Le 15 avril 2016 on a « célébré » les 17 ans de la présence de Bouteflika comme chef de l’Etat. En effet, il usurpe le Pouvoir depuis 1999. Je rappelle qu’après avoir été choisi par le Commandement Militaire, il s’est retrouvé en position d’hors-jeu lorsque les six autres candidats se sont retirés de la mascarade électorale. Soi-disant « élu » avec 74%, il déclara, sans rire, que son score est « honorable ». Mais il est extrêmement narcissique pour oublier une telle humiliation, qu’il n’a jamais pardonnée aux généraux.
Pour la jeunesse, c’est un grand malheur. Elle n’a connu que cet énergumène. Il a commencé en nous soûlant avec ses discours de deux heures, au moins. « Il habitait à la télé », disait une formule populaire. Et depuis 4 ans il s’est « fâché » avec nous. Il ne parle plus au peuple. Pas de son plein gré bien sûr, sa maladie l’empêche !
Les dernières sorties médiatiques, suite au passage du Premier ministre français, rendent l’atmosphère encore plus toxique. Comme pour se moquer du gouvernement, et de Sellal en particulier, qui parle d’une « ligne rouge », Valls nous a montré, via un tweet, la véritable figure du Chef de l’Etat. Très malade, on a pu le constater.
Cela dit, on a plus pitié de lui qu’autre chose. Car, par sa nature, l’Homme a de l’empathie pour les malades. On n’aime pas voir la souffrance d’autrui. Sauf pour une minorité, qui est animée par la vengeance. Mais C’est loin d’être le cas du peuple. On se demande, à juste titre, si ce « cadavre » avait vraiment choisi de participer à cette actuelle mascarade ? Certains pensent qu’il est juste la victime de son clan. Avec le peu de facultés qu’il a, on doute fort bien qu’il peut décider ou de gouverner l’Algérie. Son frère Saïd a fait de lui sa marionnette.
Sans rien apporter de concrets au pays, cet épisode de Bouteflika reste malheureux. Il a ruiné le pays. Il a corrompu le peuple – à court terme du moins – pour ne pas avoir des comptes à lui rendre. Il a vendu la nation à des intérêts étrangers, qui lui assurent le silence de la communauté internationale. Il a parié l’avenir de l’Algérie avec sa politique du régionalisme qui gangrène les appareils de l’Etat. Comme pourrait le dire le Pr Madjid BENCHIKH: « il a même échoué dans le renforcement de cette démocratie de façade que prône le système » (Cf. « ALGÉRIE: un système politique militarisé »). Mais, pour l’Histoire, je tiens à rappeler qu’il a pu « mater » le Commandement Militaire. Une pure vengeance et certains me diront que ce n’est nullement pour le bien de la nation !
Par ailleurs, contrairement à Bouteflika qui avait choisi son rôle dans l’histoire de notre patrie, la nouvelle génération, née pendant les années 90, est surtout une victime d’un système qui n’a pas pu la prendre en considération. La jeunesse est exclue d’une manière systémique. Les différents gouvernements de Bouteflika sont la preuve incontestable, exception faite de l’actuelle ministre des TIC. Un oxymore moqueur, utilisé souvent par les Algériens, illustre cette « misère » politique quand ils parlent des gouvernants: « à 60 ans, on est encore jeune ! ».
Cette jeunesse dont je parle était, demeure encore, un spectateur passif qui a subi le charme de la mise en scène. Trop jeune pour manifester son désaccord dans un moment critique (la violation de la Constitution en 2008), elle a dû se rabaisser actuellement pour ramasser le petit profit qu’on lui accorde via les crédits bonifiés (ANSEJ & Co.).
Une petite comparaison historique s’impose ici. Je tiens à souligner que l’hypothèse de manipulation qu’avait avancée le Pr BENCHIKH, dans son livre de 2003, n’est pas convaincante à mon humble avis. Car la génération qui a manifesté son mécontentement en 1988 avait écho des exploits de leurs aînés pendant la guerre de Libération. Dans un élan de bravoure et de solidarité, la jeunesse de cette époque rêvait de fonder ce qu’avaient imaginé tous les révolutionnaires: société descente (ou la « common decency », de G. Orwell). Elle a grandi là où on disait: « la Mecque pour les musulmans, Rome pour catholiques et Alger pour les révolutionnaires ». Rien de surprenant dans leur attitude. C’était la nature des choses. Cela va de même pour les jeunes Kabyles pendant le Printemps Noir. Il y avait un modèle, une référence vers lesquels on regardait et qu’on imitait. Mais cette époque est désormais révolue.
