En tant que moment exceptionnel, « génial », sera qualifiée d’inspiration toute pensée ou idée qui naîtrait de façon inattendue et qui apporterait un sentiment de joie et de réconfort. C’est un événement fortuit associé aux notions de pressentiment, d’intuition. Transcrite, et détachée de son contexte, (ce qui fut pour son récepteur) une inspiration peut retomber au degré d’idée banale, dépourvue d’intérêt. C’est dire que l’inspiration est un ‘événement’ d’abord pour celui qui la vit.
Cet événement survient à la suite d’une concentration (plus ou moins longue) de l’esprit sur un thème qui peut relever de plusieurs domaines, comme la recherche d’une rime en poésie ou la quête d’une explication rationnelle à un phénomène ou plus simplement un problème pratique comme de tenter de trouver le meilleur itinéraire pour un périple. C’est dire que l’inspiration fait partie de notre vie quotidienne, et qu’elle est intimement liée à l’intelligence pratique..
Pour les spirituels, soufis entre autres, l’inspiration provient d’un « monde » qui en est la source. Pour profiter pleinement des effusions de ce « monde », il faut apprendre à y accéder. Cela revient en somme à apprendre à saisir au vol, à apprivoiser petit à petit le mouvement de l’inspiration, à le maîtriser, de façon à connaître les conditions qui la rendent possible, en repérer l’origine immédiate d’abord, puis à pouvoir le reproduire et à maintenir ouverte en permanence la porte de l’inspiration. Celui qui y parvient est appelé inspiré. Le soufisme, sans se réduire à cela, peut être qualifié de voie d’apprentissage pour l’accès à la source d’inspiration. L’initiation consiste à se concentrer sur soi de plus en plus intensément, grâce à la murâqaba, introspection spirituelle, «vigilance permanente » jusqu’à éliminer toutes les causes de perturbations, tous les parasites qui gênent l’accès à la source d’inspiration. Le prophète coranique Idrîs, que certains confondent avec Hermès ou Enoch, aurait atteint un degré de transparence tel qu’il a fini par ressembler aux anges, et préférer leur compagnie à celle des hommes. Il est le maître des inspirés, celui qui enseigne cet art de ‘guérir’ les plaies ayant résulté de la séparation première, à la suite de laquelle les hommes ont justement perdu ce pouvoir. C’est tout son être qui a basculé dans le monde angélique.
C’est que, à l’origine, comme un sixième sens, l’inspiration est une fonction naturelle en l’homme. C’est parce que nous avons bouché le passage en nous-mêmes que nous n’y accédons plus aisément. L’inspiration est en quelque sorte un paradis perdu de l’homme. Comme le dit ce quatrain attribué à Qûnawî, qui fut le principal disciple d’Ibn Arabî :
La voie de l’union n’est pas celle que nous avions imaginée
L’âme du monde n’est pas celle que nous avions crue :
Cette Source où Khezr a bu l’eau de l’immortalité
Se trouve en nous, mais nous l’avions comblée de terre[1]
Nous en rapprochons l’avènement ou au contraire nous le repoussons, à chacun de nos actes. C’est la résultante de ces derniers qui font que nous devenions aptes ou non à recevoir le flux de l’inspiration.
Ceci pour la «méthode».
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Mais les choses ne sont pas aussi simples.
Voyons maintenant ce qui se passe du côté du « monde » qui régit l’inspiration en soi, indépendamment des modalités de la perception que nous en avons.
Ce monde est habité par des entités que l’on appelle esprits, au sens général. Ces derniers peuvent être positifs ou négatifs, bons ou méchants. Ils peuvent être anges ou démons. La fonction de l’initiation est selon les cas, de conduire aux uns ou aux autres. Dans ce dernier cas, elle est appelée contre-initiation. La hiérarchie des esprits est ainsi double. A chaque pôle du ‘bien’ correspond et fait face un pôle du ‘mal’.
C’est alors toute la question du « discernement des esprits » qui transparaît, du fait que l’initiation conduit l’homme à faire l’expérience de rencontres nouvelles, inhabituelles pour le moins. De même que dans ses rapports ordinaires avec ses congénères humains, il n’a pas toujours les moyens de détecter d’emblée les intentions de ces entités nouvelles qui entrent dans son monde spirituel. Il a besoin ici aussi de faire son apprentissage. Et il n’est pas aisé de s’y frayer son chemin. S’il fait le bon choix, il a des anges, s’il fait le mauvais choix, il reçoit les suggestions démoniaques. Anges et démons sont des fonctions. Autrement dit ce sont nos choix qui déterminent ces entités spirituelles à agir comme démons ou comme anges.
