Les poursuites engagées contre le général Khaled Nezzar par la justice helvétique sont dernièrement venues relancer le débat sur la justice due aux victimes des crimes d’Etat commis en Algérie pendant la dernière décennie du 20e siècle.
En apparence, les mêmes lignes de clivage partagent les deux mêmes camps, les deux mêmes représentations, après une glaciation du débat voulue par le pouvoir qui a duré plusieurs années. Deux pétitions lancées successivement ressuscitent l’antagonisme des positions : l’une, publiée le 29 décembre 2011 par plusieurs titres de la presse « indépendante » d’Alger, remet en scène pour l’essentiel les éradicateurs et autres « intellectuels nationaux » qui ont soutenu la guerre menée contre le peuple par les appareils militaires avant d’applaudir aux mesures d’impunité que ces derniers se sont octroyées ; l’autre, resserrée sur un groupe très homogène, a été lancée le 31 décembre par quelques journalistes, universitaires et défenseurs des droits de l’homme se disant engagés dans le combat contre l’impunitéi.
La mystique de la justice universelle
Je passerai rapidement sur la première dont le texte m’a soulevé le cœur tant il démontre que les juristes algériens les plus en vue et les cadres du régime, en fonction ou à la retraite, loin de s’être livrés à un quelconque examen de conscience, nient les crimes du pouvoir de plus belle.
Je dirai seulement que l’engagement qu’il renouvellent aujourd’hui au service de leurs maîtres est l’aveu de ce que nous avions toujours soupçonné : une criminalité de système telle que celle qui a ensanglanté l’Algérie a pour caractéristique de ne pouvoir s’exercer qu’avec le concours actif des secteurs les plus divers de la société : appareils administratifs, « institutions » académiques, cadres opérationnels, médias, etc. Peut-être cette pétition fera-t-elle avancer la compréhension que la seule mise en cause d’ « une poignée de généraux », d’un « cabinet noir » ou même de l’appareil militaire et sécuritaire n’épuise pas l’analyse. Car, parmi les signataires, il y a tant de cadres plus ou moins obscurs qui s’expriment pour la première fois et qui nous disent enfin qu’eux aussi étaient là, discrets et efficaces, assurant la logistique du crime.
Quant à la seconde pétition, si elle dénonce la première dans des termes qu’on ne peut manquer d’approuver dans leur généralité, elle constitue un appel lancé à la juridiction helvétique pour qu’elle ne faiblisse pas dans l’accomplissement de son œuvre de justice. Moyennant quoi, elle lui tresse des lauriers, se gaussant des pétitionnaires éradicateurs qui « croient pouvoir impressionner la justice suisse et les juridictions internationales par anticipation … feignent d’ignorer que la confédération helvétique est un Etat de droit, où la séparation des pouvoirs est consacrée ».
Mais, dans l’expression des espoirs qu’elle met dans l’Etat helvétique, cette pétition va bien au-delà de son objet annoncé, comme l’indique la requête suivante :
Nous demandons à la justice helvétique, en plus d’instruire les plaintes qui sont ou qui seront déposées contre ces criminels de guerre contre l’humanité, de lancer des procédures afin de faire procéder au gel des avoirs de tous les barons du régime algérien qui ont investi en Suisse, ou qui y ont placé l’argent qu’ils ont frauduleusement acquis.
Et c’est là que se révèle soudain la donne nouvelle de la controverse. Car cette confiance aveugle dans la justice et l’Etat de droit suisses, qui dit la confiance dans tant d’autres Etats de droit occidentaux, nous éveille au temps qui est passé et nous rappelle au présent. Depuis qu’est advenu le « printemps arabe », tout appel à l’Occident pour qu’il mette en œuvre sa panoplie de justicier est devenu une initiative d’une gravité particulière.
Dans la lutte d’influence ouverte entre les grandes puissances de la mondialisation, l’Occident conserve sur ses rivaux (essentiellement la Chine et la Russie) l’avantage décisif de s’identifier à la légitimité de la démocratie et des droits de l’homme dont il ne se prive pas de faire un moyen d’intervention brutale et sélective.
Il a mobilisé contre le régime de Kadhafi et il mobilise actuellement contre celui de Bachar El Assad toutes les ressources de cette légitimité : pressions politiques et diplomatiques quotidiennes, injonctions, directives particulièrement interventionnistes, sanctions économiques, gel des avoirs (exercice dans lequel la Suisse, précisément, excelle par vocation), saisine du conseil de sécurité, de la cour pénale internationale qui sait, lorsque ses mentors l’exigent, être d’une particulière diligence. Subsidiairement, pour couronner son œuvre de déstabilisation du plus prestigieux des symboles, enrôlement de l’académie du prix Nobel !
