A ce rythme, les Africains ne se remettront, peut-être, plus jamais de leur sous-développement structurel. Ce n’est pas une affaire de temps semble-t-il, mais une erreur de l’histoire qui se répercute fatalement sur tout le continent. Une histoire qui revient chaque fois avec force pour vomir le mal ainsi que les traumatismes subis durant de longs siècles de colonisation, de souffrance, d’exploitation et parfois d’esclavagisme, par ces Africains-là, jadis réduits au statut de simples indigènes et, de nos jours, en proie à l’impérialisme économique, politique et culturel des grandes puissances occidentales avec leur armada de multinationales, de pôles de finance oligarchiques (le F.M.I, la banque mondiale, l’organisation mondiale de commerce, etc.,) et d’alibis «humanitaires» en faveur de guerres interventionnistes. Loin de cultiver ou, du moins, réactiver ce cliché maladif des adorateurs de cet «afro-pessimisme conquérant», lequel abîme le peu de chances qu’il y a déjà de voir les peuples africains compter sur eux-mêmes et prendre en main leur destin afin de sortir du cercle vicieux dont ils sont prisonniers, il serait question ici de montrer combien il est difficile de mettre en marche un processus de démocratisation en bonne et due forme quand l’ombre d’un passé mal-éclairé, sinon ambigu plane encore sur une actualité qui laisse à désirer. Et que, justement, si faillite il y a, elle incombe totalement à ces Etats autoritaires. Lesquels, contrairement à ces peuples d’Afrique, jeunes, dynamiques, optimistes et bouillonnants d’énergie dans leur majorité, semblent être, à l’heure présente, lents, déficitaires, très paralysés et gagnés par des crises aiguës et cycliques de confiance ; la corruption ; la mauvaise gouvernance ; la bureaucratie ; le militarisme, etc. Ce qui a mené nombre d’analystes à parler dès l’entame de la période des indépendance nationales de «l’afro-fascisme».
Sans doute, cette colonisation-là aurait cassé mama Africa, ligoté ses pieds, bâillonné sa bouche et fait plier ses bras! Une malédiction, s’il en est une, pour ce vaste continent, le nôtre, qui quoique regorgeant de plein de richesses, en est spolié ; appauvri ; pillé ; livré à lui-même sur tous les plans. C’est pourquoi, il est désolant d’entendre un certain Nicolas Sarkozy jongler hypocritement et avec une véhémente rhétorique mensongère du haut de son piédestal du président de cette «France démocratique» à la mémoire apparemment très courte pour renier le 26 juillet 2007 dans son fameux discours de Dakar les énormes dégâts humains commis en Afrique par ces anciennes puissances colonisatrices, mettant le tout sur le dos de l’Africain. Lequel vit, selon lui, en dehors du cycle de l’histoire, terrible! Cela est intervenu d’ailleurs, pour rappel, après qu’une loi aussi scélérate qu’ingrate glorifiant les bienfaits de cette «œuvre civilisatrice» ait été votée le 23 février 2005 par le parlement français! Or, qui ne songe pas, à titre d’exemple, au moment de lire ces lignes à ce qui arrive maintenant à ces pays du Sahel presque tous gouvernés par de vieux potentats ; déstabilisés ; en régression constante et accusant un retard à tous les niveaux en raison justement de l’héritage de cette «colonisation» ayant accouché de la fameuse «Françafrique»? Qui ne songe pas au cas du Rwanda, le Mali, la Centrafrique, le Gabon qui sont toujours marqués par les stigmates des guerres intestines, toutes provoquées par une étincelle souvent partie de l’extérieur? Il est à signaler aussi que l’Afrique lusophone (Angola, Guinée-Bissau, Mozambique ) en a eu sa part du lot. D’autant qu’elle aurait sombré jusqu’à la fin des années 1970 dans l’autoritarisme à cause justement des intrusions du Portugal de António Salazar (1889-1970). De même l’autre Afrique anglophone qui bénéficie, elle, de moins d’attachement post-impérial vis-à-vis de l’ex-puissance tutrice (la Grande Bretagne) n’aurait-elle jamais échappé à l’horreur d’une multitude de tyranneaux aussi hystériques que mégalomanes, comme en Ouganda avec Idi Amin Dada! Un constat pareil peut être dressé quand on pense au colosse nigérian (plus de 170 millions d’habitants aujourd’hui), doté d’un grand potentiel en hydrocarbures mais, n’ayant pas liquidé le fardeau d’une colonisation anglaise destructrice, reste miné de l’intérieur par des tendances séparatistes, la corruption, l’insécurité, la pauvreté, la menace des intégristes de la secte des Boko Haram. Sachant bien, au passage, que la régularité et la transparence des élections présidentielles tenues dans ce pays en mars 2015 ont été reconnues par toute la communauté internationale. N’empêche de relever, c’est au reste triste de le constater ici, que l’observance des règles démocratiques en Afrique n’est pas forcément la recette efficace pour la consécration des libertés, la démocratie, les droits de l’homme, etc., vu le fossé creusé par l’analphabétisme, l’inconscience politique et l’arriération culturelle parmi les masses citoyennes.