« Vous annoncerais-Je sur qui s’opère la descente contrefaite de Satan ? elle s’opère sur tout imposteur et pécheur : ils tendent l’écoute, mais la plupart sont des menteurs. Quant aux poètes, ne les suivent que les fourvoyés. Ne vois-tu pas qu’ils brament dans toute vallée, et qu’ils disent ce qu’ils ne font pas ? Exception faite de ceux qui croient, effectuent des œuvres salutaires, rappellent Dieu sans trêve : ils sont secourus après avoir subi l’iniquité, tandis que ceux qui l’ont commise sauront quel retournement ils vont subir. » (Coran, XXVI, versets 224-227, traduction J. Berque).
Quand on choisit Dieu, on acquiert le soutien de l’ange. Celui qui choisit le monde d’ici-bas devient comme celui qui singe Dieu.
L’apprentissage du beau et du Vrai, le fait de les cultiver en soi, est la règle de l’initiation. Il s’agit donc de quelque chose qui relève de la pratique. Car c’est par la beauté surnaturelle et la vérité de son inspiration que l’inspiré convainc. Ces deux choses, l’homme les recherche naturellement car elles font partie de son essence, de son origine. Elles se résument dans l’Amour, par lequel Dieu a créé les univers et les hommes. L’amour est cette force invisible qui rappelle sans cesse l’homme à ses origines. C’est cette force qui enseigne le Beau et le Vrai.
Il n’est pas donné à n’importe qui d’accéder à la Présence de Dieu qui a créé le monde par amour, et qui s’est prescrit la bonté. Seule une âme pure peut s’adresser à Lui. Seul le pur parle au Pur. Or la condition humaine, dans le monde sensible, subit les contraintes que lui imposent les « articulations » de la création : l’homme n’agit plus et ne connaît plus que par les causes secondes qu’il doit surmonter, qu’il doit identifier à chaque fois. C’est donc à cette condition première celle de l’état paradisiaque, — connaissance directe— que vise l’homme, afin de retrouver toute sa perfection.
Dès les premiers contacts avec ce monde suprasensible, se révèle la difficulté de la tâche. On découvre que le monde supérieur, est aussi riche et varié en créatures que le monde sensible dans lequel nous vivons. Ce monde-ci est le reflet du monde supérieur, avec toutes ses tendances, ses tentations et ses risques, il est aussi habité par les bons et les méchants. Il est « stratifié ». C’est-à-dire qu’il y a des degrés de savoir entre ses habitants. Il en est qui savent peu, il en est qui savent beaucoup. Et ils possèdent du pouvoir en proportion de ce qu’ils savent.
Quand Salomon voulut faire venir à sa Cour le trône de la reine de Saba, il convoqua son conseil :
« Conseil, dit-il, qui va m’apporter le trône de la reine avant qu’ils ne m’apportent leur soumission ? » Un polisson de djinn dit : « Je vais te l’apporter avant que tu ne lèves la séance, je suis aussi sûr que fort », mais un autre, qui avait quelque connaissance de l’Écriture, dit : « Je te l’apporterai avant que tu n’aies cillé ». Quand Salomon eut vu le trône bien en place auprès de lui, il dit : « Cela n’est dû qu’à la grâce de mon Seigneur, aux fins de m’éprouver : serais-je reconnaissant ou ingrat ? »…[2]
Certains esprits vous proposent d’aller plus loin, d’autres voudraient vous retenir à la phase une. Certains vous proposent de faire de vous des magiciens, d’autres tentent de vous en décourager. C’est là alors que l’on comprend la nécessité du maître… à moins que l’on ne soit saisi, happé par la Voie, comme c’est le cas du « ravi » (majzoub), dont le sort dépend directement de Dieu.
Ce monde-ci est le reflet du monde d’en haut : cela implique qu’en réalité tout être est dans une voie, et a pour maître un être du monde supérieur. Ceux qui ne sont pas dans la voie ne savent même pas qu’ils sont la pâture des démons. D’où l’expression répandue chez les soufis : « Celui qui n’a pas de maître, Satan est son maître ». Aux yeux des initiés, le combat spirituel n’est pas une vaine expression. Le monde est le lieu de la confrontation des esprits. Et il faut que le Bien possède ses chefs, ses armées, ses hommes qualifiés pour le défendre. Il faut que la Voie juste et droite soit enseignée, on ne doit pas laisser le champ libre aux ténèbres. La lutte est implacable et éternelle.
