2.c. L’analogie dans la victimité
Ce subterfuge pour s’infiltrer dans la lutte mondiale contre le terrorisme qui se prépare (et réaliser les buts 1a-1d analysés ci-dessus) consiste à prétendre d’être victime « du même terrorisme qui a plongé les USA dans la tragédie. » C’est un argument par analogie qui s’écroule au moindre examen.
Le conseil des ministres tenu le 16 septembre déclare que les autorités n’ont « jamais cessé d’appeler à la mise en place d’une coopération internationale effective de lutte contre le terrorisme, fléau que l’Algérie combat avec détermination depuis une dizaine d’années. »[50] Ce même conseil avance que l’Algérie « souffre elle-même de la même barbarie depuis une décennie » d’un terrorisme qui frappe « aveuglément sans distinction. »[51]
Les vices de raisonnement par analogie consistent souvent à mettre en avant les propriétés correspondantes et à escamoter les dissemblances où l’analogie s’effondre. Mais un examen attentif de cette déclaration montre que même la correspondance mise en avant, c’est à dire la similitude dans la victimité, ne tient pas debout.
C’est vrai que l’Algérie est victime du terrorisme. Mais le subterfuge de cette déclaration se trouve dans l’identification de l’Algérie au conseil des ministres en particulier, ou dans l’identification de l’Algérie au pouvoir en général.
D’abord le terrorisme ne frappe pas « aveuglément et sans distinction. » La géographie politique des massacres montre que c’est la base sociale du FIS qui est victimisée, qu’il y a une proportionnalité causale entre les degrés de victimisation des wilayas et leurs degrés de loyauté électorale envers le FIS. Les zones les plus touchées sont les zones où les loyautés politiques envers le FIS sont les plus fortes. Certains sociologues ont même parlé d’« épuration électorale. » On sait aussi qu’il y a une corrélation temporelle entre les flambées de terreur dans le pays et l’intensité des hostilités entre les clans militaires qui se disputent le contrôle de l’Etat et de la rente pétrolière.
Ensuite, tout le monde sait que ceux qui souffrent des autres formes de terreur massive comme les dizaines de milliers d’emprisonnement politique, de la torture systématique, institutionnalisée et à grande échelle ainsi que des 17 000 disparitions forcées ont été et sont les membres et la base sociale du FIS.
De plus, l’Intifada qui a débuté en Kabylie le printemps dernier et qui s’est propagé à l’Est de l’Algérie a montré au grand jour la face hideuse du terrorisme en pleine action pour écraser un mouvement de demandes légitimes. Encore une fois il y a eu les exécutions sommaires, la torture et les disparitions forcées.
C’est donc vrai que l’Algérie souffre du terrorisme. Il y a seulement quelques semaines les rues algériennes disaient « Bouteflika Ouyahia houkouma irhabiyaa », « Généraux Assassins ! », « Lamari Assassin ! », « Toufik Assassin ! », « Darak El Watani El Irhab Inani », « Quand on est mort, on ne peut pas mourir une deuxième fois. » Cela bien sur n’empêche pas Nezzar, le génocideur en puissance qui a initié la catastrophe nationale, de s’approprier avec un cynisme époustouflant la perte de « 100 000 personnes » par « l’Algérie », alors que le monde entier sait qu’il porte une grande responsabilité de leurs morts.[52]
L’Algérie qui est victime c’est la société et non l’Etat devenu malheureusement la propriété et l’instrument de terreur d’un gang de généraux putschistes, corrompus et génocideurs. L’Algérie victime c’est encore moins ce conseil de ministres nommés par et pour les putschistes, et non par et pour la société. Un seul de ces ministres peut-il prouver au monde que lui ou son parti ont été consacrés représentatifs de la société algérienne à travers des élections libres. La rue algérienne ne les associe-t-elle pas au clientélisme à différents clans militaires et n’associe-t-elle pas leur visibilité à la cooptation, la sélection occulte et la fraude électorale organisées par et pour les généraux maffieux.
