Quand on m’accuse injustement d’avoir commis une grosse bêtise, il n’est pas du tout insensé pour moi de pousser jusqu’au bout, c’est même logique et légitime ! C’est dans le but de prouver à mes détracteurs qu’ils ont tort ; sinon c’est pour que je finisse par comprendre clairement pourquoi il ne fallait pas commettre cette bêtise !
Quand des algériens d’un certain genre, aimant à fond leur patrie, sont en désaccord avec d’autres, pas vraiment différents, qui la défendent jusqu’au bout, alors seule la postérité peut arbitrer et suivre ce patriotisme jusqu’au-boutiste et mesurer ses répercussions, directes ou collatérales, immédiates ou différées.
Les peuples n’ont que les gouvernants qu’ils méritent, et ces derniers ne récoltent que le syndicalisme qu’ils ont semé, directement ou collatéralement. Et avec les mandats illimités des uns, et les missions indéterminées des autres, il n’est pas aisé de débusquer une quelconque anomalie dans une grève ouverte, ni d’en décréter l’illégitimité, autrement que par l’instrumentalisation. Seules les concessions de la sagesse, de l’humilité, et du sens de la responsabilité, devant l’entêtement, l’arrogance, la nonchalance, et l’insouciance, peuvent limiter les dégâts, sauver les meubles, et éviter un pourrissement lent mais irrémédiablement dévastateur. Il est cependant difficile d’entretenir beaucoup d’optimisme, à moins d’ignorer ou de défier la causalité précédente.
L’usure, un pari non gagnant devant l’autoritarisme
« A ma droite, ce sont les dossiers que le temps a fini par régler ; et à ma gauche, ce sont les dossiers que le temps n’a pas encore réglés. » J’ignore si elle est authentique, mais cette citation est pertinemment prêtée au dictateur Francisco Franco, décrivant sereinement à ses invités, les deux grandes et seules piles de dossiers se trouvant sur son immense bureau. Perçu sous cet angle, et avec un ordre des priorités stratégiques, de type Franco, laisser patienter certains problèmes non sensibles avant qu’ils ne finissent par se régler, ce n’est qu’une question de temps, et quelle que soit la durée, elle ne dépassera pas la largeur d’un bureau.
De nos jours, les démocrates, les politiciens, et les intellectuels, ironisent sur Franco et le Franquisme, dernière dictature occidentale, servant d’exemple type à ne pas suivre. Mais même si les démocraties de façade offrent un espace de liberté, précieux et indéniable, tant que la perte de leur popularité ne peut avoir aucune incidence sur la perte des élections, ces régimes optent machinalement pour une priorisation stratégique Franquiste, en développant les mêmes réflexes de longévité et survie. Sans compter les dommages économiques, patriotiques, moraux, et même mentaux, causés par les liesses électorales. Franco avait, quant à lui, le mérite d’être direct et très clair : « Je ne suis responsable que devant Dieu et l’Histoire. »
Quand une grève, censée être légitime, ne porte pas ses fruits, ou n’est pas appréhendée et négociée, avec responsabilité, pendant ses premiers jours ou semaines, il convient alors pour tout le monde, et il n’est jamais trop tard pour le faire, de se poser les questions, simples et pertinentes, suivantes :
A qui profite finalement cette grève illimitée ? Sinon quelles en sont les principales victimes ?
Tant que les grands responsables algériens et leurs familles se font soigner à l’étranger, et que leurs enfants étudient dans des universités étrangères, et en attendant une salvatrice période des vaches grasses, tous les autres algériens n’ont alors d’autre choix sage que d’avoir un plus grand sens de responsabilité vis-à-vis de leurs écoles et de leurs hôpitaux. Aucune résignation n’est ici prônée, les peuples qui ont le plus réussi sont ceux qui ont su arracher leurs droits tout en préservant leurs acquis, sinon en recourant à la surproduction pour protester. Sans aller jusqu’à suggérer de retenir les élèves, les malades, et leurs parents, en otages dans les écoles et les hôpitaux, pour des cours et soins intensifs, des formes de protestation civilisées et responsables peuvent être imaginées. C’est justement là, l’une des tâches principales incombant à un leadership syndical de qualité. Et c’est là aussi, une occasion de réitérer l’importance de l’émergence du syndicalisme qualitatif, plutôt que de graisser des appareils opportunistes et bureaucratiques, entravant les gestions rationnelles et scrupuleuses, et causant la perte anarchique du contrôle censé être exercé. Et s’il y a démesure dans certaines revendications, c’est tout cela qui y contribue, sans compter le concours de l’émulation verticale.
Mais même s’il est légitime et naturel d’espérer une inculcation des valeurs patriotiques à partir des sommets des pyramides, rien n’empêche le patriotisme de base, en période de sècheresse et de crise de l’exemplarité, de rayonner vers les hauteurs pour irriguer les sommets arides.
Une démission, de grâce juste une seule !
« Echouer, peut-être ; démissionner, jamais ! » Luis Fernandez
On ne le sait que trop. Quand un ministre algérien est soumis à une grande pression, il devient du coup le dernier candidat aux remerciements. Il peut dès lors se réjouir et se rassurer de son indispensabilité, et célébrer l’affection et le soutien infaillible dont il ne manquera pas de bénéficier. De là à dire qu’un ministre qui sent ses jours comptés, sait alors ce qu’il doit faire, c’est un pas que je préfère ne pas explorer, en favorisant plutôt l’entretien des doutes sur mes hypothèses.