Cela implique que tous les êtres sont dans une voie, les uns de façon consciente, les autres inconsciemment. C’est cela qui explique la nécessité de définir une voie droite, un Tao, un enseignement initiatique, un logos, etc…
L’effort que nous faisons ici-bas nous rapproche de notre modèle suprasensible. Et c’est aussi ce qui justifie la fonction prophétique. Pour les prophètes, le vrai royaume « n’est pas de ce monde ». Ce monde s’effrite sans cesse, se renouvelle sans cesse, alors que le monde des formes imaginales est plus stable. Mais le monde d’ici-bas renvoie au monde suprasensible, il en porte les germes . On peut d’ores et déjà accéder au Royaume à partir de l’expérience spirituelle. Car les deux mondes se cachent l’un l’autre, et sont en jonction permanente. C’est l’initiation qui fournit les clefs qui permettent de percevoir les lieux de jonction entre ces deux mondes, notamment par les procédés d’interprétation des textes religieux, des visions et des rêves, des coïncidences, etc. La manifestation révèle petit à petit son épaisseur, au fur et à mesure que l’initié en perçoit les sens multiples. L’initié finit par voir en toute chose un signe de Dieu. Il décode le réel avec un regard neuf qui saisit les choses dans leur état permanent. Tout le réel est ainsi transfiguré à ses yeux. Il découvre soudain que le monde, ‘‘l’autre-que-Dieu’’ (mâ siwâ Allâh) est en réalité ‘plein’ de Dieu. Les horizons s’élargissent devant lui, car il a pénétré la « vaste terre de Dieu », celle où tous les sens même les plus impossibles aux yeux de la raison prennent forme. Il les voit dans leurs formes immuables.
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Ce monde imaginal, rappelle à plusieurs occasions H. Corbin, est un monde réel qui existe indépendamment de l’exercice de la fonction imaginative individuelle. Il n’est donc pas un monde imaginaire. C’est une instance qui sert de lieu de jonction ou de croisement entre le monde inconnaissable de la déité et le monde sensible de la création. C’est pour cela qu’il est appelé aussi intermonde, barzakh. Ce monde au confluent des deux autres peut sembler a priori un monde limité dans l’espace puisqu’il n’occuperait dans une représentation schématique que la partie hachurée où les deux cercles (monde sensible et monde divin) se rencontreraient. En réalité, il est le seul monde réel, le seul où l’existence est possible, où les formes prennent naissance, et où les choses ont un sens. Les parties des deux cercles qui sont restées non-hachurées n’existent pas, sinon comme des abstractions : tout l’univers est donc en un sens un monde imaginal puisque le divin et le créé s’y confondent et se distinguent pour le regard exercé. Rien de ce qui est n’échappe en effet à cette double nature : créé par un aspect, incréé par l’autre.
Le monde imaginal est le « lieu où se dit l’indicible », le lieu où l’indicible prend forme pour devenir langage. Comme le monde imaginal est aussi un monde de la coïncidence des contraires, les formes y sont équivoques, elle sont cercle-carré, blanc-noir, etc. C’est pour cela que l’expression y est aussi équivoque, suspendue, comme si elle attendait de recevoir un sens, de se voir affecter un sens par chaque homme.
On dirait un vin sans coupe
Ou une coupe sans vin (Hallâj)
C’est pour cela aussi que l’inspiration est infinie, que le langage des hommes se renouvelle éternellement même si la réalité est une, car chaque homme la désigne selon sa capacité. Dieu n’a pas enseigné les choses à Adam, Il lui a enseigné les noms. Et ces noms sont infinis. Ils sont le lieu où l’Incréé communique avec le créé. Le nom précède la chose, sous le rapport ontologique. Pour faire exister une chose, pour la sortir du monde invisible, il faut la nommer.
Aux yeux de Rumî, tout ce dont on peut parler est créé ![3]
C’est la parole qui crée, la parole ne porte que sur le créé.
Cette vision du monde imaginal comme seul monde Réel—aux antipodes d’un monde imaginaire— nous éclaire maintenant sur ce que nous disions au sujet de la double initiation. Toutes les antinomies, bien-mal, esprit-démon, enfer-paradis, raison–erreur, etc., n’existent pas en réalité, elle ne sont que des effets du regard.
C’est notre regard, notre approche qui crée ces dualités dont la seule fonction est de fonder l’expérience de la liberté.
Ce qui élève s’appelle inspiration, intuition, révélation, et provient des anges ou des ‘bonnes fées’ ou des génies positifs, et ce qui entraîne vers le bas s’appelle susurrement, suggestions (sataniques) et provient des démons ou des mauvais esprits.
« Jésus a dit :
Si ceux qui vous guident disent :
Voici, le royaume est dans le ciel,
Alors les oiseaux du ciel vous devanceront,…
Mais le royaume est le dedans de vous
et il est le dehors de vous.
Quand vous vous connaîtrez,
alors vous serez connus… »[4] (Evangile de Thomas)
Rûmî dit :
âsheqân râ sham’ o shâhed nîst az bîrûn-e khîsh
har zamân majnûn-e khîsh o har zamân leyli-ye khîsh
Le témoin et le cierge ne sont pas hors des amoureux
A chaque instant, ils ont leur Majnoun, à chaque instant leur Leyla
Il dit aussi :
motrebânshân az darûn daf mîzanand
(les Amoureux ) ont des musiciens dans leur intérieur qui leur jouent le daf[5]
C’est un monde où tous les êtres sont sans y être vraiment, car pour y être il faut en avoir conscience, « il faut se connaître ». L’intermonde est un ‘événement’ dans la conscience. Ibn ‘Arabî affirme n’en être plus jamais sorti depuis le jour où il y est entré. C’est dire qu’il implique une mort et une seconde naissance, ce que nous avons appelé « transparence » précédemment.
