Le principe de liberté fondamentale de caricature ne se discute pas, il faut l’affirmer clairement. Le nouveau numéro de « Charlie Hebdo » offre néanmoins l’occasion de s’interroger sur (au moins) deux dimensions dans les choix de sa rédaction.
Dans le contexte actuel – des manifestations dans le monde musulman contre un film anti-islam, une ambassade américaine incendiée et des diplomates tués –, « Charlie Hebdo » fait de la pure provocation. Il joue à la fois sur la peur des Français non musulmans et sur celle des musulmans, qui craignent la stigmatisation et la prise à partie.
Il est important de préciser que les récentes manifestations violentes ne concernent que quelques centaines d’individus et sont condamnées par les gouvernements, y compris ceux issus des Frères musulmans. Elles sont le fruit d’une minorité d’excités, qui ne représentent en rien l’ensemble des musulmans. Il faut se garder de tout amalgame entre cette image minoritaire et déformée de l’islam et la réalité. Or le numéro de « Charlie Hebdo » de cette semaine fait tout l’inverse et participe à l’amalgame.
Le moment me semble donc particulièrement mal choisi, « Charlie Hebdo » aurait pu faire ce type de numéro dans une période plus calme. Tout ça ne va pas faciliter la tâche de nos diplomates à l’étranger et il faut souhaiter que nos ambassades ne soient pas prises à partie.
Si le moment est mal choisi, il est bien sûr très opportun pour l’intérêt commercial de « Charlie Hebdo ». Ce journal sait que quand on tape sur l’islam, on vend du papier. L’intérêt est donc bien plus commercial qu’une recherche de liberté.
Il est très différent de se moquer de la mort de De Gaulle dans une France gaulliste, où l’opposition était faible et la liberté de la presse pas aussi conséquente qu’aujourd’hui, et se moquer de nos jours des musulmans, qui ne sont pas en position de pouvoir en France, n’ont pas d’appuis dans la presse, sont montrés du doigt et connaissent des difficultés d’intégration. Autrement dit, ce n’est pas la même chose de taper sur le fort ou sur le faible. Le premier cas de figure relève du courage, pas le second.
Les vrais dissidents ne tapent pas sur les faibles, mais sur les puissants. Là est le courage.
De plus, si « Charlie Hebdo » a des soucis à la suite de ce numéro, la rédaction est certaine de bénéficier de la solidarité des autres médias. Si l’on mesure les risques et avantages, la balance est vite faite.
Notons au passage que c’est en tapant sur l’islam qu’il a obtenu une reconnaissance institutionnelle dans les médias traditionnels et au sein de la classe politique. De journal un peu dégoutant et méprisé par ces catégories, il a acquis respect et bienveillance par ce biais-là.
La tradition libertaire de « Charlie Hebdo » appartient depuis plusieurs années déjà au passé du journal, qui joue maintenant à fond la carte « beauf-raciste ». Il ratisse ainsi un nouveau type de lectorat, bien éloigné à mon avis des libertaires du début.
« Charlie Hedbo » est multi-récidiviste contre les musulmans. En 2006, il avait publié les caricatures danoises de Mahomet. En 2011, sorti un numéro spécial « Charia Hebdo », suivi d’un attentat contre leurs locaux (voir à ce sujet mon billet « Charlie Hebdo, pas islamophobe, simplement opportuniste et faux-cul »). Cela leur avait permis de se faire inviter au Festival de Cannes et à l’Elysée, summum de la dissidence.
Si « Charlie Hebdo » est à nouveau pris à partie, il pourra se délecter de dire : « On vous avait prévenu que c’était des fous ». C’est un cercle vicieux qu’il ne faut surtout pas entretenir.
Le pire service à rendre à ce journal serait qu’un acte violent soit commis contre lui. Il faut donc opter pour la critique politique.
Il faut faire tomber les masques et dire que « Charlie Hebdo » est devenu journal populiste et non plus libertaire. Il n’y a rien de courageux à taper sur les musulmans en France à notre époque.
L’argument mis en avant par rédaction est celui de la liberté d’expression, l’objectif réel est de relancer les ventes en baisse du journal, en faisant des coups réguliers contre les musulmans.
Pascal Boniface
19 septembre 2012
Source : http://www.iris-france.org/informez-vous/blog_pascal_boniface_article.php?numero=176