Après s’être illustré à Ratisbonne, en septembre 2006, en confirmant la supériorité absolue de la religion chrétienne et de sa Raison, en diffamant l’Islam et son Prophète, le pape Benoît XVI piétine les amérindiens dont il légitime l’extinction et met sous le boisseau un génocide sans pareil !
S’interrogeant sur l’acceptation de la foi chrétienne par les peuples d’Amérique latine et de la Caraïbe, au début de son discours d’ouverture de la 5e conférence de l’épiscopat latino-américain (Celam), le 13 mai à Aparecida, le pape trouve que : « Pour eux, cela a signifié accueillir le Christ, le Dieu inconnu que leurs ancêtres, sans le réaliser, cherchaient dans leurs riches traditions religieuses (…) En effet, l’annonce de Jésus et de son Evangile n’a supposé, à aucun moment, une aliénation des cultures précolombiennes, ni ne fut une imposition d’une culture extérieure »…
Ces déclarations, entre autres, soulevèrent le lendemain un tollé de la part des représentants des communautés amérindiennes, allant du désaccord total, au terme de génocide, en passant par : l’occultation de l’histoire, le choc de civilisation, l’ignorance totale de l’histoire, de Bartholomé de Las Casas, à l’accusation de mensonges et de fraudes… Le vendredi soir, le 18 mai, le président du Venezuela, Hugo Chavez, a demandé au pape Benoît XVI de présenter ses excuses aux Indiens d’Amérique, pour ces déclarations sur l’évangélisation du continent, en précisant, dans une entrevue télévisée et radiodiffusée : » Il s’est passé quelque chose de plus grave que l’holocauste au cours de la seconde guerre mondiale, personne ne peut le nier et sa sainteté ne peut nier l’holocauste aborigène sur cette terre ».
Traduits en chiffres, le génocide des temps moderne est évalué à six milles personnes, alors que celui des « conquistadors catholiques » dépasse les soixante millions de personnes…
« Avec la vérité, on n’offense personne », conclut Chavez !
Première remarque à noter : l’étouffement de cet incident dans les médias , surtout la demande du président Hugo Chavez, exigeant des excuses de la part du pape pour les déclarations qu’il a faites et qui contredisent carrément la vérité historique. Même les quelques modestes sites internet qui avaient annoncé la nouvelle, s’empressèrent de la retirer !
C’est pourquoi il semble utile et intéressant à la fois d’avoir recours aux écrits de Bartholomé de Las Casas, de cet honnête prêtre franciscain, qui accompagna les envahisseurs, en 1502, mais fut rapidement écoeuré par la brutalité, le mépris de la vie des Indiens pratiqués par les conquérants : notamment en assistant, à Cuba, à des massacres qui l’épouvantent et dont il a laissé le récit dans un ouvrage de trois gros volumes, de quelque 2310 pages. Le manuscrit est resté inédit, et pour cause, durant plus de trois siècles, avant d’être imprimé en espagnol en 1986, puis traduit en français et publié en 2002.
