Le sous-entendu totalitaire sur lequel repose cette argumentation ridicule en dit plus sur une mentalité fasciste coincée par quelque cachotterie, que sur les responsables de fait des crimes commis en Algérie. Les algérien(ne)s ne sont partisans de rien d’autre que comprendre les crimes dont ils ont souffert ces dix dernières années, une demande naturelle qu’on retrouve chez tous les peuples ayant éprouvé des guerres civiles. La meilleure façon d’y répondre c’est d’établir des commissions d’enquêtes indépendantes, expertes et impartiales, nationales, internationales ou mixtes, concernant tous les actes de violences. Tous ceux qui n’ont rien à cacher ont tout à gagner à ce que les vérités soient prouvées avec robustesse, démontrables, publiables et accessibles aux citoyens du monde entier.
Contrairement à ces apologues qui essaient de disculper leurs patrons militaires par dénégation, il est à parier que certains généraux souhaiteraient le faire en élargissant le cercle de la culpabilité, comme ils l’ont brillamment fait en Algérie : plus il y a de coupables et de complices moins chacun l’est. El Kadi Ihsan observe à juste titre : « Peut-on encore poursuivre les généraux algériens pour avoir mené une ‘sale guerre’ à la rébellion islamiste lorsque ‘le monde civilisé’ s’apprête à en livrer une autre ‘totale et sans limite’ à travers la planète entière ? »[35]
Il est probable que le discours de récupération d’Ariel Sharon, talonné par le droit pénal international pour les massacres de Sabra et Chatila, est lui aussi motivé en partie par un ressort de disculpation.
2. Quels sont les argumentations déployées dans cette campagne de récupération ?
Parmi la panoplie d’arguments déployés pour justifier les buts recensés ci-dessus, quatre formes de raisonnement demandent à être exposées et examinées étant donné leurs grandes fréquences d’utilisation : la remontrance, le ciblage par l’affiliation à Ben Laden, l’analogie dans la victimité et la similitude de la menace. Ils sont examinés à tour de rôle.
2.a. La remontrance
On observe que les échafaudages montés pour défendre les buts ci-dessus commencent presque tous par des remontrances aux Américains et aux Européens.
Le putschiste Nezzar, qui préconise d’éradiquer tous les islamistes ayant fuit sa campagne génocidaire et qu’il assimile – opportunisme oblige – à des terroristes, admoneste qu’« il est paradoxal et hypocrite de voir aujourd’hui certains pays européens verser des larmes de crocodile, alors que par laxisme et – pour certains, parfois hélas par lâcheté et par peur de représailles – se sont rendus coupables en abritant des terroristes sur leur territoire, soit en les défendant sous couvert des droits de l’Homme, soit en les affiliant dans associations croyant ainsi les contenir et manipuler. »[36] Hachemi Cherif lui catéchise : « nous ne pouvons que reprocher aux instances internationales d’avoir contrarié la lutte anti-terroriste en Algérie. »[37]
L’AFP cite un avocat anonyme, probablement Ali Haroun ou Miloud Brahimi, qui réprimande : « les Américains viennent d’apprendre à leurs dépends qu’on ne joue pas impunément avec les barbus. Ils ont récolté ce qu’ils ont semé. »[38] Quant à Benchicou, il vitupère que « l'Amérique aura mis dix ans à se réveiller à la réalité de l'Internationale islamiste, le temps qu'il ait fallu à l'Europe pour se convaincre du caractère fasciste de l'hitlérisme. »[39] Dans une autre de ses envolées baveuses, il fulmine contre « ces bandes enragées et enturbannées, curieusement hétéroclites, passablement endoctrinées, manipulables au besoin »[40] tout en grondant les Américains d’avoir cru que « le terrorisme islamiste » était « contrôlé »[41]. La rage de Benchicou le dispense de l’exigence de cohérence qui aurait du imposer à sa proposition des islamistes soit « manipulables » soit « incontrôlables » mais pas les deux à la fois.
