Le monde arabe est devenu fou mais quelle belle folie que celle de peuples qui ont décidé que le mot peur est désormais obsolète. Voici un texte pertinent aux événements d’aujourd’hui, rédigé par Malek Bennabi en 1948 comme prologue à son ouvrage « Les Conditions de la Renaissance ».
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Compagnon, voici l’heure où le pâle reflet de l’aurore glisse entre les étoiles de l’Orient.
Tout ce qui va se réveiller s’agite déjà et frissonne dans l’engourdissement et les oripeaux du sommeil.
Tout à l’heure, l’astre idéal se lèvera sur ton labeur, déjà commencé, dans la plaine où repose encore la cité endormie la veille.
Tes premiers rayons du jour nouveau porteront très loin, plus loin que tes pas, l’ombre de ton geste divin, dans la plaine où tu sèmes.
Et la brise qui passe maintenant portera plus loin que ton ombre la semence que ton geste répand.
Sème, O ! mon frère le semeur ! Pour plus loin que ton étape, dans le sillon qui va loin.
Quelques voix appellent déjà, les voix que ton pas a réveillées dans la cité lorsque tu partais à ton labeur matinal.
Ceux qui, à leur tour, se sont réveillés vont le rejoindre, tout à l’heure.
Chante ! mon frère le semeur, pour guider, de la voix les pas qui viennent dans l’obscurité de l’aurore, vers le sillon qui vient de loin.
Que ton chant retentisse comme celui des Prophètes jadis aux heures propices qui enfantent des civilisations.
Que ton champs retentisse plus fort que le cœur vociférant qui s’est levé là-bas…
Car voilà : on installe, maintenant, à la porte de la cité qui se réveille, la foire et ses amusements pour distraire et retenir ceux qui viennent sur tes pas.
On a dressé tréteaux et tribunes pour bouffons et saltimbanques afin que le vacarme couvre les accents de ta voix.
On a allumé des lampes mensongères pour masquer le jour qui vient et pour obscurcir ta silhouette dans la plaine où tu vas.
On a paré l’idole pour humilier l’idée.
Mais l’astre idéal poursuit son cours. Inflexible. Il éclairera bientôt le triomphe de l’idée et le déclin des idoles comme jadis… à la Kaaba.