En fait, nombreuses furent les interventions du père Bartholomé pour prendre la défense des habitants. En 1531 il rédige sa « Lettre au Conseil des Indes », où il s’exprime sur ce ton : « Pourquoi donc, au lieu d’envoyer des brebis qui convertissent les loups, envoyez-vous des loups affamés, tyranniques et cruels, qui dépècent, massacrent, scandalisent et épouvantent les brebis ? »
Mais il aura à affronter la résistance des colons et leurs révoltes. Il sera violemment attaqué et finira par se fixer dans un couvent pour se consacrer à rédiger la grande majorité de ses écrits. A part les trois volumes de « l’Histoire des Indes », Las Casas avait fait une « Très brève relation de la destruction des Indes », en 1552, adressée au « Très haut et très puissant seigneur le prince des Espagnes, don Felipe, notre seigneur », qui fut publiée de son vivant. C’est un brûlant réquisitoire, pris sur le vif, dans lequel il dénonce les atrocités, la cupidité et le cynisme des conquérants, mais qui renforça la violence contre lui, même après sa mort…
C’est de cette « brève relation de la destruction des Indes » de 154 pages, que nous relevons les citations suivantes, à titre d’exemples, avec l’espoir de redonner vie à ces cries d’alarme, de frustration et d’indignations, lancés par celui qui fut considéré, à juste titre, comme le premier défenseur des Indiens opprimés. Signalons que Las Casas a fait le récit des malheurs et des massacres perpétués, non seulement sur l’ensemble du continent, mais même dans la plus petite des îles et dans la plus petite des communautés :
« C’est chez ces tendres brebis, ainsi dotés par leur créateur de tant de qualités, que les Espagnoles, dès qu’ils les ont connues, sont entrés comme des loups, des tigres et des lions très cruels affamés depuis plusieurs jours. Depuis quarante ans, et aujourd’hui encore, ils ne font que les mettre en pièces, les tuer, les inquiéter, les affliger, les tourmenter et les détruire par des cruautés étranges, nouvelles, variées, jamais vues, ni lues, ni entendues. J’en dirai quelques-unes plus loin; elles ont été telles que sur les trois millions de naturels de l’Ile Espagnole que nous avons vus il n’y en a plus deux cents aujourd’hui » (p. 50).
« Au cours de ces quarante ans, plus de douze millions d’âmes, hommes, femmes et enfants, sont morts injustement à cause de la tyrannie et des œuvres infernales des chrétiens. C’est un chiffre sûr et véridique. Et en réalité je crois, et je ne pense pas me tromper, qu’il y en a plus de quinze millions ». (pp. 51-52).
« Avec leurs chevaux, leurs épées et leurs lances les chrétiens commencèrent des tueries et des cruautés étrangères aux Indiens. Ils entraient dans les villages et ne laissaient ni enfants, ni vieillards, ni femmes enceintes ou accouchées qu’ils n’avaient éventrés et mis en pièces, comme s’ils s’attaquaient à des agneaux réfugiés dans leurs bergeries. Ils faisaient des paris à qui ouvrirait un homme d’un coup de couteau, ou lui couperait la tête d’un coup de pique ou mettrait ses entrailles à nu. Ils arrachaient les bébés qui tétaient leurs mères, les prenaient par les pieds et leur cognaient la tête contre les rochers. D’autres les lançaient par-dessus l’épaule dans les fleuves en riant et en plaisantant et quand les enfants tombaient dans l’eau ils disaient : ‘Tu frétilles, espèce de drôle! » ; ils embrochaient sur une épée des enfants avec leurs mères et tous ceux qui se trouvaient devant eux. Ils faisaient de longues potences où les pieds touchaient presque terre et par groupes de treize, pour honorer et révérer notre Rédempteur et les douze apôtres, ils y mettaient le feu et les brûlaient vifs. D’autres leur attachaient tout le corps dans de la paille sèche et y mettaient le feu ; c’est ainsi qu’ils les brûlaient. A d’autres et à tous ceux qu’ils voulaient prendre en vie ils coupaient les deux mains, et les mains de leurs pendaient, et ils leur disaient : « Allez porter les lettres », ce qui signifiait d’aller porter la nouvelle à ceux qui s’étaient enfuis dans les forêts. C’est ainsi qu’ils tuaient généralement les seigneurs et les nobles : ils faisaient un gril de baguettes sur des fourches, ils les y attachaient et mettaient dessous un feu doux, pour que peu à peu, dans les hurlements que provoquaient ces tortures horribles, ils rendent l’âme » (p. 55).
« Il fit entrer par la ruse les plus importants dans une maison de paille et il ordonna d’y mettre le feu. Ils furent brûles vifs. Tous les autres furent tués à coups de lance, une multitude à coups d’épée. Quant à la reine Anacaona, les soldats la pendirent pour l’honorer. Il arrivait que certains chrétiens, par pitié ou par cupidité, prennent des enfants pour les protéger et qu’ils ne soient pas tués, et les mettaient en croupe sur leur cheval, un autre Espagnol venait par-derrière et transperçait l’enfant de sa lance; un autre, si l’enfant était par terre, lui coupait les jambes de son épée » (p. 60).
