Les Algériens savent qu’en fait la dite « concorde civile » est l’œuvre des généraux éradicateurs, Bouteflika n’en a été que le vendeur, et qu’elle est fondée sur le mensonge et non la vérité, sur la violence et non la paix, sur l’impunité et non la justice, sur l’amnésie et non la mémoire, et sur l’arrogance et non la pénitence. Mais les éradicateurs idéologiques, militaires et politiques, enhardis par la croisade mondiale qui s’annonce, révisent leurs objectifs à la hausse et veulent plus que la capitulation des « concordistes » jadis « égarés » et maintenant « repentis ». Ils visent « l’éradication physique totale et définitive de l’islamisme radical. »[16]
L’intégriste stalinien Hachemi Cherif planqué au Club des Pins enflamme : « Logiquement, la coalition qui se met en place devrait encourager l'Algérie à intensifier son combat contre le terrorisme. »[17] El Kadi Ihsane note que « non seulement les dirigeants algériens et arabes […] sont désormais certains d’être compris pour leurs méthodes liberticides et illégales de lutte contre leurs terrorismes et leurs oppositions pacifiques, mais ils s’attendent légitimement à être confortés dans leurs options les plus alarmantes pour les droits humains et la vie citoyenne. »[18]
On observe la même forme de récupération dans la presse israélienne. Analogiquement aux attaques éradicatrices contre Bouteflika et sa concorde, les faucons du Likoud attaquent Arafat et sa « paix des braves. » Le ministre israélien de la défense Binyamin Ben Eliezer a clamé que Arafat serait « fini » s’il perdait sa légitimité internationale après ces attentats et qu’il « aura du mal à se dissocier du terrorisme. »[19]
En plus de l’affaiblissement de Arafat, les sionistes ont, dans un premier temps, exploité le choc mondial au lendemain de la tragédie pour intensifier et « couvrir leur agression barbare contre les Palestiniens. »[20] Comme l’a noté le journal syrien Athawra, ils y ont vu « une occasion en or pour tuer davantage de Palestiniens sans que le monde intervienne. »[21]
L’accalmie courante sous pression américaine n’est qu’une révision à la hausse des objectifs des éradicateurs sionistes. Ra’anan Gissin, un assistant important d’Ariel Sharon, déclare qu’il y aura « plus de sympathie dans le monde envers l’idée qu’une activité proactive est nécessaire contre la terreur sous le leadership des USA. »[22] Le terroriste d’Etat Binyamin Netanyahu lui souffle qu’« il est temps de s’attaquer aux régimes islamiques militants avec une très grande force. Nous devons écraser l’infrastructure terroriste qui menace le monde entier. »[23] Il instigue : « Les USA doivent diriger une alliance de nations libres pour éradiquer le terrorisme et déraciner ses refuges. […] Nous devons détruire les organisations terroristes, punir et démanteler les régimes qui les soutiennent ou abritent, et les désarmer. Les suicideurs ne sont que la pointe de l’iceberg. Leurs actions n’auraient pas été possibles sans une infrastructure vaste de gouvernements, d’organisations et mouvements idéologiques qui soutiennent la terreur, directement et indirectement. »[24] Même une grand-mère priant Dieu de sauver les musulmans de l’oppression et de vaincre les tyrans se sentirait ciblée par l’« indirectement » du terroriste Netanyahu et son programme pharaonique d’éradication du monde musulman.
Les parallèles qui existent entre la récupération par l’intégrisme éradicationiste d’Alger et la récupération par le sionisme éradicateur de Tel Aviv ne relèvent pas simplement d’une convergence islamophobique ou d’une similitude idéologique fasciste. Noam Chomsky observe que les attaques terroristes, et l’escalade du cycle de violence qu’elles engendrent souvent, tendent à renforcer l’autorité et le prestige des éléments les plus bellicistes et les plus répressifs de la société.[25]
1.c. Acquérir le soutien international à l’éradication du FIS
Les éradicateurs d’Alger souhaitent mettre à profit la réaction américaine pour plusieurs objectifs internationaux de guerre.
