Pour continuer avec la commémoration du 19 mars, fête de la victoire, où des évènements marquants se sont déroulés cette année sur le sol français, l’accent sera mis cette fois-ci sur les participants au rassemblement que le régime a organisé à la place du Colonel Fabien.
Quand il s’agit d’un régime militaire totalitaire qui incarne la dictature dans toutes ses formes, la première chose qui vient à l’esprit à propos des pro-régime : ce sont des gens opportunistes, qui ne respectent que leurs intérêts, et les valeurs humaines n’arrivent pas à trouver une place chez eux. Car toute personne dotée de raison, si elle ne se prononce pas contre l’injustice du régime, elle s’en éloigne, au moins, et ne participe pas dans les activités pour le soutenir. En plus, il est certain que les opportunistes ne peuvent pas construire une base solide sur laquelle on peut soutenir loyalement une idée ou bien une cause. Leur rôle consiste généralement à faire semer des perturbations et créer des secousses sur le chemin de l’opposition. Les visages lamentables que l’on apercevait dans les vidéos réalisées à la place Fabien le 19 mars 2023 ainsi que leurs paroles et cris que l’on écoutait en témoignent.
Ce qui était surprenant est que le nombre de participants était plus grand que prévu, car l’injustice du motif de ce rassemblement fait pour soutenir un régime dictatorial n’encourage pas en principe les gens à le rejoindre. Il était plus volumineux qu’à la place de la république, où les gens manifestent depuis 213 dimanches. On estime le nombre à plus de 900 participants ! Ce qui conduit à en déduire qu’il y en a aussi d’autres types de participants, hors les opportunistes. Il y avait les Harragas, faciles à manipuler à cause de leur situation précaire, qui ne cherchent qu’à la régler ; ainsi que les gens ayant des situations régulières, que nous pouvons considérer comme des naïves, ceux qui croient aux mensonges du régime. Pour ces deux catégories, un vrai travail de sensibilisation doit être fait par l’opposition, avec respect et sans mépriser quelle que soit la situation. Car si on veut convaincre quelqu’un de la justice d’une cause en l’insultant en même temps, il ne va jamais nous écouter et nous faire confiance.
Une autre observation importante a été faite par Pr. N. Aoussat, très favorable au maintien du rassemblement à la place de la république, qui a affirmé qu’il y avait d’autres catégories de participants que celles précitées. En se basant sur des connaissances personnelles, il a déclaré que parmi les participants il y avait des gens ayant un niveau d’éducation très élevé, possédant de hautes positions en France telles des médecins et des chercheurs, et qui ont participé aux marches de Hirak en Algérie. Selon ce témoignage, on ne peut pas considérer ces derniers comme naïves ou opportunistes, ou mêmes détournés, ce qui est très probable de se produire de notre point de vue, mais le nombre élevé rend faible cette probabilité. De ce fait, Pr. Aoussat a appelé à une vraie réflexion sur ce sujet, loin de toute idée préconçue, à laquelle nous essayons d’apporter notre contribution ici.
En réalité, beaucoup de participants de cette dernière catégorie qui sont docteurs, ingénieurs, universitaires, etc., et qui sont toujours à Paris, ont décidé de quitter les marches de Hirak pour des raisons dont nous allons aborder quelques-unes par la suite. Mais la nouvelle réalité, que ce rassemblement à la place du Colonel Fabien nous a permis de constater, est qu’il y en a parmi eux ceux qui n’ont pas uniquement cessé de soutenir le Hirak, mais ils sont, malheureusement, devenus des pro-régime. Ceci est vraiment grave et nécessite une analyse et révision sincères de toutes les actions entreprises au sein du Hirak, dont le présent article n’est pas capable de le faire d’une manière exhaustive. Ce n’est pas pour décourager les gens ou bien montrer nos faiblesses au régime, qui les connait déjà, ou bien accuser quiconque. C’est plutôt pour reconnaître et corriger les mauvais comportements perçus par le peuple, et dont l’opposition ne s’est peut-être pas rendu compte. C’est pour pouvoir continuer dans la bonne direction, pour en arriver au point où le régime sera obligé de nous écouter.
Avant de parler davantage de la catégorie des instruits, dont la participation est très importante dans la lutte pacifique, et la présence au rassemblement pro-régime était surprenante, on aimerait bien dire un mot sur certains rapports que nous observons dans le contexte du Hirak. Notre société peut être divisée en quatre catégories : (1) le régime injuste auquel nous nous opposons, (2) ses soutiens par intérêt, qui sont peu nombreux, (3) les opposants, qui ne sont pas très nombreux, et (4) la majorité du peuple qui contient, parmi d’autres, les naïves et les bien éduqués. Avec l’avènement du Hirak qui fut un vrai cauchemar pour les deux premières catégories et une belle bouffée d’espoir pour les deux dernières, le régime n’a pas cessé ses pratiques qui varient des manœuvres de manipulation et de division aux plus hauts degrés de répression, qu’il n’arrête pas d’utiliser malheureusement car il craint toujours que les choses basculent. L’opposition, à son tour, a essayé de faire son mieux avec des hauts et des bas. Et la majorité du peuple a bien réagi également pendant deux années consécutives sans cesser de manifester jusqu’à l’arrêt forcé à cause de la pandémie du Covid-19, puis la répression du pouvoir. Ces manifestations n’ont pas connu le même élan les deux dernières années, pour des raisons liées d’une part à la répression du régime qui a pu gagner plus de temps, d’autre part à cause de certaines erreurs commises au sein de l’opposition. La première raison était difficile à subir et en même temps pas surprenante en raison de la nature bien connue du régime. Tandis que la deuxième son impact était plus lourd pour des raisons multiples, ce qui a conduit à perdre une chose difficile à acquérir et très facile à perdre, la confiance ; ceci en particulier chez les personnes instruites.
