Le premier ministre français E. Philippe a déclaré le lundi 19 novembre que son gouvernement va augmenter significativement les frais d’inscription dès la prochaine rentrée, mais seulement pour les étudiants extra-européens. Sur cet aspect, je crois que la France est encore souveraine dans ses décisions. Je rappelle cette évidence, à mon corps défendant, parce que j’ai vu que certains commentateurs, journalistes y compris, dénoncent ce choix comme étant une atteinte à je ne sais quoi…
Cela dit, il y a un aspect très intéressant dans cette décision, à savoir le lien entre immigration et étudiants étrangers. Selon les derniers chiffres, publiés en avril 2018 par Campus France, on trouve, pour l’année 2016/2017, 323 933 étudiants étrangers dont 45% sont originaires de l’Afrique, soit 144 972 étudiants[1].Plusieurs éléments factuels, qui ne sont pas exhaustifs, seront développés dans cet article. Mais je n’aborderai pas les difficultés que rencontrent les étudiants étrangers dans leurs démarches pour avoir le visa ou/et pour renouveler le titre de séjour; c’est le parcours du combattant.
La première chose à laquelle j’ai pensée quand j’ai lu cette décision, c’était la volonté des politiques français de réduire l’immigration légale. Sous la pression des partis de la droite, l’immigration est devenue un sujet électoral par excellence de toute la classe politique française. De l’extrême droite ou non, tous les politiques français veulent réduire, à tout prix, le nombre des étrangers qui rentrent sur le sol français.
Dans cette optique, ils ont des solutions, plus ou moins, difficiles pour réduire le nombre des étrangers. Dès lors, cette hausse des frais d’inscription des étudiants extra-européens semble être la bonne solution pour ne pas vexer certains alliés stratégiques et éviter ainsi les polémiques. Oui, la France a du mal à dire à certains alliés qu’elle veut réduire le nombre de visas qu’elle accorde à leurs ressortissants.
La polémique actuelle entre l’Algérie et la France sur les visas illustre bien cette difficulté (il parait que même nos députés veulent sauvegarder leur quota de visas!). Au fait, certains de ces pays, comme l’Algérie, préfèrent envoyer leurs élites à l’étranger pour ne pas s’en soucier de leurs sorts et de leurs revendications. Cela permet, par ricochet, une baisse artificielle du taux de chômage, qui dépasse généralement les 20% chez leurs jeunes. Mais paradoxalement, ces pays « exportateurs de cerveaux » attendent de leurs élites exilées le transfert de devises. On comprend mieux cette contradiction quand on sait que ce sont des pays rentiers et autoritaires.
Cette hausse est, à mon avis, une barrière à l’entrée que veut ériger le gouvernement français. Ni plus, ni moins. Un choix purement politique, car la justification me semble ridicule et sans fondement. Quand le Premier Ministre parle de la réduction des coûts, j’entends bien cet argument, mais en vérifiant les chiffres (le diable est dans les détails !), j’ai constaté, en termes coûts/bénéfices, que cette immigration estudiantine est plutôt bénéfique pour le Trésor public français.
Dans une étude publiée le 19 novembre 2014 par Campus France, on peut lire que l’apport des étudiants étrangers représente plutôt : « Un bilan économique qui est globalement favorable à la France: Alors que le coût de ces étudiants étrangers pour le budget de l’Etat peut être évalué à 3 milliards d’euros environ, l’apport des étudiants à notre économie se monte à 4,65 milliards d’euros dont : ·3 250 millions € en consommation quotidienne de biens et services ;·563 millions € en frais d’inscription et de scolarité ; ·364 millions € en dépenses de transport aérien auprès d’opérateurs français ;·466 millions € de dépenses des proches qui rendent visite aux étudiants».[2]
Je tiens à préciser, quand-même, que cette étude sous-estime un peu les bénéfices liés à ces étudiants étrangers. Car elle n’intègre pas les formalités des étudiants qui sont concernés par les titres de séjours (les 144 972 étudiants africains, par exemple). Il y a notamment les taxes de séjours, qui ne cessent d’augmenter ces dernières années.
