Venir au monde dans un taudis de misère, ou voir le jour dans l’abondance d’un vaste château, les conditions d’entame et de longévité ne sont pas alignées pour réclamer photo. L’instinct de survie se forge loin des caprices, et la ségrégation hideuse irrite ses défenses, pendant que la nature se nourrit de la diversité et respire la différence. Dans un bidonville ou dans une cave, leur espérance de vie serait bien meilleure, les rats et les moustiques des palais meurent jeunes, mais n’accusent aucun souffre-douleur. Ni ligue des droits, ni égalité des genres, ni syndicat ou activisme de tous bords, l’animal s’acquitte de ses tâches sans râler, et assume dignement son destin et son sort.
Le persécuté heureux qui s’ignore
Moi aussi, je promets d’accepter noblement mon sort, si le destin veut bien m’installer dans un palace. J’apprendrais alors à ces princes et princesses, ce qu’est la belle vie et comment honorer un paradis sur Terre ! Mais hélas il y a un détail qui cloche. Ah c’est bien dommage ! C’est ce foutu travail quotidien ! L’homme doit toujours nourrir sa famille, ne cesse-t-on de me répéter. Mais pourquoi est-ce que l’Islam assigne cette corvée au pauvre mâle ? Et la femme ? Après tout, c’est elle qui a accouché de toutes ces bouches insatiables qui me guettent matin et soir ! Cette mauvaise interprétation de la religion, moi je la rejette ! Elle rabaisse les hommes. De simples esclaves ! La femme ne doit plus être autorisée à travailler à sa guise. Elle doit y être obligée ! Pour partager les frais ! Sinon pourquoi aurait-t-elle droit à l’héritage ? Elle est en plus ingrate et proteste que la moitié de la part d’un garçon pour une fille, c’est injuste ! Eh bien moi, j’en ai ras-le-bol ! Je n’ai plus peur, je vais clamer haut et fort ce qu’est la vraie justice ! Désormais, soit la femme est forcée à contribuer à raison de 50% minimum, ou bien elle n’hérite de rien du tout ! Le beurre, l’argent du beurre, et l’ingratitude ! Ne me parlez surtout pas de ces prétendues exceptions ! De grandes gueules ! Du khorti leur travail ! Elles doublent peut-être les revenus, mais pour quadrupler les dépenses ! Et puis cette Sunna sur mesure, de la tête aux pieds. Dès la naissance, le crâne malléable du bébé est modelé pour privilégier sa maman, trois fois plus que le père. « Ta mère, ta mère, ta mère ! Et puis bon, tu as aussi un père. » Vous vous rendez compte ? Ni l’égal ni la moitié ! L’homme n’est que le bon dernier quart d’une femme ! Et ce manque de considération est constamment rabâché : « Ton accès au paradis ? C’est sous les pieds de maman ! » Le papa n’est donc qu’un robot-vache à traire, jetable en cas de péremption. Allez debout les mecs, indignez-vous ! Il s’agit d’une interprétation purement féminine et erronée de l’Islam, malheureusement relayée par des hommes totalement soumis, oh combien heureux de l’être, et surtout de l’ignorer.
La femme musulmane inspire une branche sans tronc, des droits de l’homme
Mes respects et mes excuses à celles et ceux qui se sentiraient heurtés par ce style, ou le jugeraient inapproprié. L’intention, c’est démêler une certaine pertinence, pour dénoncer, et surtout alerter, ceux et celles qui prennent un malin plaisir à chercher la petite bête au Bon Dieu, avec des lectures tendancieuses et préjugés négatifs. Sans doute que ces derniers ignorent ou oublient un aspect important de la religion, clairement signalé dans le guide sacré. Le Coran prévient qu’il contient des versets sans équivoque, constituant la base essentielle de l’Islam, et d’autres versets pouvant prêter à diverses interprétations ; et que ce sont les gens enclins à l’égarement qui mettent l’accent sur ces derniers, alors que nul n’en connaît l’interprétation à part Le Créateur (3/7).
C’est ainsi qu’une fixation favorite consiste à rabâcher que la femme musulmane est condamnée à vivre comme une mineure, ne représentant que la moitié d’un homme. Un refrain composé par les détracteurs de l’Islam, et fredonné avec entrain par certains musulmans. Bien sûr, avec un verset qui fixe la part de l’héritage d’une fille à la moitié de celle de son frère, et un autre qui comble l’absence d’un témoin homme par deux femmes, le lien est trop flagrant et vite fait. On ne peut pas rater cette preuve par neuf ! L’inverse de la moitié, c’est bien le double, n’est-ce pas ? Alors CQFD ! Et pourtant, on peut relever aisément qu’il n’y a aucune ambiguïté, les deux versets sont clairs et distincts. L’équivoque résiderait plutôt dans une lecture précipitée de deux nombres indépendants, forçant un lien algébrique inexistant, piégeant les naïfs et radicalisant les sceptiques.
