Il est difficile d’imaginer ce qu’aurait été l’ampleur du scepticisme défaitiste et de la capitulation civilisationnelle, de certains musulmans, si l’Islam n’avait pas connu, durant de longs siècles, tant de gloire et de rayonnement universel. Abusant d’une campagne censée tarir les sources du radicalisme et extirper ses attaches, des individus catapultés semblent confortablement couverts, sinon instruits, pour forcer un virage idéologique, en s’en prenant aux symboles culturels.
La besmala, la science, et la Révélation
« Lis au nom de ton Seigneur ! » L’expression est tellement connue et classée, qu’on a tendance à l’oublier ou la refouler, sinon la lire ou l’écouter machinalement, sans en méditer le sens. Les rappels profitent aux croyants, il ne s’agit ni plus ni moins que du tout premier verset coranique et tout premier commandement divin, adressé énergiquement, par l’intermédiaire de l’ange Gabriel, au Prophète Mohamed (PSSL), et donc à tous les disciples et bons entendeurs.
Et cette empoignante directive d’intronisation d’un bédouin arabe illettré, affectionnant l’isolement et la méditation dans une grotte désertique, comme l’ultime messager de la Révélation divine, donnera naissance à la plus merveilleuse des civilisations. « Lis au nom de ton Dieu ! » éclairera le chemin et tracera la voie à une nouvelle nation, qui commencera par se débarrasser de son analphabétisme, pour consommer rapidement et avidement de la science et du savoir, avant de finir par en produire en quantité et qualité rayonnante, jusqu’à conquérir et enchanter durablement les quatre coins du monde.
Mais hélas, les hommes et les femmes, à la base des civilisations, ne sont pas éternels, et leur relève est loin d’être héréditaire. La besmala (Au nom d’Allah) ne semble plus faire l’unanimité, et paraitrait même suspecte chez certains. Evidemment qu’elle peut, comme d’autres prétextes et paravents, être facilement manipulée ou surenchérie pour cacher l’incompétence et la médiocrité, voire l’égarement ou l’extrémisme. Elle est cependant loin de véhiculer l’obscurantisme ou le charlatanisme, comme semblent le penser ou veulent le faire croire, certaines élites, ne manquant pas de subterfuges, ni d’échappatoires, voire de desseins obscurs.
Il serait peut-être utile, en guise d’arbitrage lointain et serein, de rappeler quelques glorieuses pages de l’ineffaçable âge d’or de l’Islam.
Mais qui est donc cet obscurantiste ?
Il n’est pas arabe, mais son livre est écrit en langue arabe, et commence par « Bismi Allahi Arrahmani Arraheem ». L’auteur consacre ensuite plusieurs lignes pour exprimer humblement toute sa gratitude envers son Créateur de l’avoir tant privilégié, guidé, et inspiré, et pour attester la prophétie incontestable de Mohammed (PSSL) en lui dévouant de pieuses prières.
Qui est donc cet amateur du remplissage, qui bourre et allonge ses écrits de verbiages superflus, pour compenser et camoufler le peu de choses qu’il a à offrir ou proposer ?
Notre serviteur n’est plus de ce monde, et ne peut donc pas présenter des excuses. Il s’agit d’un certain Mohamed Ibn Moussa Al-Khawarizmi (780-850), et le livre en question s’intitule « Abrégé du calcul par la restauration et la comparaison ».
Dans cet ouvrage unique et exceptionnellement innovateur, Al-Khawarizmi compose avec une élégance jusque-là inconnue, la toute première symphonie des variables mathématiques, et pose durablement les premiers fondements modernes de l’algèbre, avec une méthodologie révolutionnaire pour la résolution des équations linéaires et quadratiques (1).
Al-Khawarizmi est aussi l’auteur de plusieurs autres livres en Algèbre, Trigonométrie, Mécanique, Astronomie, Géographie, et Cartographie. Il a étudié les différents calendriers, et a repris puis actualisé les travaux de Ptolémée sur la géographie. Il a supervisé, pour le khalifat Al-Maamoun, le premier projet de mesure de la circonférence de la Terre et l’établissement de la première carte géographique planétaire.
Ce n’est qu’à partir du douzième siècle que les nombreuses traductions latines des livres d’Al-Khawarizmi vont permettre à l’Europe et l’Occident d’accéder à la représentation décimale des nombres, et impacter considérablement le développement des mathématiques (1). Aucune de ces traductions n’a osé se débarrasser de la besmala et de la déclaration de foi musulmane de l’illustre auteur. Les termes « Algèbre » et « Algorithme » resteront à jamais utilisés et cités à l’honneur d’Al-Khawarizmi, et à l’honneur de l’Islam des lumières.