« Ce gouverneur et sa troupe inventèrent de nouvelles formes de cruautés et de tourments pour obliger les Indiens à découvrir de l’or et le leur donner. Un de ses capitaines, au cours d’une expédition qu’il fit sur son ordre pour voler et anéantir les Indiens, tua plus de quarante mille personnes. Un franciscain qui était avec lui, fray Francisco de San Roman, l’a vu de ses yeux. Le capitaine les a tués à coup d’épée, les a brûlés vifs et les a jeté aux chiens féroces, après diverses tortures » (p. 70).
« Et au point du jour, alors que les innocents dormaient avec leurs femmes et leurs enfants, ils attaquaient le village, qui était généralement en paille, et brûlaient vifs les enfants, les femmes et beaucoup d’hommes avant qu’ils leurs esprits. Ils tuaient ceux qu’ils voulaient et torturaient à mort ceux qu’ils prenaient vivants pour leur faire indiquer d’autres villages pourvus d’or ou dire où il s’en trouvait davantage que celui qu’ils trouvaient. Ceux qui restaient étaient marqués au fer comme esclaves. Quand le feu était éteint, les Espagnoles allaient chercher l’or qu’il y avait dans les maisons. C’est de cette manière et dans de telles actions que s’est occupé cet homme perdu avec tous les mauvais chrétiens qu’il commandait, de 1514 à 1521 ou 1522 (…) Les officiers du roi faisaient de même, chacun envoyant le plus de serviteurs ou de domestiques qu’il pouvait ; et le premier évêque de ce royaume envoyait aussi ses domestiques pour avoir sa part de profit » (p. 71).
« L’an 1518, ceux qui se disaient chrétiens s’en furent la piller et y tuer, tout en disant qu’ils allaient la peupler. De 1518 à aujourd’hui, en 1542, toute l’iniquité, toute l’injustice, toute la violence et la tyrannie exercées par les chrétiens aux Indes ont débordés et ont atteint leur comble. Parce que les chrétiens ont perdu toute crainte de Dieu et du roi et ont oublié qui ils sont. Les ravages et les cruautés, les tueries et les destructions, les dépeuplement, les vols, les violences et les actes tyranniques perpétrés dans tant de royaumes de la grande Terre Ferme sont si nombreux et si graves que tout ce que nous avons dit n’est rien en comparaison de ce qui a été fait ; même si nous les disions toutes, car nous taisons bien des choses, ce n’est comparable ni en nombre ni en gravité à ce qui a été fait et perpétré de 1518 à l’année où nous sommes, 1542 » (p. 78).
« Un certain Espagnol qui allait à la chasse au cerf ou au lapin avec ses chiens ne trouva un jour rien à chasser, et il lui sembla que les chiens avaient faim : il enlève un tout petit garçon à sa mère, et avec un poignard il lui coupe les bras et les jambes et donne à chaque chien sa part, quand les chiens ont mangé les morceaux, il jette le petit corps par terre à toute la bande » (p. 101).
« Voilà donc les actions des Espagnoles qui vont aux Indes et qui, un nombre vraiment infini de fois, poussés par leur soif de l’or, ont vendu et vendent aujourd’hui encore, nient et renient Jésus-Christ » (p. 104).
« Que tous les véritables chrétiens et même ceux qui ne le sont pas sachent ce qui suit, et si l’on a jamais entendu parler d’une chose pareille : pour nourrir ces chiens, les Espagnoles emmènent sur les chemins beaucoup d’Indiens enchaînés, qui marchent comme des troupeaux de porcs ; les Espagnoles en tuent et tiennent boucherie publique de chair humaine : ils se disent les uns aux autres : « Prête-moi un quartier d’un de ces drôles pour donner à manger à mes chiens en attendant que j’en tue un autre » : comme s’ils échangeaient des quartiers de porc ou de mouton » (p. 148).
« Je déclare devant Dieu et ma conscience que d’après ce que je crois et ce que je considère comme vrai je n’ai dit et souligné, en gravité et en quantité, que le dix millième des perditions, des dommages, des destructions, des dépeuplements, des ravages, des meurtres, des grandes cruautés, particulièrement laides et horribles, des violences, des injustices, des vols et des tueries perpétrés sur les habitants et les terres des Indes, dans le passé et aujourd’hui encore » (p. 148).
