« Dans la rhétorique libérale, les valeurs morales ne sont plus enseignées ou transmises par l’exemple et l’argumentation, mais seraient toujours « imposées » à des victimes consentantes. Toute tentative destinée à rallier quelqu’un à son propre point de vue, ou même à lui exposer un point de vue différent du sien, est vécue comme une atteinte à sa liberté de choix. Ces attitudes interdisent bien évidemment tout débat public sur les valeurs. » Christopher LASCH
J’ai compris, d’après une publication de photos sur Facebook, que les algériennes avaient l’habitude de s’habiller à l’européenne, comme on dit ! La personne qui a publié ces photos a rajouté, d’une manière explicite, que c’était surtout le cas avant l’arrivée des barbus ! Donc avant 1988/89 ! Je ne savais pas, mon âge étant sûrement la cause, que l’Algérie était si « civilisée » avant l’arrivée du FIS et Cie !
Vous vous en doutez bien, j’imagine ! Pour vous dire à quel point c’est désolant, je précise que la personne qui a publié ces photos n’est autre qu’un enseignant à l’université ! D’où cet article, mon humble réaction pour essayer de mettre au clair certaines idées que véhiculent ce genre de personnes.
À vrai dire, ces spéculations relèvent d’une fumisterie à grande échelle ! Il y a, certes, une partie de la population, notamment dans les grandes villes et en particulier Alger, et colonisation aidant, qui s’est « occidentalisée », mais c’est loin d’être le cas pour toute la plèbe, qui avait bien évidemment d’autres chats à fouetter… il y avait beaucoup de chats à cette époque d’ailleurs !
De plus, vous n’avez qu’à regarder la part des femmes qui portaient le « haïk » à cette période pour comprendre que c’est loin d’être si simple. Je me rappelle encore de ma mère qui ne sortait pas sans le porter et de même pour mes grand-mères. Et cela ne remonte pas aux années trente !
Je vais vous épargner une dissertation sur les habits que portent les algériennes, dont la tendance est de les qualifier de traditionnels, voire de moches. L’exemple de la robe kabyle est illustrant. La femme qui la porte manifeste, d’une part, un attachement culturel à ses origines et, d’autre part, une pudeur… exemplaire.
Ces derniers concepts, identité et éthique, sont sacrés chez certains peuples, comme nous, Algériens, qui ne veulent pas être assimilés tous azimuts aux occidentaux. Je précise, il va de soi, théoriquement du moins, que ces valeurs sont aussi valables pour les hommes et non pas juste pour les femmes dans une optique misogyne.
Mais, « vous êtes peut-être des sauvages, loin de la civilisation », me dira un occidental arrogant. Je lui rappelle que c’était juste notre façon de concevoir la pudeur chez une femme. Notre système d’idées était ainsi conçu et nous n’avons pas demandé aux autres de faire comme nous.
Chacun devrait avoir son libre choix en la matière ! Dans ses choix, ses valeurs ne peuvent en aucun cas prétendre à l’universalité ou à la justesse en tout lieu et tout moment. Chacun, dans un rapport paisible avec autrui, devrait respecter les façons de faire des autres.
Cela dit, pour ma part, je ne peux pas mépriser une femme parce que sa façon de s’habiller n’est pas à la mode européenne, ou parce qu’elle s’est inspirée de son rapport à Dieu et de sa foi. Et si elle porte un « hijab », je dois respecter ce choix !
« Au mieux, c’est rétrograde et vous soumettez la femme avec ce fichu sur la tête », me dira un humaniste d’avant-garde pour défendre son idée du progrès et de la modernité ! Un libéral userait une autre phraséologie voulant dire, plus ou moins, la même chose, mais dans le cadre de la défense d’une consommatrice et d’un marché global, qu’il ne faut pas entraver avec des attachements culturels et identitaires, qui entravent la libre entreprise ainsi que toute tentative d’émancipation.
Pour ceux-là, je vais leur dire que dans notre façon de concevoir le monde et les rapports sociaux qui régissent notre société, il n’y pas de place à ce genre d’âneries gaucho-trotskistes et chacun connaît, devrait l’être, ses devoirs avant de réclamer ses droits… La perversion que connaissent les sociétés est liée, plus ou moins, à des intentions exogènes qui ne sont pas toujours de bonne foi, loin de ça ! Et dans son excellent essai, « Culturel de masse ou culture populaire ? », C. LASCH a écrit : « Une culture véritablement moderne ne s’est jamais résumée à une simple répudiation des schémas « traditionnels » ; au contraire, c’est de leur persistance qu’elle a tiré une grande partie de sa force ».