Mais qui est donc ce charlatan ?
Il n’a pas été à l’école, et quand l’université lui a ouvert ses portes, c’est directement pour l’inviter à enseigner et inculquer son savoir. Du charlatanisme haute voltige ! Cinq de ses livres ont été regroupés sous l’audacieuse dénomination « Al-Kanoun » (Le Canon). Quel culot ! Et sans surprise, cette œuvre, pleine de recettes étranges et bizarres, commence par la rituelle besmala, suivie de la glorification de Dieu, et des prières sur le Prophète (PSSL).
Notre « Mouchaâwidh » s’appelle Ibn Sina ou Avicenne, et lui aussi n’est pas arabe, mais il a également tenu à écrire en langue arabe.
Si la médecine devait avoir un nom propre consensuel, ce serait indéniablement et sans le moindre doute, Ibn Sina (980-1037), « Cheikh El-Raïs », Roi des savants (2,3).
Dès l’âge de dix ans, le jeune Ibn Sina a déjà mémorisé tout le Coran, et maîtrisé l’arithmétique, la géométrie, et la logique. Il se lance alors et plonge en solitaire dans les études profondes, tel le traité Almageste de Claude Ptolémée, résumant toutes les connaissances mathématiques et astronomiques de l’Antiquité. A 14 ans, on lui offre une traduction des œuvres d’Hippocrate. Il les avale d’un trait. « Quand le sommeil me gagnait, je prenais un breuvage épicé pour me soutenir, et je reprenais mes lectures. » Notre jeune adolescent croise ensuite la médecine et tombe éperdument amoureux, d’autant plus qu’il la trouve plus belle, plus utile, et plus facile à conquérir, que les mathématiques. A 16 ans, il est brillamment reçu médecin à l’école de Djundaysabur où professaient d’illustres médecins de toutes confessions, juifs, chrétiens, mazdéens, et musulmans. A 17 ans, il enseigne à l’hôpital de Boukhara, et ses cours magistraux et uniques ne tardent pas à attirer des médecins étrangers venus de divers horizons. Un jour, il est appelé auprès du prince Nouh Ibn Mansour, tombé gravement malade. Ibn Sina diagnostique une intoxication par le plomb, venant des peintures décorant les précieux ustensiles du prince, et réussit à le guérir. En guise de récompense, il demande et obtient l’autorisation de consulter librement la riche bibliothèque royale des Samanides. En moins de deux ans, le jeune savant assimile le savoir de tous les auteurs et ouvrages disponibles, mais bute quelque peu sur la Métaphysique d’Aristote. Il ne lâche pas, et finit par surmonter cette difficulté grâce aux précieux commentaires d’Al Farabi.
Plus tard dans une autobiographie rétrospective, Ibn Sina déclarera humblement qu’à l’âge de 18 ans, son esprit n’avait pas encore atteint toute sa maturité, mais qu’il avait néanmoins fini par maîtriser toutes les connaissances scientifiques de son époque !
Bien entendu, notre jeune savant, désormais au sommet d’un empire scientifique, solidement bâti sur la besmala et la foi, ne s’arrêtera pas en si bon chemin. Il est ainsi l’auteur de quelques 450 travaux en médecine, philosophie, théologie, astronomie, logique, mathématiques, physiques, géographie, géologie, alchimie, et poésie. 240 de ces travaux ont survécu et laissé des traces. Son « Canon de la Médecine », véritable encyclopédie médicale constituée de cinq livres, a été la référence mondiale principale indiscutable pendant de longs siècles, jusqu’au milieu du dix-septième. Et ce n’est pas seulement en signe de reconnaissance et de gratitude, que cette œuvre a été entièrement rééditée à New York en 1973. L’esprit scientifique, exceptionnel et religieusement dévoué, de ce savant et chercheur hors pair, continue de fasciner et d’inspirer les générations.
Mais qui est donc cet illuminé moyenâgeux ?
Lui aussi n’est pas arabe et ne connait vraisemblablement pas la langue du Coran. Le livre qui nous intéresse n’est autre que sa thèse de Doctorat, soutenue avec succès en 1755. Elle est écrite dans sa langue maternelle, en Allemand. Mais dans la première ligne, l’auteur a scribouillé d’étranges signes, qu’on n’a pas pu déchiffrer, ou qu’on n’a peut-être pas voulu révéler. Et dans ce cas, le secret a été plutôt bien gardé, puisque ce n’est qu’en 2004, que le monde apprend avec étonnement et stupeur, sinon avec consternation, que Kant a écrit, tout au début de sa thèse, et en langue arabe, « Bismi Allahi Arrahmani Arraheem » (4).