« J’ai terminé mon travail à Valence le 8 décembre 1542, au moment où les violences, les oppressions, les tyrannies, les massacres, les vols, les destructions, les ravages et les anéantissements, les angoisses et les calamités que j’ai dits sont au comble de leur force partout aux Indes où il y a des chrétiens. Les chrétiens sont plus féroces et abominables dans certaines régions que dans d’autres » (p. 154).
Est-il lieu d’ajouter que presque pas une page, dans ce triste et révoltant récit, n’est exempte de ces atrocités commises par des chrétiens, au nom de la chrétienté, pour imposer le christianisme vaticanais, – drames qui se perpétuent jusqu’à nos jours sans relais ?!
C’est pourquoi je m’adresse à sa Sainteté, au très Vénérable Benoît XVI, pour lui demander : n’a-t-il pas suffit de presque deux mille ans de massacres et de tueries pour comprendre que l’évangélisation menée par l’Institution vaticane n’est pas de mise avec la Raison, avec la Logique, ou avec le sens du mot Humanité ? Deux mille ans au cours desquels votre Institution a eu recours au bûcher, au fil de l’épée, à l’Inquisition, à la torture ? C’est en 1224 que votre confrère le pape Grégoire IX admet le supplice du feu, et en 1244 l’autre confrère, le pape Innocent IV, instaure la torture dans la procédure de l’Inquisition ! Pour ne rien dire de toutes ces dizaines de congrégations, constituées de tous les âges, même des enfants, pour évangéliser le monde, ou de tous ces Ordres de Chevaliers, de Templiers, de Teutoniques, d’Hospitaliers ou ceux de Maltes, qui continuent, ceux-ci, jusqu’à nos jours, leurs croisades d’évangélisation ? N’avez-vous pas saisi, après presque deux mille ans de boucheries, perpétués au nom du Christ et du catholicisme, dans tous les pays et parmi tous les peuples de la terre, à travers les siècles, que les gens se sentent mal, humiliés, frustrés et privés de l’a.b.c. de leur droit de vivre leur vie, comme ils veulent, sans l’intervention d’évangélisateurs ?!
N’est-il pas temps que cette injustice, menée par l’Institution que vous présidez, prenne fin, en cessant surtout ce jeu de deux poids deux mesures qui provoque tous les malheurs du Moyen-Orient et ailleurs ? N’était-ce cette fameuse réhabilitation des Juifs, décrétée à Vatican II, l’usurpation de la terre de Palestine n’aurait sûrement pas eu lieu ! Et pourtant, malgré tous ces flagrants délits, qui contredisent vos Textes sacrées, votre confrère, le pape Jean Paul II, a su présenter les excuses, exigées par les Sionistes, pour le fameux génocide des temps modernes …
Est-ce que toutes ces dizaines de million de personnes massacrées, dépecées, jetées aux chiens ou dans les flammes, dans les Amériques, et surtout l’Amérique latine, qui ont été éradiqués de sur terre avec leur civilisation et leur culture, ne méritent-ils pas le moindre geste humain pour que vous leur présentiez des excuses au nom de cette « Glorieuse » Institution Vaticane ?!
Est-ce que ce milliard et plus de musulmans, que vous avez délibérément outragé, en portant atteinte à l’Islam et au Prophète Muhammad, et en insistant avec acharnement à éliminer huit siècles de leur indéniable apport culturel et civilisateur des racines de l’Europe, ne méritent-ils pas des excusent de votre part ?!
Avec tout le respect dû à votre personne, à vos connaîssances et au poste que vous occupez, je ne peux que dire : au lieu d’étouffer les échos des génocides et des gaffes commis, probité exige, de celui qui porte parmi ses titres : « Le Vicaire de Jésus-Christ », i-e : le Représentant de Dieu sur terre (Jésus ayant été déifié au Concile de Nicée en 325), d’être Equitable, d’être Juste et SANS parti pris, envers tout le monde !
Zeinab Abdelaziz
Professeur émérite de civilisation française
23 mai 2007