Dès le début de la guerre, le FLN (Front de libération nationale) ne dissimule pas sa volonté de négocier avec les autorités françaises. D’emblée, cette demande reçoit une fin de non-recevoir. Plus que ça, les responsables français claironnent que « l’Algérie c’est la France ». Bien que le conflit ne puisse être résolu que par une négociation, les préalables des uns et des autres obstruent pour un moment toute issue rapide au conflit. En effet, si pour les Algériens la négociation doit déboucher inéluctablement sur l’indépendance, les dirigeants français, quant à eux, avancent, notamment après l’arrivée de Guy Mollet au pouvoir en 1956, le préalable de cessez-le-feu avant d’engager le processus de négociation.
D’une façon générale, connaissant les promesses non tenues des dirigeants français, les révolutionnaires algériens leur opposent le droit des peuples de choisir librement leur destin. En tout cas, élu sur le thème de l’Algérie « mettre fin à une guerre imbécile et sans issue », Guy Mollet, malgré la palinodie d’Alger en février 1956, engage une série de rencontres avec les dirigeants du FLN. Mais au moment où la délégation extérieure du FLN se rend à Tunis pour assister à la conférence intermaghrébine, les militaires français, à l’insu des dirigeants civils, interceptent l’avion des dirigeants algériens. En effet, non suivis par les militaires dans leur politique algérienne, les dirigeants de la quatrième République n’arrivent pas à avancer d’un iota sans que les ultras ne les mettent en difficulté. Cependant, le coup de boutoir, ayant achevé ce régime grabataire, est parti d’Alger en mai 1958. Ainsi, militaires et ultras s’associent pour assener un coup fatal à la quatrième République et, dans la même logique, mettre à la tête de l’État un homme fort, en la personne du général de Gaulle. Bien que le général cache pour l’instant son plan en attendant que les conditions soient réunies, pour l’heure, il ne contrarie pas la politique des ultras visant à annihiler la révolution algérienne.
Quoi qu’il en soit, tout en menant l’action militaire répressive, de Gaulle reprend peu à peu les choses en main. En décembre 1958, il nomme un civil, Paul Delouvrier, au poste de Gouverneur de l’Algérie à la place du général Salan. En décembre 1960, il rappelle en France le plus populaire des généraux français en Algérie, Jacques Massu. Dans la foulée, il procède à un changement, lourd de sens, à la tête de l’armée en Algérie en rappelant le général Challe. Par ailleurs, bien que certains d’entre eux tentent de faire un putsch en avril 1961, le général de Gaulle, dans un discours qui restera dans les annales, parvient à les mettre en échec. Cependant, cette reprise en main de son pouvoir ne signifie pas pour autant que de Gaulle est disposé à faciliter la tâche aux dirigeants de la révolution algérienne. Voilà comment Philippe Masson résume les contacts après le putsch raté d’avril 1961 : « Cette première conférence fut suspendue le 13 juin. Les pourparlers reprirent à Lugrin (Haute Savoie) en juillet. Ils butèrent sur le Sahara que de Gaulle voulait exclure de la négociation. Le FLN s’en tenait à une position rigide, définie depuis 1954 : cessez-le-feu après obtention d’une indépendance absolue de tout le territoire, Sahara compris, et sans engagement pour l’avenir des rapports franco-algériens.» En tout cas, cette fermeté du côté algérien va inciter de Gaulle à faire des concessions. Ainsi, bien que le FLN refuse catégoriquement une trêve avant les accords politiques consacrant le droit des Algériens à l’indépendance, le général de Gaulle annonce plusieurs mesures qui ne sont pas anodines : l’abandon du préalable du cessez-le-feu, la trêve d’un mois et la libération de 6000 prisonniers.
En revanche, il se montre intraitable sur la question du Sahara. Pour Philippe Masson : « La divergence la plus importante concerne le problème du Sahara. Pour le général de Gaulle, les populations sahariennes ont leur propre personnalité et ne s’identifient pas avec les peuples arabes. » Mais sans le pétrole, le Sahara aurait-il fait l’objet de tant de convoitise ? Pour les dirigeants français, l’indépendance énergétique de la France est au dessus du droit des peuples à vivre librement. « Le pétrole, c’est la France et uniquement la France », déclare le général à l’endroit de ceux qui veulent remettre en cause le droit de la France à exploiter cette précieuse richesse. Pour y parvenir, le général tente un moment de créer une troisième force avec laquelle il parviendra à l’option médiane. Cette solution est abandonnée le 30 aout 1961. Il déclare alors à son entourage : « Nous voulons nous dégager. » Quelques jours plus tard, le dénouement vient de l’Élysée. « On le constate dès le 5 septembre. Au cours d’une déclaration, le chef de l’État rejette toutes les revendications tunisiennes sur le Sahara et, par là, affirme que, de toute manière, ce territoire devra être rattaché à l’Algérie. Un « point d’ancrage majeur » vient de sauter », note à juste titre Philippe Masson.
