Ces conditions n’existent plus en Algérie. D’une part, les Algérien(ne)s sont devenus aptes à identifier et déchiffrer les divers tactiques et instruments avec lesquels le pouvoir militaire en général, et la DRS et le CCLAS en particulier, fabriquent et manipulent la peur. D’autre part, les corps constitués, loin d’être associés à la sécurisation, sont honnis par la population, car associés à la subjugation de l’Algérie, en tant qu’Etat et société, et parce qu’ils sont assimilés à un corps gangréné moralement et politiquement par une décennie d’emprisonnements injustes, de tortures sauvages, de disparitions, d’exécutions sommaires, de massacres, de pillages, de déprédation, de corruption, de hogra, de censure et d’assassinat des libertés, en toute impunité. Bref, l’imaginaire populaire les identifie à la criminalité et l’insécurité organisés.
En persistant dans la politique de la peur, alors que ses conditions ne sont plus réunies, les généraux creusent eux-mêmes la tombe de leur régime.
Ayant appris que la peur fait croire aux hommes les pires mensonges, qu'elle est mauvaise conseillère et qu'elle ne doit pas l'empêcher d'explorer l'espoir, le peuple algérien enverra bientôt ce régime là où le destine ses fossoyeurs militaires.
R. Bellili et S. Sifi
CCFIS, 29 juillet 2001
Notes :
[1] Les titres et les formules utilisées par cette presse caporalisée sont explicites : ‘l'intégrisme islamiste vient de provoquer un nouveau drame en Algérie’ (Abla Chérif, Le Matin du 15 juillet 2001), ‘un intégrisme qui n’a rien perdu de sa virulence’ (Ali Ouafek, Liberté du 17 juillet 2001), ‘la violence de l'obscurantisme islamiste’ (Karimene Toubbiya, La Tribune du 19 juillet 2001), ‘l'Algérie face à l'intolérance islamiste’ (Le Matin du 21 juillet 2001), ‘les saints et les catins’ (Latifa Benmansour, Le Matin du 21 juillet 2001), ‘la psychose de la campagne de ré-islamisation et de moralisation opérée par les milieux islamistes’ (Mounir B., Le Quotidien d’Oran du 21 juillet 2001).
[2] statement empruntée à M. Aït-Embarek : « Les entrepreneurs de la répression agitent ces créatures de l'effroi islamique aux bouts de leurs bâtons médiatiques, car la peur embrigade les bonnes consciences par un processus de restructuration morale où, la frayeur étant devenue la seule réalité tangible, l'Autre perd son humanité puisqu'il est épouvante, en tant que porteur d'angoisse. Elle engage le processus de culpabilisation : ‘J'ai peur de toi, donc tu es coupable.’ » (in L’Algérie en murmure, Hoggar, Genève 1996).
[3] S. Lokmane, Liberté, 16 juillet 2001.
[4] H. Saidani, Liberté, 16 juillet 2001.
[5] S. R., Liberté, 16 juillet 2001.
[6] Larbi Graine, La Tribune, 17 juillet 2001.
[7] Al-Khabar du 19 juillet 2001.
[8] L’affaire de Ouargla de 1989 est évoquée à plusieurs reprises par Le Matin dans les éditions des 15, 17 et 21 juillet 2001. Ce quotidien titre ‘Le retour de l'inquisition’ dans son édition du 17 juillet, ce qui rappelle étrangement l’article d’une certaine Khalida Messaoudi datant du 1995 intitulé ‘La nouvelle inquisition’ (Les Temps Modernes de janvier-février 1995) concernant l’affaire de Ouargla, dont « l'utilisation mensongère a un objectif bien précis : disqualifier le FIS et justifier, à posteriori, un anti-islamisme primaire alimentant une répression sanglante sous couvert de lutte pour le droit des femmes », pour reprendre les propos de la journaliste algérienne Rabha Attaf (Rabha Attaf, 'L'Affaire de Ouargla : Mythe fondateur du discours de l'éradication', in L'Algérie en contrechamp, pp. 201-208, Peuples Méditerranéens No. 70-71, Paris 1995).
[9] Le Matin du 18 juillet 2001.
[10] Y. Bedjaoui, ‘Notes de lecture sur l’aliénation et la violence’, in L’Algérie en Murmure, Hoggar, Genève 1996, p. 243.
[11] La Tribune du 19 juillet 2001.
[12] Partout dans le monde, le féminisme est anti-militariste. Les valeurs du féminisme, qu’il soit radical, social ou libéral, s’opposent à ceux du militarisme, mais en Algérie on a vu ces prétendues féministes appeler au coup d’Etat militaire, à louer les généraux et leur projet génocidaire.
[13] Pierre Guillard, ‘Mme Khalida Messaoudi ne s’est-elle pas maintenant suffisamment exprimée ?’, in A. Aroua, Horroris Causa : Féminisme à l’ère de la Sainte-Eradication, Hoggar, Genève 2000, page 205.
[14] Ghania Khelifi, Liberté, 26 mai 2001.