Cependant, la nouvelle génération a perdu la notion du modèle. Elle a comme repères les starlettes du show-business et du football européens, entre autres. Les jeunes sont, au mieux, des dissidents mais juste sur les réseaux sociaux, derrière des écrans. Ils vivent dans le virtuel, où leur autonomie financière est assurée par les parents. Pour eux, l’horizon est plutôt sombre. La vie se résume à ce que gagne une personne à la fin du mois. Le statut social devient le centre de la vie, son ultime but.
Cela dit, contrairement à ce que disait Saïd Saadi récemment, l’arabisation en soi n’est pas le mal incurable. De même que la francisation ne peut être le remède miracle. Le docteur préconise le français pour « éclairer » nos jeunes. Trop simpliste, ça frôle même le ridicule. Je vous rappelle que, suite à sa défaite aux élections du 26 décembre 1991, Saïd Saadi a affirmé qu’il s’était trompé de peuple. Comment peut-il comprendre sa jeunesse en ce moment alors ?!
Bref, on n’a qu’à regarder les autres nations, comme les pays d’Asie de l’Est, qui ont fait d’importants sauts qualitatifs en matière d’éducation et de recherche. Mais en Algérie, on parle encore d’un retour à une langue étrangère qui est loin d’être celle des scientifiques de notre époque. Cela veut dire simplement qu’on est plutôt dans des propositions idéologiques et non pas dans une politique pragmatique, nécessaire au développement de l’Etat.
Personnellement, je regrette le fait qu’on m’ait imposé le français comme une deuxième langue étrangère, l’arabe étant la première. Cependant, ça reste un débat où les passions l’emportent sur la raison. Dans le cadre de cet article, je préfère ne pas développer davantage mon argumentaire.
Le malheur est qu’aujourd’hui, après tant d’années, le mot « changement » reste sans valeur. Dans cet asservissement par le consentement, les jeunes sont dans une autre galaxie ; celle de la musique, des vêtements à la mode, et pour résumer, de la consommation effective et symbolique.
Je n’ai pas prévu de parler ici d’une catégorie spécifique pour illustrer mes propos, mais je ne vois pas de détour. Il s’agit, en effet, des enseignants contractuels, en grève de faim. La raison de leur grève ?! Ils demandent une « nomination », sans passer par le concours des enseignants. Au fond c’est un pur délire collectif. Cela s’appelle simplement: demander une faveur.
Dans un pays où tous les citoyens sont égaux devant la Loi, ce genre de pratique est la façon la plus risible avec laquelle on conçoit le devoir citoyen. Il se trouve que ces enseignants contestataires sont en grande partie de ma génération (celle qui n’a connu que Bouteflika !), donc je connais davantage ce sujet. Alors ma question est la suivante: dans vos revendications, il n’y a pas une sorte d’égoïsme déplorable ? Mais bien sûr que oui ! Pour ces grévistes, le malheur du pays se résume à leur fiche de paie à eux seuls !
Devrai-je être solidaire avec eux ?! En aucun cas. Je ne supporte pas les comportements et les revendications individuels. Cette atomisation de la société algérienne me révolte. Le chacun pour soi est un comportement qui m’attriste. Car c’est exactement là où réside le malheur de notre pays. Chez nous, on peut dire que chaque Algérien voit uniquement sa porte et pas celle de son voisin. Mais dans une société digne de ce nom, la « chose » devrait fonctionner autrement. On parle souvent des droits de l’Homme, mais je regarde ici ses devoirs également. Le devoir d’un citoyen c’est aussi la solidarité citoyenne, où chacun participe au bonheur de tous.
C’est plus facile pour moi de surfer sur le ressenti général et dire comme les autres : ces pauvres gens qui font la grève de faim pour manifester leur mécontentement sont les victimes. Trop simple et simpliste ! C’est une équation linéaire qui arrange plus les politiques que les doués d’intelligence. Au fait, il ne faut pas oublier que ces enseignants en grève sont aussi sujet de leur histoire.
Quoiqu’on pense d’eux, il faut arrêter de les prendre pour des moutons qui marchent vers l’abattoir. Non ! Ils sont acteurs de leurs destins. Mais, ils ne voient le pays qu’à travers leurs statuts de fonctionnaires. Cette vision réductrice de la question sociale les confine, en effet, dans des revendications qui se limitent à leur unique problème. Il n’y a aucune projection sur l’ensemble de la société.
Au fait, il faut regarder aussi les fonctionnaires de l’éducation nationale dans l’ensemble. Comme vous pouvez le constater dans votre entourage direct, une fois qu’on devient enseignant, la seule chose à faire, plus ou moins, est d’exceller dans la répétition. Difficile pour un débutant, certes, mais par l’habitude ça devient une deuxième nature. Cela explique, entre autres, le fait qu’on voit rarement de nouvelles performances chez cette catégorie de fonctionnaires.
