Monsieur le Premier Ministre Manuel Valls.
La liberté d’expression que je m’autorise, en qualité de citoyen algérien ordinaire, dénonçant la visite de la délégation officielle française que vous conduisez en ce Samedi 9 Avril 2016 dans mon pays, je l’assume pleinement, tout comme vous avez assumé, vous, votre fidélité proclamée à l’Etat sioniste et votre islamophobie affichée. Ce faisant, j’ai le sentiment profond d’exprimer ici, au-delà de mon propre point de vue, celui d’une immense frange de mes compatriotes, dont les gouvernements français successifs, depuis notre Indépendance, chèrement acquise, n’ont jamais cherché à respecter, ni la Souveraineté, ni les intérêts, ni les aspirations, ni les moments d’adversité… Et comme par une espèce d’hystérèse coloniale, le fait est devenu d’autant plus patent, depuis le Coup d’Etat militaire du 11 Janvier 1992 que la France de M. Mitterrand a honteusement encouragé en sous-main, pour ne pas dire inspiré, suscité… ; en cautionnant la junte des généraux francophiles, au mépris de la volonté d’une écrasante majorité du peuple algérien, clairement exprimée à travers les urnes, et que l’on a voulu « punir » pour avoir fait le « mauvais choix »… ; celui du parti d’obédience musulmane, le Front Islamique du Salut, dont les orientations politiques nationalistes et souverainistes avaient le tort de déplaire à certains lobbies parisiens – et du CAC 40 – nostalgiques du colonialisme d’antan et de l’interventionnisme néocolonial… Des orientations d’autant plus décriées qu’elles se référaient aux mêmes Valeurs spirituelles, morales et culturelles de l’Islam, qui ont constitué la trame idéologique de l’Appel du 1er Novembre 1954, marquant le déclenchement de la Guerre de Libération nationale, contre l’occupation coloniale française
Ce Coup d’Etat criminel, les français eux-mêmes en connaissent le terrible bilan… ; ils en ont même subi quelques contrecoups, sur leur propre territoire ; encore que la plupart, sentaient la manipulation grossière et le coup tordu, organisés entre « Services », pour frapper l’imagination de l’opinion française et au-delà d’icelle, l’opinion occidentale, en la formatant, en la dressant contre un « terrorisme » islamiste supposé.
Mais les vrais Crimes de Guerre, c’est en Algérie qu’ils ont été perpétrés par les généraux putschistes, à travers une répression sanglante contre un peuple désarmé. Répression sanglante qui allait se solder durant la « décennie rouge » des années 90 – après la décapitation de la direction politique du FIS – par plus de 200.000 morts, plus de 25.000 « disparitions forcées » des dizaines de milliers de partisans ou de sympathisants du parti vainqueur, emprisonnés ou parqués sans jugement, dans les camps de concentration dans le grand Sud – en plein milieu des sites interdits, désertés depuis les essais nucléaires de la France coloniale des années 60 – et donc, volontairement exposés aux radiations. Sans oublier, ni les populations rurales ruinées et déplacées par centaines de milliers, ni les exécutions extra-judiciaires, ni les massacres de masse perpétrés par les milices de la junte et qui ont eu un écho mondial, comme à Raïs, Bentalha, Relizane ou Béni-Messous, pour ne citer que ceux-là.
Cette tragédie humaine, si elle s’était déroulée sur le sol Européen, eût eu pour conséquence, la mise en place d’une Cour Pénale Internationale pour juger les généraux criminels de Guerre… Au lieu de cela, c’est une véritable Loi scélérate, dite de « réconciliation nationale », élaborée sous l’égide d’un Chef d’Etat coopté par les généraux putschistes et adoubé par la France…, à laquelle il a généreusement renvoyé l’ascenseur ; une cooptation soigneusement emballée sous l’incontournable label d’« élections »…, le tout, sur fond d’esbroufe, de mensonge, de black-out et de manipulation, pour aboutir in fine, à l’autoamnistie des Criminels de Guerre, dont l’un, a même été exfiltré de Paris vers Alger, en pleine nuit, en Avril 2001, avec la complicité du gouvernement de M. Chirac, en violation flagrante, de la Convention de New-York de 1984 sur la Torture.
Ce rappel des faits, Monsieur le Premier Ministre, veut juste vous faire toucher du doigt les forfaitures criantes des gouvernements successifs de votre pays d’adoption – qu’ils fussent de gauche ou de droite – à travers leurs implications répétées, directes ou indirectes, en particulier durant les deux dernières décennies, dans les affaires de mon pays, l’Algérie, qui n’est pas – faut-il vous le rappeler – la propriété d’une famille ou d’un clan, d’une caste ou d’une oligarchie quelconque, civile ou militaire fut-elle ; et encore moins des milieux sulfureux de l’argent, de la rapine et des comptes Offshore des Panama Papers…
Or, il se trouve précisément qu’un personnage, régulièrement éclaboussé par des scandales financiers depuis la fameuse affaire de Khalifa-Bank et faisant encore fonction de « ministre », continuent de faire joyeusement la UNE des médias algériens et étrangers…. Et qu’il sera même probablement appelé à faire partie de vos interlocuteurs principaux…, pour peu qu’il prenne la peine de mettre la bonne casquette qui siée à son mauvais rôle de mauvais Maître Jacques, dans une mauvaise adaptation de la fameuse pièce de Molière….
Une mauvaise adaptation dans laquelle le gouvernement français n’éprouve aucun scrupule à continuer de jouer, comme si de rien n’était, le rôle peu glorieux d’un marionnettiste âpre au gain immédiat, sacrifiant le Long terme. Ce Long terme qui se construit patiemment entre les Peuples, et non pas entre les copains et les coquins. Ce Long terme qui jette les ponts entre les altérités des Civilisations, des Cultures et des Sociétés, et non pas entre des suzerains condescendants et des vassaux consentants, souvent soutenus – sinon imposés – par un Occident, aujourd’hui tellement asservi aux forces de l’argent et de l’Ordre mondialiste et sioniste, qu’il en est arrivé à se renier lui-même et à renier ses propres principes fondateurs… En affichant de surcroit, sa prétention outrecuidante à dicter à plus d’un milliard et demi de Musulmans, et au nom d’un modernisme libertaire et frelaté, sans Dieu et sans morale, les canons d’une laïcité franc-maçonne et satanique, furieusement matérialiste et athée, que l’un de vos penseurs – Julien Benda – mis à l’index par la doxa, depuis bientôt un siècle, a si merveilleusement décrits à la fin de son ouvrage majeur, « La Trahison des Clercs »…
Acte est donc pris, en ce Samedi 9 Avril 2016, que votre gouvernement, le gouvernement de la France, aura délibérément choisi, contre la volonté du peuple algérien, de traiter dans des conditions léonines, avec un pouvoir algérien constitutionnellement illégitime, politiquement discrédité, moralement corrompu et psychologiquement fragilisé.
Le Peuple algérien, qui a la mémoire longue, comme tous les autres peuples, saura s’en souvenir. N’en doutez point.
Abdelkader Dehbi
9 avril 2016