Ces « nouvelles sagesses », qui font de toute femme avec « hijab » une soumise sans cervelle, sont la besogne de certains humanistes hypocrites, qui ne défendaient la femme que pour la jeter aux mâchoires du capitalisme exploiteur. Ils vont la faire sortir de son foyer pour la lâcher dans une usine, ou dans un centre commercial si vous voulez, où elle devrait se comporter comme un homme ! Pour son bien, peut-être ? Mais pas du tout ! C’est pour l’unique profit du capitaliste esclavagiste, qui n’hésiterait pas une seconde à la virer si, par malheur, elle désire avoir la vie d’une mère heureuse.
Ceci étant dit, je tiens à dire que connais, comme vous tous, des femmes avec des « hijab » et qui sont des enseignantes à l’université ! Par ailleurs, vous avez croisé, à un moment ou un autre, une femme qui porte un « hijab » tout en étant votre médecin traitant !
Cependant, ce genre de « cliché », dont je parlais au début de l’article, est tout simplement réducteur et méprisant ! Comme si on pouvait mesurer l’intellect d’une femme à sa tenue vestimentaire ! Pathétique est ce raccourcis, mais qui attire de plus en plus de gens « naïfs » avec de bonne foi, qui ne font pas la différence entre civilisation et modernité !
Il faut savoir que même les athées, ou les non-croyants si vous voulez, ont plus de respect pour une fille avec un « hijab » et qui arrive à prouver ses compétences avec sa cervelle et méprisent, comme j’en étais témoin, ce genre de fille qui essaie de vous impressionner avec sa poitrine dénudée pour cacher sa médiocrité chronique !
A ce propos, je vais vous raconter une anecdote qui m’est arrivée avec une amie algérienne. Bref, un jour, on marchait dans un quartier d’affaires à Paris et on a croisé des gens qui sortaient habillés, plus ou moins, en classique. Cependant, la seule réflexion qui avait eu cette amie, qui me parlait de bon cœur, est de me dire qu’elle rêvait et rêve toujours de sortir de son bureau comme toutes ces femmes, vêtues pour la majorité avec de jupes courtes ! Je crois que ceci ne risque pas de vous étonner, car c’est la « standardisation » des normes qui est la cause. Mais, j’ai oublié de vous dire que mon amie s’est déjà « occidentalisée » à sa manière d’imiter, fumer en est une.
Cependant, cette remise en cause de la volonté d’« occidentalisation » de la société algérienne n’est pas une préparation du terrain pour une quelconque « orientalisation » de ladite société. Ça serait malhonnête. Leur culture n’est pas la nôtre non plus. A chacun ses coutumes et traditions. Remarquez bien que je ne fais, en aucun cas, le lien avec les valeurs que prône l’islam comme religion. Celles-là sont universelles par essence. Cela va de soi pour les autres religions. L’Islam comme civilisation (allusions faites aux pratiques qui ne relèvent pas de la foi) est un autre sujet que je ne peux aborder ici.
Cela dit, je me pose la question suivante : Y-a-t-il encore un Orient authentique !? La réponse est non, bien évidemment. Aucun coin de cette partie du monde n’est épargné de cette « standardisation » des esprits, pour ne pas dire occidentalisation de ses mœurs. Et rien ne peut demeurer inaccessible aux gadgets du capitaliste occidental, du moins dans le cadre de son processus de fabrication. A tire d’exemple, Ali Shariati raconte comment on a vendu deux voitures Renault modernes, avec une bordure dorée, pour un chef de tribu nomade, qui se trouve dans une zone boisée et montagneuse au bord de la rivière Tchad, en Afrique. Où rien ne laisse penser qu’elles puissent rouler un jour (Cf. «Civilisation et Modernisation»).
Au final et pour résumer la situation, je fais appel au le sociologue iranien qui avait écrit, dans « Civilisation et Modernisation », que les influences européennes sur le monde non-Européen « ont créé des gens qui ne connaissent pas leur propre culture, mais qui sont toujours prêts à la mépriser. Ils ne savent rien sur l’islam, mais disent de mauvaises choses à son sujet. Ils ne peuvent pas comprendre un poème simple, mais ils le critiquent avec des mots mal choisis. Ils ne comprennent pas leur histoire, mais sont prêts à la condamner ».
Nabil de S’Biha
8 septembre 2015