Perçu ainsi, le monde limité qui est le nôtre prend d’autres proportions et devient la « vaste terre de Dieu » dont parle le Coran. C’est par une transformation complète de notre mode de perception des choses que nous pouvons entrer dans cette terre. Une qualification est donc requise pour y être admis.
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Cette dimension nouvelle que prend le monde imaginal, comme troisième monde, on la retrouve aussi dans l’importance de plus en plus grande que vont lui accorder les philosophes pour l’interprétation du monde. Ceci est une chose frappante chez les philosophes arabes aussi bien que chez Corbin lui-même qui voit dans l’introduction de l’idée d’un monde de la jonction, une réponse à des questions lancinantes de la pensée moyenâgeuse et moderne.
Un dieu séparé du monde n’est pas Dieu, mais seulement une essence inconnaissable. Un monde séparé de Dieu ne dit pas quel lien le rattache encore à cette essence. Pour Ibn ‘Arabî, objectant contre Ghazzâlî, la raison peut établir la nécessité d’une essence éternelle, mais celle-ci ne peut être appelée dieu (ilâh) que si l’on définit de qui (de quoi) elle est Dieu, expression rendue possible en langue arabe par la forme passive substantivée ma’lûh.
On comprend ainsi la nécessité de sortir du système aristotélicien (un dieu hors du monde) pour pouvoir répondre de façon satisfaisante aux questions métaphysiques, notamment l’aporie des deux éternités, celle de Dieu et celle du monde.
C’est parce que l’on a conçu une discontinuité, une rupture entre ces deux entités que tout discours cohérent est devenu impossible. En les superposant, en établissant une continuité entre eux, on introduit un modèle avec une hiérarchie des mondes ou des êtres où Dieu est toujours présent, puisque le monde est désormais donné comme ontologiquement subordonné à Dieu : il est le lieu de manifestation de l’Essence divine. Le monde est saturé de Dieu.
Le monde comme théophanie, comme ombre de Dieu, comme miroir reflétant les Noms divins : telle sera désormais la prémisse de tout discours.
Ibn ‘Arabî, surnommé à juste titre Ibn Aflâtûn, fils de Platon, rétablit une vision qui rejoint dans l’esprit la vision platonicienne. Dans la hiérarchie des degrés de l’être, plus une instance sera proche de l’Essence, plus elle aura de force, de pouvoir, de stabilité, de caractères divins ; à l’inverse, plus elle en sera éloignée, plus elle sera créée, corruptible. Mais même au plus bas des degrés, elle ne cessera jamais de porter en elle une « face » divine, qui fera d’elle une des infinies possibilités de la Théophanie.
C’est que toute chose est unique et témoigne de Son unité, et ce à tous les degrés de la hiérarchie des êtres. A ce propos Ibn Arabî a souvent cité le vers d’al-Akhtal, à la suite d’un auteur andalou qu’il vénéra, Ibn Barrajân (m.536/1141)[6], et ses disciples le reprendront au point que cette citation sera plus tard un marqueur de l’influence akbarienne chez les auteurs sous la plume de qui on la retrouvera :
Wa fî kulli shay’in lahu âya
tadullu ‘alâ annahu wâhidu
En toute chose, Il possède un signe
Qui témoigne de Son unicité
Toute chose est unique, et cette unicité de la chose créée témoigne de l’unicité de son Créateur. Toute chose, étant unique, peut suffire pour établir que Dieu est unique. Toute chose présente deux « faces » : l’une par laquelle elle est cette chose, et l’autre par laquelle elle est la face de Dieu.
Cette idée est reprise en maints passages par Qûnawî sous cette forme : kullu shay’in fihi kullu shay’in[7], en toute chose, il y a tout, «toute chose contient toutes les choses». Cette expression a son pendant dans le Fusûs al-hikam d’Ibn ‘Arabî, encore plus explicite : fa kullu juz’in min al-‘âlam majmû‘ al-‘âlam,[8], «chaque partie du monde est l’ensemble du monde». Tout nom divin contient tous les (autres) noms divins. Le nom particulier par lequel nous désignons Dieu, par exemple le Puissant, n’est que la facette qui est offerte à notre vue au moment où nous l’envisageons sous le rapport de la puissance. Le Puissant se révèle et cache le Subtil, le Dominateur, le Bienveillant. Mais il les porte en lui, comme des possibilités prêtes à se révéler dès qu’on envisage un autre attribut divin.