Le thème de l’héritage a déjà été évoqué, et la part réduite de la fille se justifie simplement par l’obligation faite à l’homme de subvenir aux besoins de sa famille. La sœur peut juger cette demi-part insuffisante, le frère peut l’estimer excessive ; alors que les croyants, hommes et femmes, trouvent le verdit du Créateur, simplement juste et convenable. L’insatisfaction est navrante, mais il est tout aussi drôle que réconfortant de constater qu’elle se manifeste sans ségrégation. Que d’hommes, étouffant de galanterie, s’insurgent contre cette persécution réduisant la femme à une moitié ; et que de mamans, excédées par la tendresse, insistent pour que leurs filles se désistent, de gré ou de force, au profit de leur pauvre chéri de garçon.
Venons-en maintenant à ce super-témoin qui ne vaut pas moins de deux femmes.
Superman et ses deux moitiés, un film qui fait flop
Le témoignage est une responsabilité morale et religieuse immense. Sans les nombreux faux témoignages des uns, et les attestations défaillantes des autres, et sans les multiples lâchetés de ceux qui refusent de témoigner ou craignent de le faire, l’injustice, la tyrannie, et la misère seraient nettement plus confinées. Et le monde ne serait que meilleur. Il est fermement interdit aux musulmans de dissimuler le témoignage. Et le prendre à la légère ou choisir les témoins sans tri, est gravissime et synonyme de trahison. Ainsi toute personne moralement qualifiée, mais souffrant d’une quelconque maladie affectant ses facultés de mémorisation, n’est plus un témoin fiable, indépendamment de ses facultés intellectuelles. Quand il s’agit d’établir de nouveaux contrats durables, il est préférable d’impliquer plusieurs témoins dignes, certains risquant à la longue de déménager ou même mourir. Dans tous les cas, nul n’est infaillible, et la complémentarité par concertation est très importante, notamment quand les témoins sont appelés à exprimer des appréciations, pouvant objectivement varier.
Mais hélas on ne peut pas toujours choisir les témoins à sa guise. Très souvent les conditions de recours aux témoignages sont fortuites et on doit faire avec les moyens du bord. Le Prophète (PSSL) a validé le testament d’un seul bédouin pour entamer le Ramadhan. Outre les défaillances, les trahisons ne peuvent pas être écartées. La justice divine ne prévoit alors que des jugements ultérieurs, comme pour ces témoins falsifiant les dernières volontés d’une personne avant sa mort (2/181). Fort heureusement, la gestion moderne avec des juges, huissiers, et notaires, peut établir de meilleurs contrats, testaments, et autres attestations. Le recours au témoignage direct reste toutefois inévitable. Tous les savants musulmans s’accordent que seule la probité compte, sans aucune distinction de sexe. Il y a cependant des domaines spécifiques où le témoin doit jouir d’une expérience professionnelle ou naturelle. La pédiatrie et la mécanique sont des univers différents, et pour les désagréments causés par la ménopause ou la prostate, le juge sait à quelles personne et tranche d’âge s’adresser.
Le verset qui nous intéresse évoque un contrat dans le domaine sensible de l’endettement. Les finances, c’est un espace dominé par les hommes, et même des femmes qui travaillent demandent parfois l’assistance du père ou du mari. Le verset n’adresse aucune instruction aux juges, mais conseille le créancier. Nombreux sont ceux qui prêtent de l’argent avec un goût de la discrétion éclipsant les risques encourus. Ce passage est extrait du plus long verset du Coran (2/282) : « Prenez deux témoins d’entre vos hommes, ou à défaut un homme et deux femmes, parmi ceux que vous agréez comme témoins, en sorte que si l’une oublie, l’autre puisse lui rappeler. »
D’abord, il n’est pas du tout question d’un quelconque superman ou super-témoin. Un seul homme ne suffit pas ! Aussitôt lu, aussitôt oublié, l’attention de certains étant coincée ailleurs. Quant aux deux femmes devant suppléer un homme, le verset est loin de signifier qu’il s’agit de deux demi-témoins devant déposer deux moitiés du témoignage pour compléter les 100%. L’avantage de plusieurs témoignages ne réside pas dans l’additivité, car la sommation pure de récits défaillants a peu de chance de combler les vides et éliminer les imperfections. Toutefois, même si les erreurs numériques « bêtes » ont plus tendance à s’accumuler qu’à s’annuler, les témoignages humains bénéficient substantiellement des interactions et rappels mutuels, avec effet correctif immédiat. On peut alors sagement se contenter de dire qu’il faut deux amateurs pour remplacer un expert, car ce dernier fait plus attention à certains détails importants qui peuvent échapper aux premiers.
