L’Algérie des clans, depuis sa prise du pouvoir en force en 1962 a dénaturé l’image de l’Algérie et de l’Algérien. D’une grande épopée de la guerre de libération, l’Algérie de l’Armée des Frontières au lendemain de sa naissance, avec le « Redressement révolutionnaire » nous a vendu un rêve d’une Algérie grandiose et exemplaire dans les textes et dans le discours officiel alors qu’elle était grossede ce qu’est devenue l’Algérie d’aujourd’hui : le lieu de la corruption morale généralisée, de la détresse sociale et de la non-vie. Et l’Algérien dont la condition natale en 1962 fut la pauvreté, la fierté, la solidarité, l’honneur, la fraternité, la générosité et le sens du sacrifice[1] s’est trouvé emporté dans une grande machination idéologique et mensongère pour finir à se maudire et à se nier dans son être d’être algérien « Yana’alboualanajazaïri ». Du « Redressement Révolutionnaire » au Colonialisme intérieur, de l’homme au cigare[2] à l’homme de la Cocaïne, de l’Armée des frontières ( dans ses trois moments : Boumediene-Nezzar-Gaid Salah) à une Armée d’occupation. La réforme constitutionnelle atteste et signe que l’esprit de l’Armée d’Afrique contre lequel nos pères se sont soulevés veut asseoir de nouveau son règne sur l’Algérie.
Face à cette volonté s’est dressé le soulèvement populaire du 19 février et à travers lui la figure emblématique de Ammi Lakhdar. Il représente la jonction entre la génération du mouvement national indépendantiste et celle d’aujourd’hui.
Le soulèvement du 22 février est l’acte fondateur de la naissance de l’Algérie nouvelle. L’Homme Bouregaa incarnait de son vivant le symbole de toutes les luttes du peuple algérien. La lutte contre le colonialisme français pour la liberté de l’Algérie et la lutte contre l’Algérie des clans pour la liberté et la dignité de l’Algérien. Sa mort est un moment national qui convoque l’histoire contemporaine de l’Algérie pour nous secouer vivement en nous posant deux questions capitales : que signifie aujourd’hui être Algérien et quelle Algérie nouvelle voulons-nous bâtir ?
Si pour Rachid Benaissa en 1994, dans un article publié à El Watan avançait l’hypothèse qu’être Algérien ne signifie plus rien[3], il est impératif, à l’aube de la secousse révolutionnaire que vit notre pays de se poser cette question : que signifie être Algérien aujourd’hui ?
La figure d’Ammi Lakhdar s’impose à nous pour comprendre notre histoire depuis 1962. Il représente la figure du Moudjahid et Boumediene celui du Militaire. D’un côté la figure du sacrifice, du dénuement, de la fraternité, de la générosité et de la liberté et de l’autre côté la figure de la soifdu pouvoir, du complot, du crime, de l’oppression et de l’indécence. D’un côté l’image du peuple et de l’autre la Nomenklatura. D’un côté, un homme pour qui vivre c’est être au service de la grandeur de son peuple et le servir, et de l’autre côté, un homme dont la seule motivation était d’être le Maître de l’Algérie et d’asservir les Algériens. La notion de Rab dzaïr n’est pas le fruit du vide mais le prolongement de la réalité du Boumediénisme à l’état brut. La force sans le voile mensonger de l’idéologie du « Redressement Révolutionnaire ». Toufik est la vérité de Boumediene.
Être algérien aujourd’hui signifie que nous sommes sommés de choisir entre les deux figures. Pour cela, à la Génération Silmiya, de déconstruire le mythe de Boumediene. Celui-ci en imposant un climat de terrorisme intellectuel et d’oppression, en falsifiant l’histoire, en faisant la chasse mortelle aux figures historiques et par une propagande médiatique a pu se présenter comme le seul héros de l’Algérie. Il a effectivement fabriqué une nouvelle société et un nouvel algérien qui a perduré jusqu’aux fins des années 80[4] et qui ont sacralisé son nom et ont fait de lui une idole. Si en désertant la scène politique en 1962 par son cri sabaa snin barakat (sept ans ça suffit), le peuple a commis une erreur politique, en idolâtrant Boumediene, il a commis un crime historique. Nous avons fait d’un Imposteurle visage de l’Algérie.
