Il y avait eu Christiane Taubira, alors ministre de la Justice, représentée en singe, par Charb dans Charlie Hebdo, et à qui des manifestants blancs jetaient des bananes. Maintenant nous avons Danièle Obono, députée de LFI, dépeinte enchaînée en esclave dans Valeurs Actuelles. Voilà où en est le pays des Lumières dans lequel les ethnocrates s’indignent de ne même plus pouvoir insulter publiquement les Noirs de « nègres »[1].
Mais ce déversement de négrophobie ne s’inscrit-il pas dans une politique suprémaciste mise en œuvre au plus haut sommet de l’État depuis plusieurs mois[2] ?
Le 31 octobre 2019, Emmanuel Macron accordait un grand entretien à Valeurs Actuelles afin de s’adresser à « tous les Français », c’est-à-dire concrètement aux suprémacistes blancs qui lisent cet hebdomadaire.
Emmanuel Macron savait parfaitement à qui il s’adressait puisqu’il justifia publiquement son choix controversé. En effet, il ne faut pas être un grand spécialiste de l’histoire de la presse ou de l’extrême-droite française pour connaître l’orientation idéologique de Valeurs Actuelles depuis sa fondation.
Mais pourquoi ce secret de Polichinelle reste rarement évoqué dans les grands médias ?Pourquoi l’engagement politique à la droite de la droite des journalistes de Valeurs Actuelles qui interviennent dans les émissions de télévision, n’est-il presque jamais évoqué ?
Rappelons quelques faits.
Valeurs Actuelles a été fondé en 1966 par Raymond Bourigue qui était partisan de l’« Algérie française » et membre des Comités de l’Alliance républicaine pour les libertés et le progrès (ARLP), mouvement politique fondé par Jean-Louis Tixier-Vignancour. Ce dernier fut notamment connu pour avoir été le défenseur de l’écrivain antisémite Louis-Ferdinand Céline en 1948 et du général Raoul Salan lors des procès de l’OAS en 1962.
Parmi les premières plumes de l’hebdomadaire, nous retrouvions notamment, sous le pseudonyme de François Vinneuil, Lucien Rebatet, qui commença sa carrière à l’Action Française avant de rejoindre en 1932 Je suis partout, principal journal collaborationniste et antisémite français sous l’Occupation.
En 1966, François d’Orcival et Fabrice Laroche (Alain de Benoist), deux jeunes militants d’extrême-droite, publiaient un livre à la gloire de la Rhodésie du Sud préfacé par Ian Smith, le dirigeant du régime raciste rhodésien, en personne[3]. En ce temps là, l’actuel Zimbabwe possédait un régime raciste inspiré par celui de l’Afrique du Sud de l’Apartheid voisine.
La même année François d’Orcival commença à travailler pour l’hebdomadaire Valeurs Actuelles dont il devint une figure centrale au fil des années. Ainsi, tout en poursuivant son engagement militant à la droite de la droite, en 1977, il devint le rédacteur en chef de Valeurs Actuelles. En 1984, il fut nommé directeur de la rédaction du même Valeurs Actuelles.
Les « nouvelles figures » de Valeurs Actuelles sont tout autant engagées à la droite de la droite que leurs aînés. Le directeur de la rédaction, Geoffroy Lejeune, est un proche de Marion Maréchal alors que la journaliste Charlotte d’Ornellas est une proche des Identitaires puisqu’elle a notamment fondé le magazine France avec l’ancien porte-parole de Génération Identitaire, Damien Rieu.
Ces dernières années, l’hebdomadaire a été condamné deux fois pour provocation à la haine raciale. Le 3 février 2015, Yves de Kerdrel, alors directeur de la publication de Valeurs Actuelles, a été condamné pour provocation à la haine raciale pour la couverture du 22 décembre 2013 qui représentait une Marianne « voilée » accompagnée du titre : « Naturalisés : l’invasion qu’on cache »[4]. Un mois plus tard, le 5 mars 2015, Yves de Kerdrel, a été condamné pour provocation à la discrimination, la haine ou la violence envers les Roms et diffamation pour un dossier consacré aux Roms.
Les injures contre Danièle Obono ne sont donc nullement un « dérapage » ou une « erreur », comme le font croire certains pour dédouaner les rédacteurs de l’hebdomadaire suprémaciste. Le racisme est un des piliers idéologiques de Valeurs Actuelles depuis sa fondation et la négrophobie fait intégralement partie de son ADN. L’affaire Danièle Obono n’est que le dernier avatar d’un suprémacisme blanc qui s’étale depuis plus de cinquante ans.
Mais revenons à Emmanuel Macron.
En accordant son interview à un magazine déjà condamné pour provocation à la haine raciale et provocation à la discrimination, la haine ou la violence envers les Roms, Emmanuel Macron, de par sa fonction, donnait donc un gage de respectabilité à un hebdomadaire dont l’influence semble disproportionnée par rapport à ses ventes qui restent relativement modestes.
Dans cet entretien, Emmanuel Macron cherchait à séduire l’électorat suprémaciste en lançant sa campagne contre le « séparatisme ». Il attaquait notamment les musulmans mais aussi les autres minorités non-blanches et ceux qu’il nommait les « tiers-mondistes marxisants ».
Alors aujourd’hui, Emmanuel Macron appelle Danièle Obono et condamne l’attaque raciste dont elle a été l’objet. La macronie s’indigne, la droite condamne, le PS s’offusque… Mais qui patauge depuis des années dans le caniveau du racisme en général et de la négrophobie dans le cas qui nous occupe ? Qui a donné une telle audience à cette publication ? Qui s’attaque systématiquement à toute « personnalité » non-blanche qui conteste l’ethnocratie ?
Évidemment la doxa française nous rappellera que la négrophobie c’est les États-Unis ou l’Afrique du Sud de l’Apartheid ; pas la France républicaine et égalitaire. Pourtant la réalité balaie cette doxa et du fond de la cale d’un navire négrier ou sous le soleil brûlant d’une plantation de cannes à sucre les Lumières émancipatrices de la France sont bien difficiles à percevoir.
Alors, au bal des hypocrites, les ethnocrates cherchent à se refaire une virginité antiraciste à peu de frais.
Youssef Girard
[1] Cf. La polémique sur le changement du titre d’un roman d’Agatha Christie qui l’avait elle-même déjà changé en anglais.
[2] Évidemment, la négrophobie s’inscrit dans un temps beaucoup plus long qui est celui de la traite négrière et de l’esclavage.
[3] Cf. Rhodésie pays des lions fidèles, Paris, Ed. La Table Ronde, 1966. Un an avant, François d’Orcival et Fabrice Laroche (Alain de Benoist), qui s’était engagé dans le combat pour l’« Algérie française », avaient publié un livre en défense de l’Organisation de l’Armée Secrète (OAS). Cf. Le courage est leur patrie, Paris, Ed. Saint Just, 1965.
[4] Ce jugement est annulé par la Cour de cassation le 7 juin 2017.