« Aux grands hommes, la nation est reconnaissante ».
Que dire de Hocine Aït-Ahmed pour un jeune de ma génération ? Peu de choses certes en raison des ravages de cette école fondamentale qui nous a tout enseigné, à nous les jeunes, sauf notre histoire, nos héros, notre culture, nos symboles, nos repères et nos monuments! Une école déviée de sa noble mission, boiteuse, idéologisée et déstructurée par le bréviaire arabo-bâathiste pour reprendre le mot de Mostéfa Lacheraf. Voilà pourquoi, ne voulant parler de cet historique qui ressemble dans sa bravoure à l’Aguellid numide Jugurtha, leader, opposant, intellectuel et géant maghrébin ayant le baptême du feu de la lutte et de la résistance, je me permets en ce papier de dénoncer en tant que simple citoyen cette hypocrisie qui caractérise nos élites nombrilistes qui refusent de regarder plus loin que le bout de leur nez.
En effet, à quoi servent les éloges post-mortem de cette nomenclature vieillissante lorsqu’on sait que l’homme était resté 23 ans en exil à cause justement de l’autoritarisme et de la dictature de celle-là? Et qu’il a, par-dessus le marché, subi l’humiliation, la dureté des geôles de Boumédiène et même failli être exécuté suite à sa condamnation à mort par le régime de Ben Bella? A quoi servent les larmes du crocodile si ce n’est pour appâter la proie et manipuler l’opinion publique? A quoi servent les regrets tardifs de ces dinosaures dont les dégâts nous ont coûtés très cher, à nous les algériens : une clochardisation à large échelle et un retard dans tous les domaines? A quoi sert l’organisation d’obsèques officielles si celles-ci ne sont pas suivies d’effet : la consolidation de la démocratie et la réalisation du rêve du défunt en une Algérie solidaire, sociale et libre? A quoi servent ces déclarations de mea-culpa de maintes personnalités qui, il y a seulement quelques années, ont mis en branle une cabale médiatique et politique scabreuse pour soit-disant »déchoir » de sa nationalité ce nationaliste de première heure ? Honteux! Le ridicule a, semble-t-il, encore de beaux jours devant lui quoique les funérailles populaires de ce leader historique nous aient prouvé le contraire. Elles nous appellent à une réappropriation effective de notre patrimoine mémoriel. C’est une victoire de la voix du peuple.
Le destin a tranché, Aït-Ahmed est parti se reposer pour l’éternité tout près de sa mère et des oliviers de sa Kabylie natale toujours militant, honnête, cohérent avec lui-même et ses idées, sûr d’avoir accompli son devoir national mais, hélas, frustré! Pourquoi ? Parce que l’indépendance pour laquelle il s’est sacrifié ne nous a apporté que des désillusions! Il est triste de voir aujourd’hui l’état de dégradation morale auquel est arrivé notre pays. Ce qui a poussé même certains à s’interroger sur l’utilité d’une telle indépendance et d’autres à préconiser par désespoir des recettes séparatistes alors que la majorité déjà entre l’enclume (islamisme) et le marteau (dictature) tente seulement de survivre quitte à brader tout idéal moral ou autre, c’est vraiment dramatique par les temps qui courent! En tant que jeune, je n’ai pas rencontré Hocine Aït Ahmed de son vivant mais j’ai croisé ses mots, ses idées, ses émotions, ses rêves, ses idéaux, etc. Lecteur assidu, j’ai eu l’occasion de feuilleter presque tous ses ouvrages, un héritage inestimable pour notre mémoire nationale et pour les générations futures avides de connaître l’histoire. Ce faisant, j’ai mesuré le degré de maturité de ses analyses et surtout la complexité des enjeux qui conditionnent l’avenir de l’Algérie. Da l’Hocine a ce mérite d’écrire et d’immortaliser les faits de notre histoire que seuls Ahmed Mahsas, Benyoucef Benkhedda, Ferhat Abbas, Sadek Hadjeres, Ali Yahia Abdennour, Harbi, Lakhdar Bourgâa et de loin Ahmed Taleb Ibrahimi ont su cultiver. Il est le seul parmi les 9 historiques dont 3 étaient morts au champ d’honneur à nous avoir laissé un testament, un témoignage, une empreinte écrite sur son parcours et la trajectoire du mouvement national. Notre société frappée du sceau de l’oralité en aura certainement besoin.
Kamal Guerroua
10 janvier 2016