A.B. n’a pas de preuves, juste une conviction qui repose sur un bon sens résumant le défilé ininterrompu d’horreurs depuis dix ans. Il y a quelques raisons de croire que sa conviction est fondée.
Les crimes commis à Hassi-Messaoud s’inscrivent dans un train d’événements qui tend à ré-installer la peur et la tension, suite aux protestations populaires des mois derniers qui ont non seulement désarçonné et mis a nu le camouflage institutionnel des généraux génocideurs mais qui ont surtout fait reculer la peur que ces terroristes d’Etat se sont appliqués à enraciner toute une décennie durant. La sauvagerie de Hassi-Messaoud coïncide avec la recrudescence des massacres et des faux barrages depuis le début du mois. Le pire reste à craindre.
Quels sont les faits exacts entourant la nuit de cauchemar dont on été victimes ces concitoyennes ? On en sait pas grand chose.
La plus grande partie de la presse dite « privée » ou « indépendante » a rapporté les évènements de façon tendancieuse, imputant, d’une part, les violences et les viols infligées aux pauvres femmes aux « islamistes »[1], les dépeignant comme des spécimens d’une espèce monstrueuse que Bouteflika cherche à lâcher sur l’Algérie, et soulignant, d’autre part, le rôle salvateur et protecteur des services de sécurité, souvent dépeints en rambos arrachant les pauvres dames des griffes de leurs bourreaux. En « agitant des créatures de l’effroi islamique aux bouts de leurs bâtons médiatiques »[2], cette presse somme les Algérien(ne)s de choisir : l’angoisse talibanesque ou la sécurité éradicatrice.
Par exemple, Samia Lokmane, journaliste éradicatrice au quotidien Liberté, affirme, en faisant référence aux victimes des évènements de Hassi-Messaoud, que c’est « à la gloire d’Allah et au nom de l’Islam [qu’]on les a violées et atrocement mutilées. »[3] H. Saïdani, du même quotidien, impute les violences infligées aux pauvres femmes aux « ‘faits d’armes’ des islamistes animant le terrorisme des années 90, de retour. » Saïdani précise que « l’agression perpétrée contre des dizaines de femmes, habitant un quartier populaire à Hassi Messaoud, semble loin de constituer un acte isolé, tant il intervient dans une conjoncture caractérisée par ce qui s’apparente à un retour de l’inquisition qui était érigée en règle à l’époque où le FIS était dans la légalité. »[4] S.R., du même canard, ne prend pas de gants pour faire de ces événements un machin pour attaquer Bouteflika : « Encouragés par le discours officiel, les intégristes reviennent en force et ressortent leurs couteaux des fourreaux pour s’attaquer à des citoyens coupables de ne pas se plier à leur rigorisme désuet. »[5]
Par ailleurs, quelques voix dissonantes ont vu dans ces événements une opération psychologique pour faire passer par l’effroi la pilule de la modification du code pénal proposée par le sinistre ministre de l’injustice, Ahmed Ouyahia, un texte qui ré-instaure les méthodes colonialistes de gestion de la mosquée ainsi que censure les prêches.