Quant à la dissemblance avec le cas américain qui est occultée dans l’analogie utilisée par ces exploiteurs de la tragédie américaine, elle réside dans le fait que l’Amérique est une vraie démocratie où les gouvernants sont élus par le peuple américain lors d’élections libres alors que l’Algérie, comme l’a si bien dit le Colonel Samraoui, est « subjuguée par une mafia de généraux plus maléfiques que la mafia italienne », une mafia de « généraux qui font des présidents leurs marionnettes », qui « possèdent des gouvernements, un parlement et un système de justice », qui « déploient des organisations dites de la société civile » et qui « détiennent une armée à leur service » ainsi que des médias aux ordres.[53]
2.d. Similitude de la menace
La quatrième trame notable qu’ourdissent les éradicateurs algériens pour rationaliser les 4 objectifs explicités ci-dessus est aussi un argument par analogie, mais cette fois la correspondance prétendue ne concerne pas la victimité. C’est un échafaudage par la similitude de la menace. Pour importer et pointer le feu de la coalition internationale anti-terroriste qui se met en place contre leurs adversaires politiques en Algérie, ces éradicateurs font usage de techniques de redéfinition de ces adversaires de façon à les identifier à la menace ciblée par cette coalition. Comme on va le voir, les ultras du Likoud israélien déploient le même raisonnement.
On observe d’abord le subterfuge de la délocalisation. Pour les ergoteurs de l’éradication, le mouvement islamique en Algérie n’a pas d’histoire, d’ancrage, de spécificité, de préoccupation ou d’attachement nationaux, et il n’est – opportunisme oblige – qu’une « poche de l’internationale islamiste »[54], du « terrorisme transnational », et un maillon de « la menace globale. »[55] Abbassi Madani faisait la révolution quand certains des Benchicous s’enrichissaient par le harkisme et certains staliniens s’opposaient à l’indépendance au sein de l’internationale communiste, mais il convient politiquement au déraciné culturel, Rachid Mokhtari, de prétendre que le mouvement islamique, généralement assimilé au terrorisme dans sa feuille de chou, n’est pas un « mouvement de résistance nationale né de frustrations locales. »[56] Les cours introductifs aux études islamiques dans les universités occidentales respectables peuvent bien commencer par l’avertissement de ne pas pêcher dans le monolithisme, mais cet opportuniste ignare avance que les hommes de « Madani Mezrag ne sont pas des terroristes made in Algeria, mais le produit manufacturé de la ceinture de l’Internationale islamiste. Et celle-ci ne peut-être traquée que par cette filiation mondiale. »[57] Benyamin Netanyahu utilise la même ruse subsumant et dissolvant la résistance palestinienne dans « le terrorisme international. »[58] Le Jerusalem Post du 13 septembre cite plusieurs ministres israéliens estimant qu’« il ne faut pas gâcher l’occasion de refaire de Yasser Arafat une cible prioritaire de la coalition internationale contre la terreur. »[59]
Le deuxième type d’échafaudage dont fait usage les éradicateurs pour attirer le feu de la coalition sur le mouvement islamique algérien consiste à agiter le spectre qu’il représente, dans leurs fantasmes excités, aux intérêts de certaines puissances dans cette coalition. Benchicou trouve utile que la concorde « a été surtout un impardonnable revers stratégique et militaire qui a fragilisé davantage le tissu national et rendu l'Europe voisine encore plus vulnérable. »[60] Les Etats, les mouvements et les ouléma du monde musulman ont condamné sans réserve les attentats de New-York mais Benchicou trouve que ces attentats sont « la déclaration de guerre de l’Islam à l’Occident. »[61] Le fugitif Nezzar lui improvise qu’une « république islamique » en Algérie ferait « déstabiliser les pays du Moyen-Orient et ceux du Golfe » et constituerait « une base pour des attaques éventuelles contre l’Occident ‘impie’. »[62] Ce qu’il faut noter c’est que dans leur zèle pour « sauver l’humanité » du « péril islamique » ces éradicateurs oublient toujours de comptabiliser les risques que ce « danger » poserait, par exemple, à la Russie, à la Chine ou aux autres Etats ou civilisations « faibles » qui représentent pourtant la majorité de l’humanité. On n’a pas idée à alerter les powerless de la terre quand l’urgence est de sauver son pouvoir illégitime ainsi que sa peau de la justice criminelle internationale, et encore moins quand on est vomi par un peuple dont on craint les volcans de colère qui risquent un jour de nous balayer sur leurs passages.