Revenons maintenant à l’interpellation faite par Pr. Aoussat, concernant la catégorie des instruits. De notre point de vue, la perte de cette catégorie ne revient pas au fait que le régime a vraiment changé et a pu les convaincre de sa bonne gouvernance. C’est plutôt la mauvaise appréciation de la nature de cette partie du peuple par l’opposition qui en est la raison la plus probable. Ces gens très stables socialement, surtout ceux qui sont à l’étranger, ayant les capacités intellectuelles pour soutenir le Hirak, et qui sont aussi financièrement aisés, et personne ne peut nier l’importance des fonds pour faire réussir notre opposition. En revanche ce qui était mal pris en considération, c’est que ces gens sont rationnels, logiques, et que le discours qui s’est répandu ne les a pas satisfaits. Maintenant le fait qu’ils soient arrivés au point de ne plus faire confiance à l’opposition, sur laquelle ils mettaient beaucoup d’espoir, et aller soutenir une dictature, ça veut dire qu’ils ont subi une grande déception.
Il est vrai que l’effort mené par l’opposition reste toujours humain, avec le manque d’expérience, l’écart entre les idées théoriques et la pratique, et la nature humaine qui est simplement faible. Mais certains dépassements ont malheureusement conduit à la perte de telles capacités. En fait, ce qu’il ne faut pas oublier c’est que la tâche de l’opposition, actuellement, est plus lourde et plus difficile que celle de la génération qui a fait la guerre de libération ou bien avant. Parce que maintenant les gens ont acquis des prérequis de cette guerre et les évènements qui en ont suivi, ils ont toujours dans l’esprit les Mehri, Aït Ahmed, Boudiaf, Ferhat, Benkhedda, Ben Badis, Hadjeres, Ali Yahia, Bouregaa,… Cette génération qui a fait élever les standards du bon politicien et militant. Sans oublier Messali, avec tout ce qu’il nous doit, et son égocentrisme, et aussi Ben Bella et Boumediène et leur détournement ! En plus, l’expérience des années 90 a donné beaucoup de leçons. Et le plus important est que ces gens ont compris que la revendication de changer la nature d’un système militaire c’est quelque chose de très haut, et ils s’attendaient à ce que l’opposition soit à la même hauteur, ce qui n’a malheureusement pas été le cas.
Si on veut revenir sur quelques constats qui ont été faits au sein des marches ou ce qui a été vu sur les réseaux, que ces instruits auraient aimé ne pas voir : certains slogans dans les marches qui ne reflétaient pas pour eux les vraies raisons de leur mobilisation, ce qui a mené au recul de certains participants dès le début ; la valeur attribuée aux gens inconnus dans les marches qui ne prononcent que des insultes, surtout à l’étranger ; le caractère controversé de certaines figures du Hirak, qui traduit leur immaturité à pouvoir mener cette lutte pacifique ; la non transparence sur plusieurs sujets ; le solidarité sélective entre militants et le manque de respect face aux différences ; le discours de l’exclusion au lieu de débats entre les différentes composantes pour arriver à un cadre qui accommode toutes les composantes de notre société, les différentes agoras à la place de la république étant un exemple ; le retrait des personnes capables de construire des ponts entre différentes idéologies ; la quête de l’héroïsme et l’apparition de certains titres et grades de militantisme, alors que seule l’Histoire peut juger ; la marginalisation de certains militants de la première heure ; le mépris envers une partie naïve du peuple qui a soutenu le régime en allant voter, et la création d’une nouvelle division au sein du peuple ; les humiliations pratiquées par certains opposants à l’étranger dû à la différence des conditions et leur manque de respect envers des gens qui vivent en Algérie, que ce soit les politiciens et leurs propositions dans le cadre de changement, au lieu d’en discuter, ou envers les masses populaires où les pères de familles, par exemple, qui se retrouvent obligés de faire les queues pour apporter du lait et de la semoule à leurs enfants ; et d’autres…
Pour une personne rationnelle tout cela est difficile à accepter sous prétexte que l’autre est un opposant au régime. Pour elle, l’honneur du peuple violé par le régime ne peut être récupéré que par des personnes qui incarnent en elles les notions d’honneur.
Peut-être certaines personnes n’aimeront pas ce qui est dit ici, mais c’est l’amère réalité qu’il ne faut pas éluder, qui a poussé les gens à la déception puis à soutenir une dictature. Pour éviter la polémique concernant le mot ‘‘critique’’ qui doit comporter les deux volets, positif et négatif, où certaines personnes préfèrent n’écouter que le positif, et prendre le négatif comme des accusations et non comme un outil essentiel pour se perfectionner, nous présentons ces propos comme un ‘‘feedback’’ basé sur ce qui a été vécu et observé. Bien sûr, cela reste une opinion qui peut être correcte ou erronée. Mais ce que nous espérons le plus, c’est toujours rechercher les bonnes manières menant à la bonne conduite de notre opposition, pour redonner l’espoir au peuple, et obliger le pouvoir finalement à nous répondre et nous rendre nos droits. Pour ne pas être trop pessimiste, on finit par dire : commettre une erreur n’est jamais une erreur en soi, mais ne pas la reconnaître et la corriger c’est l’erreur fatale.
Fadia Rabi’e
3 avril 2023