Alors qu’on estimait à quelques 3 millions d’individus la population algérienne avant l’invasion de l’occupant français, ce nombre a été réduit d’un tiers en moins de 20 ans par l’armée coloniale. Celle-ci multiplia méthodiquement carnages et massacres avec l’objectif de décimer les populations autochtones et permettre aux colons français de s’installer sur les territoires ainsi vidés de leurs habitants.
L’enfer colonial s’est poursuivi pour plusieurs générations d’Algériens qui vécurent séquestrées et martyrisées dans leur propre pays, et ce jusqu’à l’indépendance en 1962. Pourtant, forcée par le nouveau contexte international de l’après-guerre et les accords de Genève à l’effet d’interdire toute forme de travaux forcés, la France avait dû abolir en 1946 le code de l’indigénat en vigueur dans ses colonies, mais pas en Algérie, où le peuple ne devait absolument pas caresser le rêve de la liberté. Pour ce faire, et au nom de l’Algérie française, des moyens de guerre colossaux furent dépêchés sur le sol Algérien et les rangs de l’armée coloniale atteignirent 500 000 soldats pour tuer la Révolution algérienne alors qu’ils étaient 40 000 avant son déclenchement. La France voyait bien que le destin de l’empire colonial se jouait sur la terre algérienne et elle se donnait les moyens de briser cette révolution et empêcher de s’accomplir l’indépendance de cette colonie. Mais, malgré tout son arsenal militaire sophistiqué, elle ne parviendra pas à stopper le cours de l’histoire décidé par un peuple avide de liberté et, le 5 juillet 1962, l’Algérie célébra son indépendance.
Et si on parle de Révolution exemplaire, c’est tout simplement parce que la résistance et le combat du peuple algérien débordèrent très vite les frontières du pays pour se répandre en exemple chez d’autres peuples colonisés, en particulier les voisins africains, qui survivaient sous domination des empires français et britannique. Autant dire que la guerre de libération que le peuple algérien a menée contre la puissante armée française a été un élément majeur dans l’effondrement de l’édifice colonial français, dont la cruauté s’affichait enfin devant le monde entier. Cette guerre a duré 7 ans et a fait plus d’un million de victimes algériennes. Elle fut l’une des plus atroces guerres livrées par l’armée coloniale française; une armée d’autant plus frustrée qu’elle venait de subir une cuisante défaite en Indochine, et donc résolue à se refaire sur le cadavre algérien pour que vive le mythe de « l’Algérie française » quels qu’en soient le prix et les moyens. Et parmi ces moyens, un large éventail de pratiques et de crimes de guerres, allant des enfumades de villageois, qui ont fait la gloire des généraux français dès les premières années de la colonisation, (l’apogée de l’empire), au système de la torture méthodique et barbare des années 60, qui a éclaboussé les généraux de la relève, et contribué au déclin de l’empire colonial. Pourtant, toute cette chronologie de crimes n’a pas empêché les parrains du colonialisme de le réhabiliter par la voie officielle de la France en adoptant une loi (23 février 2005) reconnaissant ses aspects positifs, alors que ses millions de victimes continuent de lutter pour le faire reconnaître comme un crime contre l’humanité au même titre que l’esclavage.
Après 132 ans de noirceur coloniale, le peuple algérien pouvait s’imprégner de la lumière de la liberté. Enfin, il est maître chez lui et peut décider de son destin. Du moins le croyait-il, naïvement. Hélas, les choses s’annoncent bien différentes et les Algériens seront vite confrontés à l’adversité du néocolonialisme. Même, vaincues politiquement, les puissances coloniales gardaient une capacité de nuisance tout aussi fatale pour les nouvelles et fragiles indépendances africaines. Leur système colonial mua rapidement en néocolonial et se déploya, telle une pieuvre, infiltrant ses tentacules dans les diverses sphères des États naissants, parasitant tous projets d’émancipation réelle. C’est sur le plan économique que les puissances coloniales ont décidé de sévir, notamment, en créant le négoce d’une coopération toute spécifique, destinée essentiellement à garantir leurs intérêts, en dépouillant peu à peu la souveraineté de leurs anciennes colonies. L’évolution de la situation autant en Algérie que dans le reste de l’Afrique durant ces 50 dernières années « d’indépendance » témoigne de cette volonté des grandes puissances de garder sous leur contrôle les richesses de ces pays, notamment en créant les dissensions entres les groupes de la société, en favorisant l’instabilité et/ou la mauvaise gouvernance ainsi que l’émergence des dictatures garantes de leurs intérêts au détriment de leur peule. Il n’y a qu’à penser à ces dictateurs criminels qui répriment et affament leurs peuples, particulièrement en Afrique, pillent leur pays pour édifier des fortunes personnelles colossales et se pavanent dans le monde sous les ailes protectrices des « mères patries » d’autrefois.
Cependant, cet injuste statu quo, qui a substitué le protectorat de fait aux indépendances, ne saurait survivre aux aspirations des jeunes générations africaines qui ont soif de liberté et de démocratie. Et en Algérie, gronde, de plus en fort, la révolte du peuple spolié des acquis de sa Révolution. Désormais, la démocratie ne sera plus un leurre sur la terre algérienne. Elle devient possible grâce à la volonté du peuple et au contexte international qui a destitué le monopole des grandes puissances sur les affaires africaines et algériennes. La mondialisation a permis l’émergence d’autres forces économiques favorisant de fait l’avènement d’un nouvel ordre mondial qui fera place au dialogue et à la solidarité entre les peuples. En diversifiant leurs échanges, notamment en faisant affaire avec de nouveaux partenaires économiques, à l’exemple de la Chine, du Brésil et d’autres, l’Algérie et plusieurs autres pays africains pourront se libérer de l’emprise des parrains du néocolonialisme et construire une saine coopération qui bénéficie enfin à leur pays. Ce n’est que de cette façon que l’indépendance algérienne, telle que voulue par sa Révolution exemplaire, pourra prendre son envol et permettre au peuple algérien de vivre en démocratie dans un État de droit, conformément à l’esprit de la Déclaration du 1er novembre 1954 qui reflète ses aspirations.
Zehira Houfani
31 octobre 2010
Texte publié aussi sur le Quotidien d’Algérie