Il va de soi que ce versant exposé de légitimité maintient dans l’ombre celui des actions de subversion que mènent sur le terrain les commandos du renseignement et du sabotage et les forces spéciales, prélude à l’intervention militaire ouverte et, comme en Libye, aux assassinats ciblés.
Refuser la surenchère des ingérences
On ne peut dès lors jouer, contre le pouvoir d’Alger et ses apôtres, aux défenseurs ingénus des droits de l’homme, aux citoyens du monde appelant à la rescousse la justice tutélaire de la « communauté internationale ». D’autant que celle-ci a su se rendre sourde au martyr des victimes de la répression d’Etat en Algérie lorsqu’il était encore temps de réagir.
D’ailleurs, dans la controverse actuelle, la position de chaque camp correspond à une logique d’alignement. Les pétitionnaires d’Alger défendent leurs maîtres, par intérêt et sur ordre. Les contre pétitionnaires se sont pour la plupart déjà rangés, sous couvert de leur revendication du « changement », dans le camp des soutiens enthousiastes de l’intervention militaire en Libye en se réjouissant par avance du sort identique promis à la Syrie.
Il faut se rendre à l’évidence : quel que soit notre désir de voir la justice rendue un jour aux victimes de la torture et des massacres d’Etat, nous nous refusons à voir dans les justices dites universelle et internationale des tiers impartiaux. Plus que jamais, elles ne sont qu’un moyen d’ingérence obéissant à des motifs d’opportunité. Et ce n’est pas se mettre dans le camp du pouvoir d’Alger que de parler d’ingérence. Nous avons, en cette année du cinquantenaire de l’indépendance, nos propres titres à affirmer notre opposition à la reconquête colonialeii.
Sinon, ayant fait le constat d’une souveraineté irrémédiablement bradée par le pouvoir et désespérant de tout, allons-nous devenir, en invoquant les meilleures raisons du monde et tout en étant dans le déni, des adeptes du droit d’ingérence ? Si tel est le cas, soutenons alors aussi la velléité de ce juge français de se rendre en Algérie pour autopsier les dépouilles des moines de Tibhérine et interroger des membres de la hiérarchie militaire. Devenons, par esprit de revanche, des consommateurs impénitents des juridictions occidentales et prenons pour arbitre de notre opposition au régime des instances qui, dans la meilleure des hypothèses, retailleront à nos mesures l’ingérence qu’elles ont confectionnée à celles du pouvoir.
Or, nous ne saurions nous engager avec le pouvoir d’Alger dans une surenchère des ingérences. Contre les abdications de souveraineté consenties par le régime, nous devons au contraire exiger de ses maîtres occidentaux l’abstention, l’absolue non-intervention. Et, pour commencer, que le gouvernement français libère le militant des droits de l’homme et physicien Mourad Dhina qu’il pourrait être tenté d’utiliser auprès du gouvernement algérien comme monnaie d’échange.
Quant au reste, laissons aux victimes dont la douleur est immense toute latitude de saisir la justice universelle mais n’en faisons pas une doctrine.
Dans l’esprit, je me sens de ce fait plutôt proche de l’analyse faite par l’appel intitulé « Proposition pour la constitution d’assemblées citoyennesiii » car il actualise de façon pertinente, à la lumière des pseudo révolutions arabes, l’approche de la situation algérienne. Dans l’esprit seulement car, mesurant avec justesse le mauvais pas dans lequel se trouve la revendication démocratique, ses signataires prennent le risque de s’égarer dans une direction spontanéiste qui ne me paraît guère réaliste. Appeler à la constitution d’assemblées citoyennes c’est en effet ouvrir la voie à des manipulations de deux ordres :
– Celles du pouvoir dont les services occultes restent maîtres de toutes les initiatives politiques organisées.
– Mais aussi désormais celles qui recourent à ces commandos anonymes à vocation mercenaire que l’Occident et ses épigones du Golfe ont constitués à travers le Monde arabe, les dotant de technologies insurrectionnelles redoutables : les moyens de communication produits dans la Silicon Valley et les formations à la subversion « démocratique » dite non-violente dont les instituts ont fleuri un peu partout dans le monde à partir de leurs bases américaines.
La défiance marquée des auteurs de cet appel à l’égard de l’opposition officielle est certes fondée mais il serait dangereux de contribuer, en toute bonne foi, à lui substituer je ne sais quels « chabab ethawra » que les médias du Golfe et d’Occident s’empresseraient d’adouber en tant que fers de lance d’un mouvement populaire « spontané ».