Par exemple, Larbi Graïne de La Tribune remarque que « le code pénal modifié vise, entre autres, à interdire toute ‘activité contraire à la noble mission de la mosquée ou de nature à attenter à la cohésion de la société ou à faire l’apologie et la propagande’. Pendant la colonisation française, les colons ont, eux aussi, contrôlé les mosquées aux fins de servir les desseins de leur politique d’asservissement du peuple algérien. Des faux dévots ont été recrutés dans ce but. Kateb Yacine a d’ailleurs, en tant que chroniqueur, bien décrit l’hypocrisie de ces imams corrompus par l’administration coloniale. Mais tel que rapporté, ce qui vient d’arriver à Hassi Messaoud semble être ‘cuisiné’ à des fins qu'il va falloir élucider. Alors que des jeunes chauffés à blanc avaient été montés par leur imam contre des prostituées, il semblerait que nombre de ces femmes qui pratiquent le plus vieux métier du monde, ont été absentes au moment du carnage et que ce sont des femmes de ménage exerçant dans des sociétés étrangères qui en avaient fait les frais. Enfin, le caractère orgiaque de l’expédition nocturne qui s’ajoute à sa nature criminelle, conférant au tout un air de tragique carnaval mêlant enfants, adolescents, adultes et femmes, ouvre la voie à toutes les suppositions sur ceux qui tirent les ficelles. »[6]
Ces allusions à la manipulation sont appuyées par d’autres écrits. Dans sa tentative de savoir « qui a chauffé les tambours de la guerre ? », le journaliste A. Fayçal, du quotidien arabophone Al-Khabar, présente plusieurs pistes au lecteur : l’imam de la mosquée, un membre de l’assemblée communale affilié à un parti de la coalition gouvernementale, ou, tout simplement, le pouvoir. Il cite notamment Mbarka, née en 1962 et mère de quatre enfants, qui aurait affirmé que « la voisine m’a dit : ‘Ne sors pas ! El-houkouma [ndtr : le pouvoir] a dressé la population [ndtr : contre nous].’ Alors j’ai eu peur de sortir. »[7]
La nature conflictuelle des différents compte-rendus de ces événements et le fait que la manufacture, l’empaquetage et la dissémination des informations à caractère sécuritaire relèvent de différentes officines militaires « de la vérité » sapent la fiabilité du peu de nouvelles disponibles dans cette presse. Il faudra probablement attendre les enquêtes d’une commission d’enquête ou de journalistes investigatifs, tel(le)s que Rabha Attaf qui avait démythifié l’affaire du bébé de Ouargla[8], pour avoir accès à tous les faits pertinents à ces évènements cruels.
S’il faut donc rester prudent sur les détails des faits, en revanche, la lecture de l’instrumentalisation politique de ces événements ne souffre d’aucun problème d’intelligibilité ou d’ambiguïté.
Pour la comprendre, il faut d’abord se rappeler que dans « la république de la peur » les formations politiques et les organisations para-politiques ne sont, pour la plupart, civiles que facticement. Ensuite il faut savoir reconnaître qui des responsables et des partis politiques est patronné par quel général ou gang de généraux, qui des animateurs et des organismes parapolitiques est inféodé à (ou employé par) quel officier ou quelle officine de la Direction de Renseignement et de la Sécurité (DRS). Idem pour les ¾ journaux et les ¾ journalistes.
Par exemple, le Mouvement démocratique et social (MDS, ex-Ettahaddi, ex-PAGS), l’un des derniers partis communistes staliniens de la planète, considère que les événements de Hassi-Messaoud « font suite à une vaste campagne de prosélytisme menée à travers tout le pays par les milieux islamistes, au vu et au su des autorités qui doivent légalement empêcher l'utilisation de la mosquée à des fins politiques. »[9] Ce parti, qui a toujours fui les urnes comme la chauve-souris fuit la lumière, sous-entend que la liberté des mosquées est responsable des crimes de Hassi-Messaoud. Il pompe les peurs et les horreurs suscitées, comme par hasard, à point pour faire accepter la nécessité de la modification du code pénal, concoctée par la tyrannie éradicatrice, pour assassiner les derniers vestiges de libertés dans les mosquées, afin d’y promouvoir « le culte de la volonté des généraux éradicateurs » comme relevant de l’Islam ainsi qu’y exclure toute autre interprétation de l’Islam.
Une réaction pavloviennement prévisible quand on sait que, premièrement, le chef de cette grappe de fascistes islamophobes prend ses ordres directement des chaouches de certains généraux, dont Médiène, selon un schéma de division du travail où les généraux exercent le terrorisme d’Etat et le MDS, entre autres, lui donne de la couverture politique, en échange d’un croûton de rente, même s’il faut fustiger le système rentier avec des platitudes éculées pour garder des apparences de gauchisme. Deuxièmement, la politique de l’Islam des généraux putschistes c’est la politique colonialiste française envers l’Islam : a) caporalisation de l’Islam (à travers le ministère des affaires religieuses, forme adaptée de l’ancienne direction des affaires indigènes, et un code pénal) pour promouvoir la politique des généraux, entretenir la légitimation de la dictature militaire et discréditer toute autre interprétation de l’Islam ; b) labourage du mythe de l’Islam réactionnaire ; c) encouragement des cultes, marabouts, zaouias, etc. pour morceler la cohésion de la communauté musulmane.[10]