par François Burgat et François Gèze
Depuis le déclenchement des « représailles » israéliennes contre les territoires de l’Autorité palestinienne puis contre le Liban, le spectacle des journaux télévisés des chaînes françaises, publiques comme privées, nourrit un malaise croissant.
Une rhétorique sectaire et simplificatrice criminalise toute résistance – libanaise ou palestinienne – « justifiant » ainsi plus ou moins explicitement, outre l’assassinat de centaines de civils, la destruction sous les bombes de toutes les infrastructures de ces sociétés. En comparaison avec les autres médias européens, en particulier la BBC, ces chaînes françaises apparaissent désormais à une bonne partie du monde francophone – qui s’en détourne irrésistiblement – comme l’instrument d’une désinformation dont la crédibilité politique de la France paiera inévitablement le prix.
Aux rois des non-dits du 20 heures et des « plateaux » qui penchent sous le poids des « philosophes à gages » et autres « experts » auto-proclamés, aux princes des débats à sens inique, aux reines des enquêtes à œillères et des docus menteurs, aux montages qui trichent et qui truquent, aux mages du « 50-50 » (une minute pour les cratères et… une pour les canons) comment dire la rage ressentie devant de telles « informations » ? Comment vous dire : « Assez » ! L’arme des mots nous forge un nouveau nom : vous serez désormais la « TELAVIVISION » !
A la télavivision, on creuse le vieux sillon du sens commun de la haine ordinaire : de Gaza à la banlieue sud de Beyrouth, on stigmatise indistinctement- et aussi aveuglément qu’en leur temps ses pères nationalistes – l’entière génération politique dite « islamiste » tout entière identifiée au « terrorisme ».
À la télavivision, l’histoire religieuse des uns est pourtant la bienvenue à cimenter l’unité d’une nation et de son armée. Mais celle des autres ne produit qu’un « intégrisme » révoltant.
A la télavivision, un homme politique fréquentable n’est donc pas celui qui a su mériter le respect des siens et se faire élire démocratiquement : c’est celui qui se laisse désarmer et se soumet docilement au diktat du pays voisin !
A la télavivision, les centaines de tonnes de bombes américaines qui alimentent les arsenaux israéliens ou la longue tradition européenne de soutien sélectif à certaines « forces libanaises » sont mystérieusement oubliées et les « ingérences étrangères » ne sont plus que « syrienne » ou « iranienne » !
À la télavivision, la nucléarisation parfaitement hypothétique de l’Iran est la « grande menace » de l’heure, mais les kilotonnes, bien réelles, que l’arsenal israélien pointe sur tous ses voisins n’existent pas.
A la télavivision, seuls les guerriers d’un des deux camps ont une famille qui s’inquiète pour eux ! Etc.
En minimisant l’ampleur des cratères creusés par l’autisme guerrier israélien, la télavivision en creuse d’autres, plus profonds encore. Elle les creuse non seulement dans le tissu de nos relations avec le monde mais également au cœur de notre propre société : lorsque l’un des pieds d’une table est autorisé à être insolemment plus haut que les autres, c’est tout le « vivre ensemble » de la communauté internationale, ou nationale, qui peut s’en trouver, à terme, déstabilisé.
Au fur et à mesure que « la seule démocratie du Proche Orient », après avoir jeté en prison ministres et parlementaires de son adversaire, met en œuvre son droit à la « légitime défense » avec le soutien aveugle du pays où trône la statue de « la liberté », les mots piliers sur lesquels reposaient notre monde s’écroulent un à un. Quand comprendra-t-on enfin l’urgence de dépasser cette pernicieuse « télavivision » ?
7 août 2006