De façon incontestable, l’abandon de certaines exigences de la part du général de Gaulle permet d’entamer une véritable négociation. Bien qu’elle soit secrète dans le premier temps, les négociations des Rousses, dans le Chalet Yeti, vont être décisives. Le premier round se déroule le 9 décembre 1961. Du côté algérien, la délégation est composée de Saad Dahlab et Mohamed Seddik Ben Yahia. Après six heures de discussion, les représentants du général de Gaulle, Louis Joxe et Bruno de Leusse, quittent les Rousses pour informer le général de Gaulle. Cependant, bien que la délégation française ait hâte de conclure, la reprise des travaux le 21 décembre ne se déroule pas comme l’entendent les délégués français. Et pour cause ! Le GPRA (gouvernement provisoire de la République algérienne) avance prudemment. L’opposition systématique de l’EMG (État-major général), dirigé par Houari Boumediene, à la politique du GPRA rend méfiants les délégués algériens. A la reprise des conversations le 27 décembre, Louis Joxe constate, selon Philippe Masson, « un raidissement chez les représentants du GPRA. Il y a du Mattei la dessous, estime-t-il, tout bute non tant sur le Sahara que sur les royalties. »
Cependant, bien que les concessions des Français soient de taille, les délégués algériens continuent à avancer avec prudence dans cette négociation. Quand les travaux reprennent le 11 février, chaque délégation a renforcé sa composante en vue de peser sur les pourparlers. « Il y a là Joxe, de Leusse, le général de Camas, Roland Billecart, rejoints pour la première fois par Robert Buron et Jean de Broglie [la caution de la droite française à ces pourparlers selon Gilbert Meynier]. La délégation algérienne du FLN est aussi plus étoffée, avec Krim Belkacem, Saad Dahlab, Ben Tobbal, Yazid, Malek, Ben Yahia et Ahmed Francis », écrit Philippe Masson. Le 18 février, de nouvelles concessions sont concédées par les Français. Dans un message du général de Gaulle à Louis Joxe, celui-là insiste sur deux points : « Mars-el-Kébir : quatorze ou quinze ans de présence renouvelables ; mise à la disposition du Sahara pour les expériences atomiques ». Suite à ce message, l’accord est logiquement intervenu le même jour tard dans la nuit.
Quoi qu’il en soit, cet avant-projet de l’accord nécessite une ratification des dirigeants de chaque partie. Ainsi, du 22 au 27 février, le CNRA (Conseil national de la révolution algérienne) décortique le texte. Malgré le désaveu du colonel Boumediene et des membres de l’EMG, le texte est finalement approuvé. Cependant, lors des prochaines négociations officielles, les délégués devront améliorer le texte sur le fait que « dès le cessez-le-feu, le FLN puisse reprendre en main la population, que le GPRA puisse exercer son contrôle à travers l’Exécutif provisoire sur la « force locale », que l’ALN reste libre de ses mouvements, que l’armée française ne se mêle pas du référendum », précise Philippe Masson. Du côté français, le document est soumis au Conseil des ministres du 22 février 1962.
En somme, le 7 mars 1962 s’ouvre la conférence officielle d’Evian. Pendant onze jours, les deux délégations examinent les points en suspens. Cette fois-ci, le retard est dû à la méfiance des Algériens. Car, si de Gaulle a neutralisé avant la négociation les blocages pouvant provenir de l’intérieur, le GPRA n’a pas agi de la même façon. La raison est simple : le GPRA ne veut pas donner de signe de division, que ce soit au peuple algérien ou au gouvernement français. Ainsi, au moment de la négociation, le GPRA ne pèse pas lourd face à son armée basée aux frontières. Cela dit, bien qu’il soit évanescent, le GPRA va mener le peuple algérien à la victoire finale. Ainsi, le 18 mars, il conclut un accord de paix avec la France. Pour le président du GPRA, Ben Youcef Ben Khedda, les objectifs de la révolution sont désormais atteints. « Si l’on considère les positions françaises qui subordonnaient toute négociation au cessez-le-feu, c’est là une grande victoire du peuple algérien. Cette victoire se traduit sur le plan politique par l’indépendance de notre pays », s’adresse le président du GPRA aux Algériens. Finalement, pour ces valeureux nationalistes, la mission est accomplie. Bien que le coup de force de l’été 1962, perpétré par le duo Boumediene-Ben Bella, écarte le GPRA du pouvoir, ces grands chefs acceptent l’effacement.
Boubekeur Ait Benali
18 mars 2012