Rejoindre la coalition confèrerait une légitimité internationale, par défaut, à leur campagne génocidaire pour recomposer le champ politique algérien par la terreur. Même s’ils ont été tolérés, les putschistes ont toujours été mis en quarantaine, vu la difficulté de dissimuler leur coup d’Etat et leurs crimes plutôt criards, et ils ne désespèrent pas d’acquérir le statut international officiel de sauveurs de l’humanité de « la déferlante intégriste mondiale »[26], par exemple en siégeant dans « une commission spéciale internationale qui sera chargée de travailler sur le dossier du terrorisme intégriste » comme le préconise le DG de la Torture Nationale.[27]
En sus, comme le dit Brerhi pour ses contrôleurs militaires, « le moment est plus que jamais à la solidarité internationale contre le fléau terroriste pour l'éradiquer en profondeur, »[28] la profondeur voulant dire « mettre hors d’état de nuire » principalement les représentants du FIS à l’extérieur, en livrant des listes de noms et « des renseignements sur les islamistes domiciliés à l’étranger qui y ont bénéficié des largesses diplomatiques et du droit d’asile. »[29] Bien sur, toutes ces listes et informations sont déjà établies, avec « fiabilité » grâce à la torture, par les soins de Hadj Smain Lamari, d’autant plus qu’à en croire le communiqué récent du MAOL sur le retour de l’officier Ahmed Bidar d’Afghanistan[30], Hadj Smain ne désespère pas d’atteindre l’exploit de 3 millions de victimes avant sa retraite.
L’autre soutien international que recherche les généraux envoûtés par la quincaillerie militaire comme solution à leurs bourbiers politiques, c’est que les Américains leur livrent « des équipements de haute technologie et les images satellites en leur possession sur les mouvements des groupes armés islamistes algériens, »[31] bien sûr pour renforcer les équipements de haute technologie que leur ont déjà fourni les Américains (radars AN/TPS-70, systèmes de surveillance AVS et MTS), les Français et les Sud-Africains (hélicoptères Ecureuil et Rooilvak, drones, équipements à vision infra-rouge, armes chimiques etc.) ainsi que compléter les images satellites que leur fournit déjà le satellite de surveillance du Maghreb Hélios I.
1.d. Disculper les responsables de crimes contre l’humanité en Algérie
Le quatrième objectif qui ressort de façon récurrente dans cette campagne de récupération c’est la tentative de se disculper des suspicions graves concernant une, et une seule, catégorie de crimes contre l’humanité perpétrés depuis 1992 : les massacres. On ne trouve pas de déclarations exploitant la tragédie américaine pour s’absoudre des accusations de crimes tels les emprisonnements politiques, les tortures ou les disparitions forcées.
Par exemple le DG de la Torture Nationale, Tounsi, proclame que le monde entier sait désormais « qui tue qui. »[32] Sous-entendant que les attentats aux USA prouvent que tous les islamistes, dont ceux d’Algérie, sont criminels, l’ex-tortionnaire de l’armée française clame : « les partisans du ‘Qui tue qui ?’ sont désarmés. »[33] Le général Abdelhamid Djouadi lui déclare que « la preuve est faite que ce sont les intégristes qui tuent » en Algérie, sans expliquer le processus d’inférence qu’il a utilisé pour faire cette déduction, chose qui en dit long sur son penchant pour la généralisation et son inaptitude à la différenciation, qui vont dans le sens des graves suspicions concernant son commandement des massacres, sans distinction, au napalm dans sa région (5eme RM). Benchicou tente de disculper ses patrons militaires bellicistes en exploitant le même sous-entendu du colonel Tounsi auquel il malaxe une admonestation aux américains pour se farder d’autorité démonstrative : « L'Amérique est victime de l'image inoffensive que l'opinion occidentale a fini par avoir des terroristes et que Washington a contribué puissamment à fabriquer. N'est-ce pas l'ancien ambassadeur des Etats-Unis qui émettait publiquement des doutes sur les auteurs des massacres avant même que Yous Nasroullah et Habib Souaidia ne viennent à parler de ‘sale guerre’ et d'accuser les généraux de l'ANP de laver le GIA de ses crimes, sous les encouragements parisiens ? »[34]