Kullu shay’in fîhi kullu shay’in, «toute chose porte en elle-même toute chose», reprend mot à mot une phrase de Proclus[9]. C’est dire que c’est une intuition qui a traversé beaucoup d’esprits, qui a inspiré beaucoup d’hommes.
C’est une image que l’on peut de nos jours illustrer par la génétique. Prenons la cellule du foie de brebis. Nous savons désormais que la même cellule révèle par le clonage qu’elle porte tout le patrimoine génétique de la brebis. Elle contient toute la brebis. Elle s’appelle foie quand on envisage cet organe, mais elle s’appelle brebis, quand on envisage toutes les possibilités contenues en elle. Toute cellule de la brebis contient la brebis.
De là, nous pouvons affirmer que tout homme contient tous les hommes. On comprendra alors pourquoi le Coran dit : «C’est pourquoi nous édictâmes, à l’intention des Fils d’Israël, que tuer une âme non coupable du meurtre d’une autre âme ou de dégât sur la terre, c’est comme d’avoir tué l’humanité entière ; et que faire vivre une âme, c’est comme de faire vivre l’humanité entière… »[10] Tuer un seul homme sans droit constitue en soi un crime contre l’humanité.
Tout homme parle pour tous les hommes. Comme un seul homme ne peut à lui seul dire en acte toutes les paroles, l’Homme a été démultiplié, —comme un visage se reflétant dans des petits miroirs en nombre infini—, pour accélérer le processus. Mais tous les hommes ne sont en réalité qu’un seul homme.
Cet homme unique est le modèle éternel invariable, qui contient la «totalité des paroles», c’est l’Inspirateur universel. Il est la source, celui à qui tout aspire, celui dont tout s’inspire. Dans beaucoup de ses écrits, (par exemple, la Risâla al-Fahwâniyya) Ibn ‘Arabî affirme que cet Homme peut être assimilé au ‘âlam al-mithâl, au Monde du Modèle.
Toute parole que nous prononçons est en réalité une parole de cet Homme Universel. En lui, les paroles sont synthétiques, existent en puissance ; dans les hommes ces paroles sont en acte. Il est le modèle, le prototype (al-mithâl), nous en sommes les copies. Il est le macrocosme, nous sommes des univers en miniatures.
Les vraies paroles sont en lui, nous ne faisons que les répéter en nous en souvenant, par l’inspiration.. Tout a déjà été dit en puissance. Nous ne sommes que les langues, les organes qui exprimons des choses qui ont déjà été prononcées dans l’invisible. C’est pour cela que nous éprouvons le besoin de remonter au plus près de la source pour dire des choses non encore dites, plus belles. C’est une ambition spirituelle qui vise à redevenir l’homme universel que nous sommes en puissance.
C’est à cela que semble référer le vers d’al-Akhtal, également souvent cité et rendu célèbre par Ibn Arabî et son école :
Inna al-kalâma la fî al-fu’âdî wa innamâ
Ju‘ila al-lisânu ‘ala al-fu’âdi dalilan
La parole se trouve dans le Cœur
La langue a été désignée pour servir de guide (vers cette parole cachée)
Notons que pour les commentateurs, le cœur appelé ici fu’âd, désigne le cœur en tant qu’il s’est libéré des bouleversements auxquels il peut encore être sujet quand il s’appelle qalb (qalb est le lieu du taqallub, des bouleversements), et a déjà réalisé la stabilité.
Remonter à ce langage secret du Cœur, telle est l’ambition des mystiques. Ecouter (samâ‘) le bourdonnement des esprits, avant l’instauration de la langue-organe, telle est leur bonheur ultime.
Ce langage est secret, car il ressemble à un encrier bouillonnant où toutes les lettres ont hâte de prendre forme grâce au calame. Elles n’ont pas encore été instaurées par la plume qui leur affecte une forme particulière, qui leur attribuera un son défini.
Nous procédons tous de cet encrier supérieur, nous sommes tous des lettres de cet alphabet infini. Et nous aspirons tous à retourner à cette indétermination première qui nous anéantit en apparence, mais qui nous rattache à notre principe d’éternité.
Qatre daryâst agar bâ daryâst
Var nâ qatre qatre, daryâ daryâst
La goutte est une mer, si elle est avec la mer
Sinon la goutte est une goutte, et la mer la mer.
Quand la goutte rejoint l’Océan, elle ne s’appelle plus goutte mais Océan. Il s’agit ici aussi de retourner à cet état qui libère la parole des articulations qui la rendent possible certes, mais qui la limitent car chaque articulation est un butoir. Il faut retourner à ce parler-vibration que tentent de suggérer les prières bouddhiques ou les séances de zikr, le son pur compréhensible aux seuls esprits libérés, ce concentré de parole qui se ramène à un point. Car la «connaissance est un point diacritique (nuqta), qui a été multiplié par les ignorants».
