveraineté nationale. Bien évidemment, éloigné du terrain de la lutte, l’EMG (état-major général) a eu tort de reprocher au GPRA d’avoir conclu les accords de paix avec la France.
Cela dit, en critiquant les accords politiques, Houari Boumediene [il a voté contre les préaccords d’Evian au CNRA (conseil national de la révolution algérienne) de février 1962] outrepasse ses prérogatives. Mais, ce n’est pas fini. Après l’indépendance, il utilise l’armée pour accéder au pouvoir. Ainsi, en dépit de la présidence civile, confiée à Ahmed Ben Bella, le commandement militaire est fortement représenté au gouvernement. En tout cas, cette cohabitation va durer moins de trois ans. À partir de 1965, le colonel Boumediene assume tous les pouvoirs. Désormais, le pouvoir politique est entre les mains de l’armée. Comme l’écrit Lahouari ADDI, celle-ci verrouille tout. « Quand, en 1973, fut lancée la réforme agraire algérienne, la revue de l’armée (El Djeich) donnait le ton dans ses éditoriaux : L’ANP frappera les ennemis de la révolution agraire », note-t-il.
Du coup, à la mort de Houari Boumediene en 1978, le choix de son successeur, à en croire Lahoauri ADDI, a été fait de sorte que l’armée contrôle le pouvoir politique. « Chadli Bendjedid n’était pas en compétition pour succéder à Houari Boumediene, et il avait exprimé plusieurs fois son refus d’accéder à la magistrature suprême. Cependant, pensant jouer sous sa direction un plus grand rôle politique, l’armée tenait à lui », écrit-il. Tout compte fait, contrairement à son prédécesseur, Chadli Bendjedid se contente d’un rôle secondaire. Bien qu’il prenne gout et parvienne à se maintenir au pouvoir pendant treize ans, les grands dossiers sont traités par ses collaborateurs, dont Larbi Belkheir, son éminence grise. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que, sous le règne de Chadli, l’Algérie a connu une régression sur tous les plans. Selon Lahouari ADDI, « la faiblesse du président et son incapacité à s’imposer véritablement à l’armée ont compromis les réformes politiques à travers lesquelles il pensait sauver le régime. L’ouverture politique décidée sans concertation ni consultations avec les principaux courants politiques a affaibli le régime qui perdait de plus en plus sa cohérence. »
Toutefois, prise de vitesse par les événements, l’armée se retire de la vie politique, le 4 mars 1989. La nomination d’un ministre de la Défense et la création du poste de chef de gouvernement, responsable devant le parlement et non devant le président, sont perçues comme des signes positifs. Cela dit, malgré ces avancées, les sceptiques –et ils sont nombreux –ne sont pas convaincus. Le ministre de la Défense va-t-il se soumettre au gouvernement, dont l’action est contrôlée par le pouvoir législatif, se demandent-ils. Malheureusement, la suite des événements leur donne raison. Le 11 janvier, écrit Lahouari ADDI, « l’armée a annulé les élections législatives de décembre 1991 parce que celles-ci, en donnant une écrasante majorité de députés au FIS, contredisaient le schéma pour lequel elle avait opté. »
De toute évidence, en sonnant la fin de la récréation, l’armée aurait dû assumer le pouvoir sans qu’elle cherche à le déléguer à des tiers. Dans ce cas, on aurait au moins un pouvoir identifié. Et il est fort possible qu’il ressemble à celui exercé par Boumediene entre 1965 et 1978. Or, « se voulant légaliste, elle [l’armée] a cherché, toutefois, à mettre le maximum d’atouts constitutionnels de son côté, ne tenant surtout pas à être accusée d’avoir fomenté un coup d’État », note l’auteur de « l’Algérie et la démocratie ». Malgré le discours rassurant, les Algériens ne sont pas dupes. Ils savent que ce coup de force n’aurait jamais été possible, s’il n’y avait pas eu l’intervention de l’armée. Depuis cette date –le 11 janvier 1992-, il n’y a rien qui se fait sans son aval. Bien qu’elle délègue ses pouvoirs au personnel civil, dont le chef de l’État, force est de reconnaitre que son rôle est prépondérant.
Pour conclure, il va de soi que l’intervention du haut commandement militaire dans la vie politique brouille les cartes. Cela dit, tant que les clans composant le pouvoir sont d’accord entre eux, les turbulences sont maitrisées. Que se passe-t-il quand le chef de l’État tente de s’émanciper ? Eh bien, le régime algérien s’expose à des dangers. C’est ce qui peut arriver à l’Algérie en ce moment. Comment faire pour éviter cette crise ? Tout simplement, il faudrait remettre le pouvoir au peuple. Ceci va préserver l’armée des critiques et va permettre, par la même occasion, à l’Algérie de retrouver une stabilité politique basée sur la légitimité effective des urnes.
Boubekeur Ait Benali
15 février 2014