D’une façon générale, il faut comprendre que cette donne nouvelle de la « révolution arabe » créé une impasse dont on ne peut s’extraire dans la précipitation. S’il faut rejeter les alibis du nationalisme qui incitent à resserrer les rangs autour des régimes en place, il faut se défier du mot d’ordre démocratique en vogue qui induit de réduire tous les Etats à la seule qualification de dictatures, dépouillées de leurs spécifications propres et de leurs antécédents historiques particuliers. Le terrain démocratique, celui des droits de l’homme et celui de la justice internationale s’en trouvent également piégés. Le théâtre d’ombre planté tout au long de la dernière décennie révèle ses coulisses : maintenant que l’Occident a réuni dans sa boîte à outils les organisations internationales, les instruments juridictionnels, les appareils militaires des régimes oppresseurs, les commandos insurrectionnels, l’expression de la volonté populaire rendue aux partis islamistes ultra-libéraux, et jusqu’aux escouades de djihadistes qu’il désignait comme ses ennemis, on ne peut plus isoler la scène algérienne de la grande représentation qui se donne à l’échelle du monde.
A l’heure où la chute vraisemblable du régime syrien, dans le désordre des affrontements communautaires, risque de préluder à des initiatives agressives contre l’Iran et à l’isolement des résistances libanaise et palestinienne, l’ensemble des protagonistes des controverses algériennes sont sommés, préalablement à toute discussion, de se prononcer sur le projet impérial global de l’Occident.
Khaled Satour
31 janvier 2012
Notes :
i) « Pour que Nezzar et ses acolytes soient jugés » (http://www.petitionenligne.fr/petition/pour-que-nezzar-et-tous-ses-acolytes-soient-juges/1993
ii) Voir notre analyse de l’inféodation aux Etats occidentaux des régimes arabes, et du régime algérien en particulier, dans l’article intitulé « Entre la « révolution » et l’ingérence étrangère : le malaise arabe » publié sur ce blog.
iii) Signé par G. Hidouci, H. Malti, O. Benderra et M. Laribi et publié à la date du 11 janvier 2012 sur le site www.algeria-watch.org
Source : http://contredit.blogspot.com/
10 commentaires
RE: De l’affaire Nezzar au projet impérial : le nécessaire continuum de l’analyse
Salam aleykoum
Au départ ,j’etais à 100 % pour la condamnation par la justice helvetique du criminel Nezzar.Mais vu sous votre angle,je pense maintenant,que l’idée est tres mauvaise,surtout en ce période de democratisation sous tutelle de l’occident , de la région.
RE: De l’affaire Nezzar au projet impérial : le nécessaire continuum de l’analyse
[quote]Les contre pétitionnaires se sont pour la plupart déjà rangés, sous couvert de leur revendication du « changement », dans le camp des soutiens enthousiastes de l’intervention militaire en Libye en se réjouissant par avance du sort identique promis à la Syrie.[/quote]
C’est un affirmation gratuite qui ne se justifie que par le besoin d’arranger votre théorie; je n’ai pas signé cette contre-pétition mais j’ai tout-à-fait compris la démarche de ceux qui l’ont fait à savoir une démonstration de force et un signal aux éradicateurs pro-dictature que le mur de la peur est bel et bien tombé et que nous sommes là à vous faire face et nous sommes plus nombreux.
C’est tout.. le reste n’est que supputation quoique je suis d’accord avec vous pour être vigilants car les dangers de dérive et de manipulation que vous décrivez restent réels.
RE: RE: De l’affaire Nezzar au projet impérial : le nécessaire continuum de l’analyse
curieuse cette justice helvetique qui se reveille apres une decennie et juste après que Natanyahudi ait désigné notre pays comme l’ennemi à cibler après la chute de la syrie qui s’avère imminente.
S’Attaquer à l’homme qui nous a évité le chaos c’est s’attaquer è tous ceux qui oseront prendre la defense de ma patrie lorsque l’heure des « takfiriste » saoudiens , libyens et qataris …sonnera.
moi je dis L’Algerie Indomptable sera leur tombeau et leur epitaphe : »allez griller en enfer »
Boukhnouna plutôt
La justice helvétique garante du bien-être de ces citoyens n’est pas aux ordres d’un général de l’armée. C’est plutôt vous qui vous réveillez à la fin des temps pour découvrir que les pays qui se respectent ont une Justice.
Si cette justice qui vous dérange tant a votre boucher major dans le collimateur c’est tout simplement que des citoyens algériens ont en cherchée une en vain dans leur pays et n’ont trouvé que celle-ci pour faire répondre votre gininar bien aimé de ces crimes.
Le chaos, vous êtes en plein dedans et vous faites chaque jour des prouesses pour honorer le ridicule.
Pas la peine de vous souhaiter l’enfer vous êtes bien servi avec Nezzar et Boutef comme chefs suprêmes et idoles.