Le grand maître khorassanien abû al-Hasan al-Kharaqânî a employé la sentence célèbre : «Le soufi n’est pas créé». Il entendait par là que la Voie conduit le cheminant spirituel à des retrouvailles avec son modèle originel, celui d’avant sa venue à l’être, tel qu’il était (et se trouve encore) dans la science divine. Le processus de la Voie est un processus de «dé-création». Il consiste à reconduire les «cheminants », les initiés, à l’état des «essences immuables qui n’ont pas humé le parfum de l’existence». On devient ce que l’on pense, ce que l’on connaît, et comme on ne connaît que soi-même, on finit par découvrir son indigence ontologique, c’est-à-dire sa qualité de pur possible dans la science divine.
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Les Arabes avaient raison de «suspendre» leurs meilleures poésies sur les murs de la Kaaba… En attendant le Coran. Ce sont les poètes qui préservent et assurent la pérennité des langues en les rattachant aux langues célestes, en leur donnant un appui dans le ciel. Que serait le persan sans Hâfez, Sa‘dî, Ferdowsî, Rumî , tous inspirés et inspirants ? On peut poser la question du ‘moment’ où ces hommes ont soudain commencé à révéler leur génie poétique, Comment expliquer que Rûmi, à un moment de sa vie, ne s’est plus, soudainement, exprimé qu’en vers ? D’où vient la puissance de cette ‘inimitabilité’ des poètes, de ce verbe dans lequel les hommes ont souvent perçu un ‘effet de magie’ ?
Ibn Arabî nous donne dans le récit de la vision suivante les éléments de la réponse : « Il me fut dit lors d’une vision :
‘‘Sais-tu ce qu’est l’inimitabilité (i‘jâz) du Coran ?— Non’’, répondis-je. Il me dit : ‘‘C’est le fait qu’il communique la Vérité (al-haqq). Observe la vérité et ton discours sera inimitable.’’[11]
La perfection s’obtient par l’imitation de Dieu.
Les mots ont un pouvoir de résonance. L’inspiration n’est pas contagieuse, mais elle a un pouvoir certain de subjugation, grâce aux répons qu’elle trouve chez ses témoins. Mais si on témoigne facilement de son effet, on ne peut pas déceler ses origines, son mécanisme. C’est pour cela que les textes les plus inspirants prêtent à équivoque, dans leurs formes et dans leurs fonds.
Le récepteur ou le témoin de l’inspiration peut avoir deux réactions possibles : d’abord l’émerveillement, puis le doute. Comme devant le prestidigitateur. On applaudit d’abord, puis le doute nous envahit : il y a sûrement un truc !
C’est ce qui explique les difficultés qu’ont rencontrées les prophètes et les grands maîtres spirituels pour faire passer leur messages. Alors qu’ils tentent de tirer les hommes vers le haut, ces derniers cherchent à ramener les choses vers le bas. Quand Moïse a rendez-vous avec Dieu sur la Montagne, son peuple prend rendez-vous avec le Veau d’or dans la vallée.
Mais Dieu considère ce fossé, cette incompréhension comme le facteur même qui permet la guidance, comme une épreuve pour les hommes, qui doivent trouver eux-mêmes les critères distinguant entre un simple effet de magie, et la transmission d’un savoir vrai au sujet de Dieu.
La poésie exerce son pouvoir magique par la beauté (rythme, mesure, rime et autres techniques), mais surtout par la Vérité qu’elle véhicule et que le cœur du lecteur perçoit. C’est pour ces deux raisons (bien dire et dire vrai) que les poètes soufis sont encore lus et savourés ! Le lecteur se sent directement concerné par le discours, car il est universel, et se donne à recevoir par un grand nombre d’hommes et de femmes aux expériences pourtant singulières.
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Le Prophète fut pour les Arabes ce que Moïse fut pour Pharaon. Les uns pratiquaient un culte de l’éloquence, ils ont été « réduits à l’impuissance » (i‘jâz) par l’éloquence coranique. Si vous croyez que ce que je dis résulte d’un effet de la magie, alors «Apportez une sourate semblable»[12]. C’est un défi qui revient à dire ceci : si vous pensez que le niveau où je puise mon inspiration est à votre portée, alors montrez-moi que vous pouvez y accéder ! Pharaon faisait pratiquer la magie et il a été « réduit à l’impuissance » par la « magie » de Moïse. Mais Pharaon qui n’était pas magicien ne pouvait pas comprendre la différence de niveau entre la magie de ses magiciens et le savoir supérieur de Moïse. Il ne vit dans Moïse qu’un grand maître de magie. Quant aux magiciens de Pharaon, ils s’inclinent devant Moïse, comme les Arabes, qui vouaient un culte à l’éloquence, marquaient leur respect en descendant de leur monture quand ils entendaient un verset coranique. Magicien et Poète (sâhir et shâ‘ir) ont ceci de commun que leurs arts témoignent de l’existence de forces suprasensibles qui inspirent le poète, qui donnent le pouvoir extraordinaire au magicien. C’est pour cela que les prophètes seront confondus souvent avec ces praticiens de genres spirituels inférieurs. Mais en même temps cela témoigne du rang du poète et du magicien, juste après les prophètes. Un célèbre hadith met en rapport la magie et l’éloquence : inna min al-bayân la-sihran…[13], Il est une sorte de magie dans l’éloquence. Mais la poésie agit à l’inverse de la magie. Celle-ci dissimule, travestit l’apparent, alors que la poésie révèle le caché.
