La révolution tunisienne s’est directement répercutée dans un espace géopolitique déterminé qui partage une culture et une langue, l’espace arabe. Au fil des semaines cette unité pratique immédiate s’est exprimée dans les révolutions égyptienne et libyenne mais aussi dans les multiples mouvements de contestation qui se sont mis en branle dans différents pays arabes du Bahreïn au Maroc en passant par le Yémen, la Jordanie ou Oman. L’unité arabe n’est plus une option idéologique d’un courant politique déterminé mais l’expression de l’action concrète des masses populaires qui expriment leur communauté de destin en actes. L’idée unitaire a pris une forme tangible au travers des révolutions à l’œuvre.
L’idée de l’unité arabe repose sur un socle identitaire ancien, le partage d’une même langue, et un héritage historique commun qui sont de puissants vecteurs de l’idée unitaire. Ce socle identitaire et cet héritage culturel n’empêchent pas des expressions culturelles différenciées selon les pays et les régions de la communauté arabe tout comme les spécificités locales ne sont pas incompatibles avec l’expression du sentiment d’une unité de destin. Récemment, l’idée unitaire a indubitablement été renforcée par les médias et les moyens de communication arabes transnationaux dont l’action participe à renforcer et à ancrer l’idée d’une unité de destin entre les peuples des différents pays arabes.
Cette unité, qui s’exprime dans le soulèvement, aura une importance encore accrue dans la phase à venir car elle sera indispensable pour mettre en œuvre les idéaux révolutionnaires des peuples en lutte. Les peuples arabes ne pourront faire face aux manœuvres de l’Occident impérialiste que dans le cadre d’une politique unitaire coordonnée. Après sa sortie de prison, prenant acte des revers subis par les mouvements de libération nationale alors que les peuples arabes se trouvaient devant une situation politique bloquée, Ahmed Ben Bella affirmait déjà la nécessitée de cette perspective unitaire pour faire face aux défis de l’Occident impérialiste : « La grande leçon que nous tirons de nos échecs, c’est la certitude que l’unité arabe est affaire de survie pour les Arabes. Ou bien ils s’unissent, ou bien ils sont réduits à vivre une condition d’êtres diminués » (1).
En déclenchant de manière quasi simultanée leur révolution, les peuples arabes ont signifié implicitement qu’ils connaissaient parfaitement l’impérieuse nécessité de cette action révolutionnaire unitaire et unificatrice pour faire face à la réaction de l’Occident impérialiste et de ses alliés. L’unité est l’une des conditions nécessaires pour emporter la victoire sur le champ de bataille des luttes au niveau international : « Et ne vous disputez pas, sinon vous fléchirez et perdrez votre force » (2).
A l’heure où les principales puissances « émergentes » sont des « États-continents » (Chine, Inde, Brésil ou Russie) et où les regroupements régionaux interétatiques prennent de plus en plus d’importance au niveau international, la constitution d’un bloc d’États permettra aux peuples arabes de préserver leurs intérêts, de défendre leur projet révolutionnaire et d’assurer une véritable indépendance à leurs pays. Associée à une coordination islamique et Afro-asiatique, cette unité arabe pourrait devenir dans l’avenir un des piliers essentiels de la remise en cause de l’hégémonie occidentale dans le monde. Pour cette raison, les actuelles révolutions arabes sont potentiellement porteuses d’un bouleversement global des rapports de force au niveau international. « Chaque peuple qui entreprend sa lutte commence à creuser la tombe de l’impérialisme » (3), affirmait Guevara.
Youssef Girard
5 mars 2011
Références :
(1) Ben Bella Ahmed, Itinéraire, Ed. Alternatives, 1988, page 154.
(2) Coran 8:46.
(3) Guevara Ernesto Che, « Solidarité avec le Vietnam », La Havane, 23/12/1963, in. Textes politiques, Paris, Ed. La Découverte, 2001, page 204.