Le pays entier est à la dérive, mais ce qui importe pour ces futurs fonctionnaires est d’intégrer le cercle des privilégiés. Oui, je dis bien des privilégiés, car il faut travailler comme un fermier (ou un ingénieur des mines) sous le ciel, l’hiver comme l’été, pour se rendre compte que tous les métiers ne se valent pas.
Je pense qu’ils sont bien rémunérés, si on s’inscrit dans un rapport résultats/efforts. À la différence des autres fonctionnaires qui ont le mérite d’être des actifs dans leurs domaines (je pense notamment aux médecins dans nos hôpitaux, qui font parfois des miracles avec le peu de moyens, je pense aussi aux fonctionnaires qui ne cessent de travailler le long de leur carrière), ces « agents de la paresse » ont quand-même trois mois de vacances dans l’année ! Je ne veux pas remettre en cause leurs acquis sociaux, mais, pour parler comme le peuple, « qu’ils nous foutent la paix avec leurs revendications pécuniaires ». Les petites gens ont encore du mal à « joindre les deux bouts », à la fin de chaque mois.
Cela dit, la présence des enseignants (les instituteurs surtout) est primordiale, capitale. Le futur d’une quelconque nation passe généralement par les mains de ces agents. Quoique l’enseignement supérieur est également crucial, au regard de la maturité des prétendants (théoriquement moins acquis au formatage des esprits). Mais au regard de ce qui se trame dans le pays, on constate qu’il n’y a pas de quoi être tellement fiers.
A vrai dire, il faut se poser certaines questions pour voir plus clair : ont-ils produit des gênés qui ont bouleversé l’histoire de notre pays ? Ont-ils contribué au développement d’une élite intellectuelle, qui peut porter le projet d’une nation ? Ont-ils réveillé la curiosité des enfants, nécessaire pour les esprits critiques ? Difficile de répondre d’une manière catégorique, mais l’actuel état des choses me laisse perplexe. Le déficit des compétences, qu’on observe sur tous les niveaux, est le résultat net de leur travail.
A cet effet je vais vous raconter une anecdote personnelle. J’ai grandi dans la commune de Smaoun, dans la basse Kabylie, où j’ai vu des pratiques insupportables. Mon cousin ainsi que plusieurs de sa génération avaient abandonné l’école parce qu’il y avait dans notre école primaire un « enseignant » qui ne sait faire autre chose que de les violenter: il crachait sur ses élèves, les frappait non pas par bienveillance mais par une sorte de plaisir… Mais ce dernier, malgré les réclamations des parents d’élèves, n’a jamais été démis de sa fonction. « Il a de larges épaules », dit-on. Il faut se rendre à l’évidence et dire que j’avais vraiment de la chance de ne pas l’avoir comme instituteur.
Le système les préfère ainsi dans une logique de crétinisation générale du peuple au moment où les enfants des gouvernants ne mettent jamais leurs pieds dans les écoles publiques. Ils sont dans les écoles et universités occidentales.
Néanmoins, il faut dire qu’il y a parmi les fonctionnaires de l’éducation nationale une minorité qui fait plus que ce qu’elle attend du système et ne passe pas son temps à réclamer une hausse des salaires et des primes. Je connais des exemples qui méritent d’être hissés au rang d’héros nationaux. Mais le système les harcèle et les marginalise, pour les humilier. Parce que ce sont des citoyens jaloux sur le pays, aiment et veulent travailler pour un meilleur avenir de la nation.
Pour finir, je tiens à préciser que je ne blâme pas du tout ces contractuels grévistes. Loin d’y avoir pensé. Je prône même la violence légitime (loin des armes, bien évidement) lorsque le régime abuse de sa violence légale. Car, dans ce cas de figure, le dialogue ne mène nulle part : le régime prend souvent les pacifistes comme des sujets soumis. J.F. Kennedy disait : « À vouloir étouffer les révolutions pacifiques, on rend inévitables les révolutions violentes ». Cependant, à travers cette humble contribution, je tenais surtout à rappeler une chose importante : le salut des individus (puis des couches et des groupes sociaux, si nécessaire) passe par l’intervention et le travail de tous les citoyens. C’est dans la solidarité qu’on va avancer pour régler les problèmes du pays. Pour y arriver il ne faut jamais perdre de vue ce fait : « on ne naît pas citoyen, on le devient ».
En tout cas, force est de constater que le système est pris dans son propre piège. En généralisant la fonction publique, manne pétrolière aidant, les gouvernants pensent duper le peuple et maintenir la paix sociale. Pour aller plus loin dans leurs pratiques, ils avaient même institutionnalisé le travail précaire, où on paie des universitaires avec 7000 Da par mois. Désormais cela devrait cesser, s’ils veulent encore profiter du peu qui reste dans les comptes du Trésor public.
Nabil de S’Biha
Le 16 avril 2016