Avec un tel blocus d’une part, et le verrouillage syndical de l’autre, l’attente de voir arriver la fin de ce duel d’usure et contre-usure, peut être longue et coûteuse. On est alors en droit de penser à la possibilité de solliciter un autre mécanisme, celui de la démission. Cette pratique n’est pas courante chez nous, car perçue comme une désertion ; et c’est plus par désespoir qu’elle est évoquée ici.
Les trois ministres concernés par les derniers longs débrayages sont des professeurs universitaires et des intellectuels respectables (Santé, Education, Supérieur). Si ces honorables scientifiques trouvent que leur message ne passe pas, dans un sens ou dans l’autre, pourquoi acceptent-ils alors, en tant qu’incompris, de jouer cet inconfortable rôle de marteau, devant enfoncer obstinément des clous douloureux ? N’ont-ils pas l’habitude de transmettre leurs messages avec plus de douceur, d’élégance, et de pertinence, en tant qu’académiciens ?
Et si, comme normalement anticipé, cela n’est pas envisageable pour une raison patriotique quelconque, alors de grâce, qu’on nous épargne le classique et agaçant feuilleton des démissions refusées, que l’indiscrétion des proches commence par trahir et relayer judicieusement, avant que les futures mémoires n’en livrent les détails. Quand on veut démissionner, on décide et on informe, on rédige et on signe. Et quand on veut rendre le tablier, on l’enlève d’abord avant d’entrer et le remettre à qui de droit.
Plus généralement, et sans la bénir systématiquement, la démission peut se présenter comme un acte instantané très digne, pouvant avoir une portée morale et signification patriotique de grande envergure, à tous les niveaux, à commencer auprès de ceux qui en sont directement responsables. La démission est absolument incompatible avec le carriérisme, mais ses répercussions positives peuvent éclipser et naniser tout un empilement de carrières. Notre classe politique, pouvoir et opposition, et toutes les organisations satellitaires, souffrent crucialement d’une carence chronique en cette vitamine noble. Il s’agit de toute une culture de l’honneur à fonder et à conquérir.
Fermeté et jusqu’au-boutisme
Autre temps, autre audience, mais même pays, et mêmes mœurs jusqu’au-boutistes, Albert Camus n’aurait sans doute pas hésité à accorder son aval à cette adaptation de l’une de ses célèbres citations : « Aller jusqu’au bout, ce n’est pas seulement résister, mais c’est parfois se laisser couler ».
J’espère que quand le jour J, on aura trouvé un accord et repris le chemin des écoles et des autres activités, on ne se contentera pas juste de célébrer. Pourquoi pas le jour (J-1), pourquoi pas une semaine plus tôt, des mois plus tôt ?
Sans vouloir dresser un tableau sombre, si une bonne, sincère, et ferme volonté peut arriver à mettre de l’ordre, dans des délais raisonnables, dans le domaine de la santé et autres secteurs, il faudra bien plus que de la sagesse et fermeté pour la reprise du système éducatif. Cet édifice vital est désormais boiteux, et s’étant logiquement et longtemps nourri de sa propre production, seules des délicatesses et perspicacités conjuguées de super-élites nationales, sans déphasage culturel aigu, peuvent permettre d’entamer un long processus de réhabilitation. Une nouvelle rigueur doit certainement faire partie des ingrédients, mais elle doit être au-dessus de tout soupçon, crédible, respectable, convaincante, et entrainante. A ne jamais confondre avec l’obstination aveugle, la fermeté doit s’accompagner d’une sagesse consubstantielle et obéir à des conditions responsables, loin du jusqu’au-boutisme, voire de la nonchalance. On ne brandit pas la révocation de milliers d’enseignants, sans associer à cette fermeté toute l’anticipation préalable.
Se voulant foncièrement constructive avant tout, cette contribution critique peut paraitre trop acerbe et dépassant les limites de la sévérité requise, mais ce n’est en fait qu’un nième appel désespéré à l’humilité et au sens de la responsabilité. Les secteurs de l’Education et de la Santé doivent retrouver le rang stratégique qui est le leur. Pour les résidents de médecine actuellement en grève, on peut parier sagement, même de loin, que cette élite ne doit pas manquer d’arguments pertinents, et doit être écoutée sérieusement. Le retard creusé et accumulé dans ces deux secteurs importants, est considérable et injustifiable, et pour le système éducatif, nous sommes déjà engagés dans le domaine du quasi-irréversible. Les traitements sont déjà suffisamment complexes, et loin de constituer des passages obligatoires, les heurts culturels et leurs inévitables réactions de rejet ou de démobilisation, ainsi que l’instrumentalisation de la justice, sont plutôt des diversions, déviations, et complications supplémentaires.
Ça ne paraitrait pour le moment qu’une simple plaisanterie, mais rien ne nous empêche de prêcher ce contraste en espérant fermement y joindre l’utile un jour. Ne nous lassons pas d’imaginer et d’évoquer des responsables diriger avec conviction, dans le cadre d’une révolution de l’exemplarité, une campagne de volontariat, pour des soins exclusifs en Algérie, et des enfants ne fréquentant que les bancs de l’université algérienne, sans dérogations, ni passe-droits.
Ce type d’usure et de persévérance, prêchant l’honorabilité et le patriotisme authentique, et permettant de tarir les sources et pépinières de la servitude, et d’épuiser les mines de l’arrivisme indélicat, est certes très exigeant, mais il permet de combattre la culture despotique et d’aspirer à un changement pacifique, préservant et consolidant les acquis.
Abdelhamid Charif
27 février 2018