Demain, le 29 septembre 2013, le FFS célèbre le cinquantième anniversaire de sa naissance. Celle-ci –et c’est le moins que l’on puisse dire –est survenue au forceps. En effet, après le coup de force de l’été 1962, la dictature a pris une ampleur telle que les espaces de liberté se réduisent de jour en jour. Quoi qu’il en soit, bien que le peuple soit exténué par une guerre anticoloniale affreuse, l’Algérie peut compter encore sur une avant-garde révolutionnaire. Même si le rapport de force ne penche pas en sa faveur, elle « a acculé le régime à découvrir son véritable visage », lit-on dans la proclamation du FFS du 29 septembre 1963.
De toute évidence, malgré le tribut payé par le peuple algérien en vue de recouvrer sa liberté, force est de reconnaitre que le coup de force de l’armée des frontières, soutenu par des historiques, tels que Ben Bella, Khider et Bitat, a inauguré une nouvelle forme de domination : le joug des Algériens par d’autres Algériens. Néanmoins, bien que la coalition Ben Bella-Boumediene ait réussi à s’emparer de tous les pouvoirs, l’opposition n’a pas abdiqué. Dans le premier temps –c’est le choix de Hocine Ait Ahmed –, celle-ci a décidé de mener une « opposition constructive » à l’intérieur des institutions. Après l’élection de l’Assemblée nationale constituante(ANC), un groupe de députés, à leur tête Hocine Ait Ahmed, abat un travail colossal en vue de freiner les ardeurs des vainqueurs de la crise de l’été 1962.
Or, bien que le duo Ben Bella-Boumediene ait le contrôle de tous les pouvoirs (législatif, exécutif et judiciaire), leur soif de pouvoir n’est pas étanchée. Pour ridiculiser l’Assemblée nationale, dont la majorité est pourtant docile, Ben Bella confie la rédaction du texte fondamental, en l’occurrence la constitution, aux cadres du parti ne siégeant pas à l’ANC. À partir de là, les démissions s’enchainent. Cette fois-ci, même les alliés d’hier, notamment Ferhat Abbas, quittent le navire. Ayant acquis la certitude que l’opposition à l’intérieur des institutions était impossible, un groupe de députés, à leur tête Hocine Ait Ahmed, démissionne alors de l’ANC.
Cependant, bien que les démissionnaires songent à une opposition frontale au régime, ils ne sont pas d’accord sur la méthode idoine. Dans une conférence de presse du 10 juillet 1963, Hocine Ait Ahmed énonce son plan : « Dans le but d’éviter des affrontements monstrueux, j’ai décidé de mener une lutte ouverte contre le régime socialo-mystificateur soutenu par des contre-révolutionnaires de tout poil. Cette opposition publique est aujourd’hui le seul moyen de désamorcer une situation rendue explosive par l’enlèvement du frère Boudiaf et des frères de combat, par l’incapacité de l’Assemblée nationale constituante à bloquer la totalitarisation du régime. »
Or, cette option ne fait pas l’unanimité. Un autre groupe, composé de courageux militants, se rassemble dans un mouvement appelé l’UDRS (union pour la défense de la révolution socialiste). Tout compte fait, bien que l’idée séduise, son but parait irréalisable. En effet, ses fondateurs souhaitent le renversement du régime en s’appuyant sur les effectifs de la wilaya III historique. Mais le régime va-t-il rester bras croisés en cas d’attaque ? Il va de soi qu’en s’appuyant sur l’armée des frontières et l’adhésion volontaire ou involontaire du reste des wilayas historique, l’ANP (armée nationale populaire), créée en septembre 1962 par Boumediene, ferait une bouchée de la 7eme région militaire (ex wilaya III), si celle-ci venait à lui déclarer la guerre. Et encore, faut-il que tous les combattants acceptent de se lancer dans l’aventure.
Toutefois, après des conciliabules, plusieurs membres fondateurs de l’UDRS (Mohand Oulhadj, Ali Yahia Abdenour) rejoignent le FFS. Le 29 septembre 1963, peut-on encore lire dans la proclamation, le conseil central du FFS décide « de mettre en œuvre tous les moyens dont il dispose pour arrêter net ce processus de fascisation, de mettre fin au pouvoir dictatorial et au régime personnel qui tente de s’imposer à notre pays et ordonne à ses militants d’engager, à partir de ce jour, le combat décisif dans la discipline et le strict respect des directives. »
Pour l’unique réponse aux propositions démocratiques du FFS, le régime recourt, quatre jours après la naissance du FFS, à violence. Sur ordre de Boumediene, les bataillons de l’ANP occupent toute la Kabylie. En tout cas, cette réponse, selon Ben Bella et Boumediene, est la réaction adéquate à l’entrée du FFS sur la scène politique. Quelle aurait été la réaction du duo Ben Bella-Boumediene si le projet de l’UDRS avait été lancé ? L’un des initiateurs du projet encore vivant, Ali Yahia Abdenour, est le mieux placé pour répondre à cette question.
En tout cas, à la stratégie guerrière du régime, le FFS enregistre ses premières défections. Cinq membres du 1er état-major du FFS, dont Mohand Oulhadj et Ali YAhia Abdenour, abandonnent le combat et rejoignent la coalition Ben Bella-Boumediene. Dans le même temps, les députés siégeant encore à l’ANC, parmi lequels Amar Ouamrane, Mebrouk Belhocine, Saïd Yazourene, publient une déclaration dans laquelle ils condamnent fermement le projet du FFS. Mais cela n’a pas empêché le FFS d’être et de devenir ensuite une force politique incontournable en Algérie.
Pour conclure, sans revenir en détail sur le riche parcours du FFS, il va de soi que le parti fondé par le charismatique révolutionnaire, Hocine Ait Ahmed, a avant tout une mission historique : combattre la dictature. Sous la direction de Hocine Ait Ahmed, il n’y avait aucune hésitation à mener ce combat frontalement. Cela dit, sans être chauvin, cette mission, comme le rappelle d’ailleurs Hocine Ait Ahmed dans son dernier message de mai 2013, n’est pas encore finie. « Quand, avec des compagnons de la lutte contre le colonialisme et pour l’indépendance nationale, nous avons fondé le Front des Forces Socialistes, pour que cette indépendance algérienne s’accomplisse dans la démocratie, dans le respect des libertés, dans la justice sociale, dans le respect du pluralisme politique et culturel fondateurs du mouvement national, je n’imaginais pas que cinquante ans plus tard, nous serions encore à nous battre pour défendre notre simple droit à exister », résume-t-il le bilan des cinquante ans d’indépendance.
Boubekeur Ait Benali
28 septembre 2013