Prenons maintenant l’exemple du problème des frontières qui fut, lui également, l’un des héritages de cette colonisation et examinons-le à la lumière du retard actuel de certains pays de l’Afrique. En effet, l’organisation de l’unité africaine (O.U.A) créée à Addis-Abeba en 1963, devenue union africaine (U.A) en 2001 aurait énoncé comme principe fondamental le respect des frontières existant au moment de l’accession de la plupart des pays à l’indépendance. Or, on remarque qu’en 1993, l’Érythrée a obtenu, contre toute attente, sa séparation effective de l’Éthiopie avec la bénédiction occidentale! Et le conflit perdure pour toujours dans cette ancienne colonie italienne (1885-1941), rattachée à l’Éthiopie en 1952, en récompense, ironie du sort, du régime éthiopien ayant combattu l’agression du fascisme de Mussolini en 1935. De même en 1967-1970, l’atroce «guerre de Biafra», cette province ayant fait sécession du Niger n’a été rétablie que sous la pression des occidentaux, lesquels ont fait fi des recommandations de l’O.U.A. En juillet 2011, le sud du Soudan dont la population étant consultée par référendum a entériné, lui aussi, sa séparation du Soudan après des décennies de luttes contre Khartoum. Et, comme par hasard, les frontières du pays se retrouvent modifiées (une première dans l’histoire de la région), prenant en considération les revendications identitaires de ces chrétiens catholiques du sud-ouest. Derrière tout cela : les occidentaux qui agissent contre la volonté de l’U.A et son ancêtre l’O.U.A. Enfin, quel crève-cœur de voir cette géante Afrique rabougrie à ce point et «tristement» téléguidée par les grandes puissances. Une Afrique rongée par ses propres démons, où une partie de ses enfants s’entredéchirent à longueur des années quand une autre la saccagent, la détroussent et la pillent. S’il est une chose à retenir, c’est que les Etats africains ont rapidement révélé leur friabilité, sinon leur incapacité chronique à tenir dans le temps. Les signes de fracture se dessinent sous nos yeux. D’une part, un continent jeune qui bouge, avec un immense potentiel et une démographie galopante. D’autre part, des élites «cognitivisées» aux anciennes métropoles, des guerres qui se propagent telle une peste endémique, des dictatures qui se renforcent, etc. L’Afrique subsaharienne s’est, pour n’en citer que cet exemple, installée dans une dépendance informelle vis-à-vis de la métropole : soutien accordé à ses gérontocrates par l’Élysée, aides budgétaires et réunions quasi familiales autour du président français! Ce qui donne l’impression d’une «hypocrite complaisance» de Paris à l’endroit de ces régimes militaristes ; autocratiques ; corrompus ; pourris, etc. Bref, les tragédies africains s’organisent comme un grand puzzle dramatique dont chaque pièce est accolée à une autre comme pour en tester les corrélations. Et pourtant, au début des années 1990, suite à l’effondrement de l’U.R.S.S et des régimes communistes de l’Europe de l’est, l’Afrique noir aurait subi une onde de choc ayant eu des retombées pour le moins bénéfiques : l’organisation d’élections libres ; la naissance d’un multipartisme prometteur ; des démocraties balbutiantes. Bien entendu, le ratage de cette entreprise de démocratisation ne peut s’expliquer, en premier lieu, que par l’étroite collusion de la France avec ses ex-colonies et son attachement quasi obsessionnel à la Françafrique. En gros, que ce soit aujourd’hui ou hier, l’Afrique n’a jamais été maîtresse d’elle-même. Aussi, il y a une autre chose à retenir, lors des déchirements sanglants de la Côte d’Ivoire en 2011 où Laurent Gbagbo, président depuis 2000, aurait refusé de céder sa place après sa défaite électorale ou lorsque Robert Mugabe aurait montré une véritable capacité à s’accrocher au pouvoir (patron inamovible de Zimbabwe depuis l’indépendance de ce pays-là en 1980), une constante revient souvent : l’Etat africain est une machine qui se fait toujours dans la violence et la contrainte. Sachant bien que, si lors de la décolonisation, le pouvoir est parfois tombé aux mains des politiques même si de façon informelle (le cas de la côte d’ivoire avec Félix Houphouët-Boigny, la Guinée avec Sékou Touré, l’Algérie avec Ben Bella, la Tunisie avec Bourguiba), la plupart sont accaparés par des militaires, souvent des caporaux, des sergents ou des capitaines formés dans les écoles militaires françaises (Mobuto au Zaïre, Idir Amin Dada en Ouganda et Bokassa en Centre Afrique).
Kamal Guerroua
7 octobre 2016