La mécanique de l’oubli et la force de rappel
Cette partie de la contribution est plutôt risquée et peut décevoir au lieu de conforter ; mais elle est présente pour deux raisons. D’abord le verset évoque l’oubli de l’une des deux femmes et le rappel que fournit la deuxième. La notion d’amateurisme évoquée plus tôt est suffisamment pertinente, mais peut ne pas suffire. La deuxième raison est que même si elles sont loin de faire l’unanimité, certaines études associent aux perturbations du cycle menstruel de la femme des effets sur la mémorisation (1,2). Il n’est surtout pas question de faire allusion à la performance intellectuelle, car désormais les filles dominent les garçons dans tous les lycées et universités du monde, au point où de grandes compagnies admettent avoir triché lors des concours de recrutement, juste pour limiter les dégâts de cette nouvelle inégalité des sexes.
La menstruation fait partie de ces différences marquantes, distinguant Eve d’Adam, et cette perturbation hormonale, qu’endure dignement la femme chaque mois, a des effets variables selon la personne et l’âge. Et parmi ces troubles, des recherches récentes ont recensé les sautes d’humeur, les difficultés de concentration, et les trous de mémoire (1). Une variation des modes de mémorisation écrite et spatiale est aussi évoquée (2) ; alors que d’autres études opposent des démentis formels aux effets sur la mémoire. Aussi importants ou négligeables puissent être leurs effets, ces perturbations sont affrontées bravement et parfois imperceptiblement. Et c’est précisément cette bravoure face à ces épreuves de menstruation, grossesse, accouchement, allaitement, qui ouvre droit à ce privilège exclusif d’un portail spécial du paradis sous les pieds de la maman. Loin de contester cet unique prestige, l’homme n’ose même pas l’envier, tant il s’avoue incapable de rivaliser avec le sexe prétendument faible, face à ces « traumatismes. »
L’homme étant mieux « réglé », tout malaise pouvant affecter sa mémorisation est perceptible et disqualifiant. Mais, et j’insiste, c’est à la société de le faire ! Je me permets un témoignage à cet effet. Durant ma dernière année au lycée Amara Rachid, je suis tombé malade, assez sérieusement pour nécessiter un séjour dans l’infirmerie. Je pouvais justifier mon absence à un examen, mais faisant la grosse tête, j’ai participé avant de regagner l’infirmerie. Ce n’est pas la mauvaise note qui m’a marqué, car j’en ai bien récoltées, mais c’était surtout l’unique fois durant tout mon cursus, où je ne me suis pas, du tout, rendu compte de mes ratages, jusqu’au jour de la remise des copies.
En modérant le goût de l’équivoque et la propension à y chercher la petite bête, on arrive à élucider les rares ambiguïtés religieuses, sinon les tempérer et les accommoder, et s’éviter ainsi la discorde. En se rappelant qu’en Islam le financement relève des obligations de l’homme, on peut concéder que les dettes et les créances, c’est son expertise, et accepter ainsi que le remplacement d’un témoin homme par deux femmes, n’est qu’un conseil sage que mérite le généreux créancier, les dames ayant droit à plus d’excuses, quant à d’éventuelles défaillances. Et si jamais la courtoisie réapparait subitement comme une explication plus courte et tout aussi persuasive, alors ainsi soit-il !
Il n’y a pas de créature tronquée ni de superman doublé, ce sont des idées mal perçues. Ni gonflable ni réductible, juste mortel, que tu crèches au gourbi ou dans la vallée des rois. Entre Adam et Eve, il n’y a que des différences naturelles, simples et parfaitement conçues, que l’équité divine transcendante, a intégrées dans le logiciel ouvert du libre choix.
Abdelhamid Charif
6 février 2018
Références :
(1) http://sexplique.org/cycle-menstruel/syndrome-premenstruel.html
(2) http://www.concordia.ca/cunews/main/releases/2016/09/21/map-reading-is-more-difficult-during-ovulation.html