Donc, cet argument financier qu’avance le Premier Ministre n’est pas fondé. On est tenté de dire que Mr E. Philippe n’a pas regardé en détails l’argument qu’on lui a mis en avant. Je doute bien qu’il a le temps pour vérifier lui-même ces chiffres, et ce n’est pas son travail !
J’aimerai également aborder un autre aspect de cette question et le lecteur m’excusera de faire rappeler certaines évidences. Au fait, là on parle des étudiants étrangers et non pas des sans-papiers, qui rentrent illégalement sur le sol français. Donc on parle d’une élite (cerveaux, dira l’autre), d’une immigration choisie. En conséquence, il s’agit de faire juste un choix rationnel. A cet effet, je pense que ce débat n’a pas lieu d’être, car le gagnant dans cette histoire est, bien évidemment, la France !
En regardant bien les chiffres fournis par Campus France, on voit bien que le pays hôte est gagnant. Dans ces données, on trouve une chose très importante, à savoir que la majorité des étudiants étrangers est inscrite en Master et Doctorat, soit 215 241 étudiantsétrangers.
Au fait, il ne faut pas perdre de vue que les étudiants étrangers apportent une valeur ajoutée considérable à la France. Car ils partent généralement avec un bagage intellectuel et des connaissances acquis le long de leur scolarité. En dernière analyse, on voit qu’ils ne coûtent rien à la France, qui ne fait, à vrai dire, que récolter le fruit mûr. Surtout que le processus de sélections via Campus France est très sélectif. Ceux qui réussissent à décrocher le visa sont généralement les meilleurs candidats.
Au lieu d’évaluer le coût d’une année universitaire pour un étudiant étranger, il faut évaluer plutôt son apport in fine à l’économie et à la société. Prenons l’exemple d’un étudiant algérien avec Maîtrise en Informatique. Après une année d’étude (surtout un stage), il décroche son Master et devient ainsi un potentiel informaticien en France. Dans ce cas de figure, il profitera à l’économie française et non pas au pays qui l’a formé avant de rejoindre la France. Je dois préciser que cet étudiant algérien, mon exemple ici, était déjà un fruit mûr, mais il fallait l’embellir pour le vendre au plus offrant sur le marché français.
Un exemple intéressant est celui des étudiants étrangers qui créent des entreprises. Au fait, comme le changement de statut est parfois difficile, certains étudiants étrangers, ceux qui ont la possibilité, deviennent des chefs d’entreprises et montent leurs propres affaires, souvent avec beaucoup de succès. Sans entrer dans les réalités, parfois perverses, du marché du travail en France, je dois dire que ce sont les étudiants étrangers sans bourses qui acceptent généralement les jobs les plus précaires !
Pour en finir, on voit bien que les étudiants étrangers participent, via plusieurs canaux, à la création de richesses en France. Et c’est facile de comprendre le choix de la France. Il y a plusieurs facteurs qui rentrent en jeu: la proximité linguistique, géographique, culturelle… A cet effet, j’espère que le gouvernement français va revoir sa copie. C’est plutôt un choix tactique que stratégique, si on regarde l’ensemble sur le long terme. Il a choisi la solution la moins coûteuse, diplomatiquement parlant. Je pense, en effet, que le gouvernement français a commis une erreur stratégique en choisissant cette voie, la plus facile certes. Mais, néanmoins, elle reste la plus douloureuse pour les étudiants étrangers de la classe moyenne et pauvre. Avec cette hausse des frais d’inscription, les étudiants étrangers sans bourses qui pourront venir en France seraient ceux des classes moyennes supérieures et aisées.
Nabil de S’BIHA
Le 23 novembre 2018
[1]https://www.campusfrance.org/en/system/files/medias/documents/2018-04/chiffres_cles_fr.pdf
[2]https://www.diplomatie.gouv.fr/IMG/pdf/Apport_Economique_des_Etudiants_etrangers_-_Campus_France_Version_Finale_cle0fd785.pdf