On observe aussi que cette technique de récupération par la remontrance imputant le « manque de vigilance » aux Américains et aux Européens est le même stratagème qu’utilisent certains faucons du Likoud israélien. Par exemple Benyamin Netanyahu lui aussi reproche : « Après un interlude de plusieurs années où la vigilance contre le terrorisme s’est relachée, de nouvelles forces de terreur domestique et internationale ont émergé […] Ces forces comprennent principales diverses tendances de l’Islam militant qui considèrent que leur destin commun est une confrontation finale avec le Grand Satan, les Etats Unis. »[42]
La remontrance déployée ci-dessus n’est pas une argumentation mais une contrainte. Il y s’agit moins de persuader par des voies rationnelles que de préparer psychologiquement l’interlocuteur en le culpabilisant, en l’infantilisant ainsi qu’en le forçant, ici, sur le terrain des valeurs éradicatrices qu’il est censé avoir intégré.
2.b. Le ciblage par l’affiliation à Ben Laden
Un autre subterfuge auquel ont eu recours les éradicateurs algériens, pour fonder les quatre objectifs discutés ci-dessus, est l’imputation à leurs cibles politiques l’affiliation à Ben Laden. Par un opportunisme aussi stupéfiant que délirant, ils prétendent l’existence de liens entre Oussama Ben Laden, d’une part, et… Bouteflika… Hattab… Nahnah… Adami… Djaballah… Kherbane… El Djazira… Zaoui… le FIS, etc., d’autre part. On choisit la cible selon la convenance politique ou les ordres du chikour militaire de permanence, et puis on la déclare liée à Ben Laden, un procédé d’une rigueur comparable aux méthodes d’établissement des procès verbaux de police dans la république de la torture.
Par exemple, Benchicou exalté bave des absurdités du genre « quand Bouteflika tendait la main à Ben Laden » et « Ben Laden a refusé la main tendue de Bouteflika », suggérant une affinité entre Bouteflika, le FIS et Ben Laden, et que « le chef de l'Etat, par sa procession ininterrompue d'abdications, était sur le point de livrer l'Algérie au milliardaire saoudien. »[43] Avec un opportunisme répugnant, pornographique, cet énergumène râle que Nahnah et Adami sont des « soldats » et des « lieutenants » de Ben Laden, alors que l’opinion publique algérienne est au fait de ses amis généraux qui les contrôlent.[44] Youcef Rezzoug, feuilliste aux ordres d’un chaouche connu de la DRS, lui annonce au monde qu’il a fait plusieurs grandes découvertes : « Ben Laden, le milliardaire saoudien, est à l'origine de la création du GSPC dirigé par Hassan Hattab », que « Ben Laden a proposé à Kherbane la dénomination de Groupe salafiste pour la daâwa et le djihad et la création du bureau de la coordination du FIS en Europe, dont la présidence est revenue à Ahmed Zaoui. »[45] Ce préposé aux mensonges affabule même que Ben Laden a noué des liens avec Djamel Zitouni du GIA,[46] même si en Algérie c’est le secret de polichinelle que le retourné Zitouni et l’organisation de contre-guérilla qu’est le GIA relèvent de l’autorité de leur Emir National, le général Mohamed Mediène, ainsi que de la guidance opérationnelle à défaut de spirituelle, entre autres, du Hadj Smain et du général Kamel Abderahmane, comme l’a expliqué au monde arabe le colonel Samraoui.
Il faut remarquer, encore une fois, que les pires fascistes du Likoud israélien ont recours aux mêmes techniques que leurs analogues éradicationistes algériens. Par exemple, le ministre de la sécurité intérieure, Uzi Landau, prétend « qu’il y a des preuves, qui sont plus que circonstancielles, de l’existence de liens entre le président de l’Autorité Palestinienne Yasser Arafat et le millionnaire saoudien devenu terroriste Oussama Ben Laden. »[47] Benyamin Netanyahu lui fait même de l’essentialisation en appelant les Etats Unis à diriger le combat contre « les Ben Ladens, les Arafats et les Saddam Husseins du monde. » Quant au boucher de Sabra et Chatila, Ariel Sharon, il dira à Colin Powell au lendemain des attentats : «À chacun son Ben Laden […] Le nôtre s’appelle Yasser Arafat. »[48] Ce génocideur qui promeut l’éradication des palestiniens hurle : « Chacun doit comprendre que la terreur que Arafat dirige contre Israël et les citoyens israéliens depuis maintenant 30 ans est similaire à la terreur de Ben Laden contre les citoyens des USA. »[49]