Chaque prophète vient à son peuple avec une «preuve» particulière, dans le domaine où ce peuple croit exceller. Moïse écrase la magie égyptienne, Jésus reçoit la Vie (l’art de la médecine) pour convaincre les sceptiques en guérissant les lépreux et en ressuscitant les morts, et Muhammad reçoit l’éloquence totale.
Le Prophète a reçu la totalité des paroles (jawâmi‘ al-kilam). Une parole est composée de mots et de lettres. Il ne connaît pas que la forme de la lettre, il en connaît aussi l’âme. Il connaît la totalité des lettres et chaque lettre dans sa totalité, dans ses trois aspects, le corps, l’âme et l’esprit. Celui qui reçoit ce pouvoir reçoit tout le savoir, puisque nommer l’âme d’une lettre c’est avoir pouvoir sur elle.
Le langage et les actes des prophètes sont ambigus, ils prêtent à équivoque comme la poésie. Ils doivent être interprétés. La Croix est un miracle. Comme le bâton de Moïse. Mais le miracle est à double fonction : il guide et il égare. Seuls ceux qui interprètent correctement progressent : comme les magiciens de Pharaon… Pour les autres, même les Écritures Saintes peuvent être cause d’égarement…
—Dieu ne répugne pas à tirer semblance[14] d’un ciron ni de ce qui le dépasse. Quant à ceux qui croient, ils savent bien que c’est là le Vrai, venant de leur Seigneur. Quant aux dénégateurs, ils se demandent : ‘Qu’est-ce que Dieu peut bien vouloir sous cette semblance ?’ Il est vrai que par là Il en égare d’aussi nombreux qu’Il en dirige. »[15]
Plus une expression trouve son inspiration dans un niveau sublime, plus elle prend de force. C’est pour cette raison que les écritures sacrées donnent lieu à herméneutique. Elles sont riches en sens. Elles nourrissent les esprits, et leur capacité à produire du sens ne s’épuise jamais.
Après les révélations célestes, les écrits les plus inspirés sont ceux des poètes.
Les Écritures trouvent leur force dans la prédisposition des hommes à les recevoir. Seuls les connaisseurs pouvant apprécier et reconnaître l’origine d’une parole y ajouteront foi. En fait Dieu ne s’adresse qu’à ceux dont Il sait de toute éternité qu’ils entendront la Parole.
Tout homme qui a entendu cette parole et qui veut la transmettre ne peut cependant le faire qu’à partir de ses propres références. Chacun est la porte, une porte spécifique, unique, à travers laquelle passe cette Parole. Et, en définitive, chacun ne parle qu’à lui même : il est seul, à l’image de Dieu, qui est seul.
Pour Rumi, c’est l’amour qui nourrit l’inspiration. Dans le Mathnawî, c’est par nostalgie que la flûte chante, par langueur. Cela n’est pas sans évoquer Platon.
Chez Platon la réminiscence fonde la démarche heuristique. C’est dans leur état d’immutabilité que les Idées sont les plus parfaites. Penser ou connaître, c’est se souvenir. Cette conception est à rapprocher de celle, mise en exergue par Ibn Arabî, qui fonde la démarche soufie.
Tout homme, toute femme qui accède à cette instance d’immutabilité reçoit les clefs de l’inspiration, et est par là convié à choisir la forme d’inspiration qu’il souhaite faire sienne. S’il accepte l’inspiration poétique un ange lui est alors affecté, qui parlera et prononcera de façon poétique ce que le mystique voulait dire sans se soucier de la rime ni de la mesure. Et c’est alors que le poète se fait Lisân al-ghayb, interprète de l’Invisible, porte-parole du Mystère. Sa bouche ou sa plume sont prêtées à l’Invisible.
Rumi ne fait pas office de poète. Il est un maître accompli pour qui le charisme principal consiste dans la maîtrise des mots, des sens, de l’éloquence naturelle. Il pense et explique, c’est l’ange qui se charge du rythme et de la rime. On ne peut pas imaginer Rûmî travaillant et retravaillant chacun de ses poèmes, comme le ferait un poète officiel rémunéré par son roi.