Donc votre fierté vous voyez bien où elle est placée…
RE: Boukhnouna plutôt
Aller epancher son chagrin sur l’epaule des gaouris est l’une des spécialités de certains (Anouar Malek ,ghalioun , les saint égideens , et j’en passe…).Vous vous etes trompé d’adresse car la justice dont vous demandez le secours n’est qu’un leurre bon à amuser « les bergers » comme dirait l’adage bien de chez nous .Mais si vous souhaitez par un excès de CREDULITE faire penétrer le LOUP DANS LA BERGERIE à l’instar de NOS FRERES de BENGHAZI et d’Alep VOUS VOUS gourrez lourdement.
les judticiers helvétiques que vous semblez admirer si beatement ne portent pas sur le coeur les métèques que nous sommes sinon ils n’auraient pas voté pour l’interdiction des minarets.Sachez que « le cadavres laissé aux charognards ne peut etre enterrés par les siens » .
RE: RE: Boukhnouna plutôt
Le loup est dans la bergerie depuis 50 ans, il couche même dans le lit de votre fierté en casquette. Il a fait en sorte que l’Algérie héroïque enfante des boukhnouna qui croient défendre leur fierté en bombant le torse alors que le pantalon pend aux chevilles.
Quels que soient les motivations de la justice suisse (la plus évidente étant le respect de sa vocation et des lois qui la régissent) le fait est que la mise en cause de votre boucher en chef que vous admirez tant fait déjà délier les langues, les uns pour échapper au tsunami imminent et se tirer d’affaire, les autres pour étaler leur servilité sans faille à la botte qui humilie chaque jour de plus en plus l’honneur de tout un peuple.
De l’intransigeance
De intransigeance.
Je réprouve sans restriction tout recours à la justice de ceux qui ne croient pas ce en quoi les Musulmans croient. Il serait fastidieux d’énumérer toutes les désillusions et les trahisons vécues, tout au long de notre histoire, par cet Occident perfide si apte à nous faire croire à des sornettes.
Avons nous déjà oublié l’histoire tragique et honteuse du vaillant Émir El-Mokrani, venu se rendre aux envahisseurs français, contre la « promesse » d’une paix des braves et exécuté à la descente de son cheval ?! Et, ce n’est pas notre illustre Émir Abdelkader qui me contredirait lui et toute sa famille qui avaient payé le prix fort de la félonie de cette France des « lumières » !
Et que dire de cet ONU, ce chef d’œuvre de l’Occident hégémonique, ce magasin d’habillement juridique, instrument diabolique au seul service des puissances colonialistes, impérialistes dont l’un des plus abjects forfaits est d’avoir fait le malheur (Nakba) des Palestiniens ?!
Quid des TPI/CPI, ces institutions illégitimes dont la mission réelle est de trainer devant les tribunaux des puissants, les réfractaires à leur « Nouvel Ordre Mondial »? Dois-je rappeler des noms ?
« –De cette Suisse, le système bancaire d’abord, dont les qualités d’accueil de l’argent, d’où qu’il vienne, sont au-dessus de tout soupçon. Il fonctionne comme une gigantesque entreprise de prélavage, blanchiment et recyclage des narcodollars. Mais aussi, le pays où quelques caïds trouvent asile et protection. Le plus grave : les institutions sont compromises.
— Un conglomérat, gardien vigilant du trésor caché et de ses fabuleux profits, contre toutes les curiosités, internes ou formulées par des gouvernements engagés dans la lutte contre le trafic. Complices ou sous la menace du crime organisé, ces honorables correspondants qui incarnent les vertus nationales de propreté ? Une chose est probable : les cartels de la drogue ne sont pas seulement à Medellin ou à Hongkong ».
Christian de Brie. http://www.monde-diplomatique.fr/1990/03/BRIE/42408
RE: De l’intransigeance
Bravo.. nous allons donc faire appel à la justice du général Tertag pour condamner les crimes de guerre suisses !?!?. Wane tou tri viva lalgiri !
Je crains que nos valeureux émirs Abdelkader et Elmokrani n’eurent changer casaque devant de telles « lumières ».
RE: RE: De l’intransigeance
cher Mohcen si j’ai un conseil de compatriote et de Frère à vous donner; ce sera vous demander de mettre un terme à un dialogue comparable à l’acte d’enfoncer des portes ouvertes car il n’y a pire calvaire pour le moral que « de prêcher dans le désert » .
RE: De l’intransigeance
mohcen si vous passez l’expression , il ne sert à rien de precher dans le désert aride de notre arabe qui a la berlue et confond le frère avec l’ennemi et qui se fait une morbide d’en découdre avec ses frères en oubliant que l’ennemi frappe à nos portes.Le temps des Haschachines a sonné et malheur à celui qui ose les défier