L’esquisse de l’Algérie nouvelle se dessinera sur la base de ce choix. Entre un homme du peuple fidèle à l’histoire de celui-ci, Ammi Lakhdar, et l’homme au cigare, plein de calcul et d’arrogance et méprisant le peuple. En un mot : entre un Algérien et un anti Algérien.
Sur le versant de ces deux histoires, de ces deux figures, la circonstance du jour de son enterrement nous a aussi livré l’image de leurs héritiers et l’image de l’Algérie Nouvelle. Du côté d’Ami Lakhdar, l’autre fils du pauvre et du peuple : Karim Tabou.Et de l’autre côté, la mise en liberté du fils spirituel de l’Armée des frontières et des DAF (les Déserteurs de l’Armée française) Amara Benyounes. L’Algérie Nouvelle dont l’acte de naissance est le 22 février 2019 s’inspire de l’exemplarité d’Ammi Lakhdar et continue sa lutte pour libérer l’Algérien. L’Algérie Nouvelle des Gangs, par cette constitution et la mise en liberté des voleurs et des mercenaires politiques, enterre l’Algérie du mouvement national pour l’indépendance et signe le retour de l’Algérie française.
Notre fidélité à Ammi Lakhdar et à sa mémoire, notre fidélité à l’Algérie du peuple et à son histoire doit s’inaugurer par ce cri qui doit se traduire en un véritable programme politique – comme signe providentiel, son enterrement coïncide avec la mise en liberté de Amara Benyounes, un visage de l’Algérie des Gangs- : « YNA’AL BOU LI HABKOUM » (Que Dieu maudisse ceux qui vous aiment).Ce n’est que la traduction de l’autre slogan phare de la révolution populaire YATNAHAOO GAA (qu’ils dégagent tous).
*Lakhdar BOUREGAA (1933-2020) Grande figure du mouvement national, de l’opposition à l’Armée des Frontières et à son chef Boumediene et à ses héritiers (Nezzar, Gaid Salah) ; par sa droiture, sa simplicité, son honnêteté et son combat, il incarne le vrai visage de l’Algérien.
Mahmoud SENADJI ( Vigilance Populaire)
[1] Je renvoie le lecteur au livre de Mouloud Feraoun « Le fils du pauvre » qui respire et traduit ces valeurs.
[2] Jusqu’à ce jour, je ne peux oublier le cigare de Boumediene. Ce seul exemple suffit à démontrer que l’homme n’a aucun rapport avec son histoire et celle du paysan algérien. Qui dans ma génération, née entre1950-1960, a vu son père fumer le cigare ? Si on ajoute le choix de sa femme Anissa, une aristocrate, incapable de prononcer correctement une phrase en langue arabe et ayant sa couturière et sa coiffeuse à Paris, suffit à nous convaincre que l’homme n’avait que haine et mépris pour l’Algérien du peuple, la classe dont il est issu et qu’il renie.
[3] Dans cet article que je cite de mémoire, Rachid Benaissa développe l’idée que les peuples n’appartiennent pas à des géographies mais à des aires civilisationnelles. Et dans ce même article, il affirme qu’en Algérie n’existe qu’un seul parti : celui du DRS (la Police politique).
La question qui se pose alors d’elle-même : Le DRS a-t-il une idéologie ? Et si c’est oui. Laquelle ?
[4]Une anecdote pour expliquer comment Boumediene s’est approprié la conscience des Algériens : durant les vacances de l’année 79, deux frères étudiants en France ont invité leurs deux amis français à visiter l’Algérie. En famille, seuls avec le père des Algériens, un lui demanda ce qu’il fait dans sa vie. La réponse du père fut immédiate et parlante sur l’esprit de l’époque : « Moi, je suis le Boumediene des enfants ». Tuer en nous ce faux père, cette idole sera la voie de notre libération.