La langue des esprits est un bourdonnement (dandana), incompréhensible à l’auditeur créé. Et c’est d’ailleurs à une ‘reproduction’ terrestre de cette séance de zikr céleste que se réfère la tradition. Un bédouin avait entendu le Prophète et un compagnon, nommé Mu’âdh ibn Jabal, réciter des invocations à la fin de la prière rituelle. Le bédouin qui ne comprit rien à l’invocation s’adressa ainsi au Prophète : «Je demande à Dieu de m’accorder le Paradis, et de m’épargner l’Enfer. Je ne comprends rien à ton bourdonnement (dandana) ni au bourdonnement de Mu’âdh !» Le Prophète aurait répondu : «Nous bourdonnons tous autour de lui (du Paradis)»[16]..
Ainsi, chaque chose louange son Seigneur mais nous ignorons comment, par quel moyen. Plus on se rapproche de la présence divine, plus le chant devient inarticulé et se confond avec l’océan de l’indétermination divine.
Banguî ajab az âsemân dar mîresad har sâ‘atî
Mî nashnavad ân bang râ ellâ ke sâheb hâlatî
Un chant merveilleux nous parvient du ciel à chaque instant
Seul entend ce chant celui qui possède les états spirituels ! (Rumî)
Le chant des anges s’élève chaque heure. Ce chant est un appel adressé aux hommes pour leur rappeler qu’ils ne sont pas délaissés par le Ciel.
Omar Benaïssa
7 avril 2010
Notes et références :
[1] REZA-QOLI KHAN, dit HEDAYAT, Riyâz ol-‘ârifîn, lithographie, en persan, 1305/1888, page 100.
Qunawî (605/1209 – 673/1274) a vécu à Konya, comme Rûmî (604/1207 – 672/1273) dont il a été très proche et dont il était le contemporain. Il a reçu l’enseignement direct d’Ibn ‘Arabî, et il a même été son fils adoptif (Ibn ‘Arabî a épousé la mère de Qunawî devenue veuve, et a élevé le jeune Qunawî). Il est le transmetteur le plus qualifié de l’enseignement d’Ibn ‘Arabî, comme le dit Jâmî (m. 898/1492) : « L’intention d’Ibn ‘Arabî dans la question de l’unicité de l’être ne peut être assimilée d’une façon qui soit conforme à la fois à la raison et à la loi révélée que si l’on étudie les recherches de Sadr al-Dîn (Qunawî) et si on les comprend comme il se doit de les comprendre. » in Nafahât al-Uns, éd. de Mahmûd Âbedî, Téhéran, 1373, p. 554, notice 544.
N.d.e : pour une étude en profondeur de l’enseignement d’Ibn ‘Arabi et de ses transmetteurs en Iran, voir Omar BENAÏSSA : L’ère de l’Homme Parfait. L’école d’Ibn Arabi en Iran, aux 13ème et 14ème siècles. (Les transmetteurs et la doctrine), thèse de doctorat sous la direction de Charles-Henri de Fouchécour, Université de Paris III, 1998.
[2] CORAN, sourate XXVII, versets 38-40 (traduction de J. Berque).
[3] Annemarie SCHIMMEL, I am wind, You are fire, the Life and Work of Rumi, Shambhala, Boston and London, 1996
[4] L’Evangile selon Thomas, la connaissance dans les paroles de Jésus, Texte et commentaire par Swâmi Shraddhananda Giri, Paris, Les Deux Océans, 1998
[5] Le daf est un gros tambourin tenu verticalement par le musicien : il accompagne et rythme le chant.
[6] IBN BARRAJAN, Sharh asmâ Allâh al-husna (Comentario sobre los nombres mas bellos de Dios), édition Purificacion de la Torre, Madrid, 2002, page 362
[7] SADR AL-DIN AL-QUNAWI, al-Nafahât al-ilâhiyya, édition de Muhammad Khâjavî, Téhéran, 1996, page 126.
[8] Fusûs al-Hikam, chapitre 16, celui de Salomon.
[9] Henry CORBIN, L’imagination créatrice dans le soufisme d’Ibn Arabî, Paris, Flammarion, 2e éd., 1976, page 87.
[10] CORAN, sourate V, verset 32 (Traduction Jacques Berque).
[11] Claude ADDAS, Ibn Arabî ou la quête du Soufre Rouge, Gallimard,1989, page 169.
[12] CORAN, sourate X, Jonas, verset 38.
[13]Tradition transmise par les sunnites (Boukharî, Ahmad, etc.. ) et les chiites, Bihâr al-anwâr, vol.59, page 278.
[14] « Tirer semblance », au sens de donner un exemple, prendre comme métaphore.
[15] CORAN, sourate II, verset 26.
[16] Voir par exemple, ALLAMEH MAJLISI, Bihâr al-anwâr, (qui reprend les traditions sunnites et chiites), volume 16, page 297, en CD-Rom, Téhéran
Source : Majlis al-Uns