Immanuel Kant (1724-1804), le plus mathématicien des grands philosophes, un génie et une fierté intouchable de la nation allemande, est considéré comme le fondateur du criticisme et de l’idéalisme transcendantal. Son œuvre est considérable et est notamment centrée autour de trois branches complémentaires de la critique, « Critique de la raison pure », « Critique de la raison pratique », et « Critique de la faculté de juger » (5).
Kant est aussi le premier grand philosophe moderne à enseigner à l’université de manière régulière, et ses cours, très diversifiés, incluent les mathématiques, la physique, la philosophie, ainsi que la théologie et l’anthropologie.
Même si, comme beaucoup d’autres philosophes, il est loin d’être satisfait et convaincu par le Christianisme avec ses contradictions, Kant n’est pas du tout séduit par l’athéisme, contrairement à beaucoup d’autres. C’est ainsi qu’il juge que le libre choix n’est pas du tout incompatible avec le déterminisme naturel. Il balaie ainsi définitivement les spéculations futiles et débridées des modèles basés sur l’expérience humaine et sociale, car incohérentes et donc à la merci des préjugés, pour orienter sa pensée vers l’éthique et la métaphysique de la morale et de la religion. « La connaissance doit être orientée par la raison afin de faire place à la croyance. La morale conduit immanquablement à la religion, et à l’idée d’un législateur moral tout-puissant. » Pour Kant, la moralité et les vertus de la théologie rationnelle devraient permettre de réaliser « Le règne des fins », une sorte de paradis moral où ne seront admises que les bonnes volontés (5,6).
Que fait donc la besmala islamique au début de la thèse de Doctorat de Kant ? Quels étaient les rapports et la proximité de ce grand penseur avec l’Islam ? Et pourquoi a-t-on gardé ce secret pendant deux siècles et demi ? On n’obtiendra pas de réponse, mais on peut s’en passer. Il est amplement suffisant de se contenter de se poser ces questions.
Les vieux démons de l’élitisme civilisateur
Qu’il soit de connotation morale, conservatrice, moderniste, patriotique, ou autre, le harcèlement obstiné masque toujours quelque chose de déshonorant ; au mieux il s’agit d’une médiocrité piteuse, et au pire c’est une perversion furieuse.
Sous le règne de la médiocrité totalitaire, toutes les incompétences relèguent l’adversité au second plan, pour se liguer en alliés stratégiques. Et la plus obligeante des médiocrités de service, c’est celle qui se contente des seconds rôles de faire-valoir, prétendument moralisateur, afin de fournir ou couvrir des prétextes permettant de favoriser le laisser-faire du pseudo-modernisme déracineur.
L’être humain constitue lui-même une arène de combat continu entre le bien et le mal, mais au niveau d’une nation, le défi réel, devant être relevé avec patience et persévérance, c’est lorsque la déculturation trouve refuge au sommet et abuse d’appuis illégitimes, rappelant ces incompris de bienfaits radicaux du colonialisme civilisateur.
Supprimer la besmala, c’est économiser quatre mots, mais au prix de profondes déceptions sociales ; et même sans réaction directe, l’école risque d’écoper de débrayages collatéraux, en plus de l’inévitable démobilisation primaire. Loin d’être une brèche ou une faille vers l’archaïsme ou l’obscurantisme, la besmala, pour les musulmans, c’est plutôt le portail fiable vers les bienfaits du savoir, et doit donc être exclue des querelles politiques et des surenchères. Le libre choix étant une option individuelle et non collective, en Algérie indépendante, on ne doit plus brandir l’étiquette de colonisable, chaque citoyen est libre de réviser ses convictions, et de prêcher ses valeurs et ses repères. Mais en attendant de convaincre et ratisser large, on doit faire preuve de retenue et ne pas remuer les fondements culturels, surtout quand on sait qu’on a été simplement implanté, et loin d’être investi par la volonté populaire (7).
Références :
(1) https://en.wikipedia.org/wiki/Muhammad_ibn_Musa_al-Khwarizmi
(2) https://en.wikipedia.org/wiki/Avicenna
(3) https://fr.wikipedia.org/wiki/Avicenne
(4) http://r-p-e.blogspot.com/2014/02/what-is-islamic-philosophy.html
(5) https://en.wikipedia.org/wiki/Immanuel_Kant
(6) https://la-philosophie.com/kant-religion
(7) https://www.youtube.com/watch?v=sihe4x9t_m0