Coup sur coup, le peuple algérien vient d’être littéralement pris de court et comme frappé de stupeur par deux faits graves et quasi surréalistes :
Le premier fait, concerne le vote d’une loi manipulant la Constitution pour frapper d’exclusion, une large frange du peuple algérien (anciens membres de l’ex parti du Front Islamique du Salut ou FIS) de son droit légitime de participer au jeu politique national.
Le second fait, c’est cette image qui a écœuré tous les patriotes jaloux pour la dignité de leur pays ; image dégradante de la « comparution-audition » du chef de la diplomatie algérienne par-devant une Commission parlementaire française pour l’informer – ou plutôt pour lui rendre compte – de la prochaine révision de notre Constitution ; une information que les citoyens algériens étaient en droit d’en avoir la primeur avant l’étranger. Ce qui constitue en l’espèce, non seulement un viol flagrant de la souveraineté de la nation, mais aussi, un outrage à la dignité du citoyen algérien et à sa liberté de décision.
Pour mieux saisir le degré d’abaissement de la politique étrangère de l’Algérie, je rapporte en particulier, un passage particulièrement déshonorant des propos de M. Medelci au Président de la Commission des affaires étrangères du Parlement… français :
« Quand j’aurais quitté le territoire français pour Bruxelles, je dirais à nos amis [de l’UE] qu’il n’y a pas plus européens que les Algériens ; et que si l’Histoire avait été différente, nous serions aujourd’hui un pays membre de plein droit dans l’Union Européenne » (!) puis, poursuivant, « Jusqu’au Traité de Rome, [en 1957] nous étions français, et ceci est une réalité historique. » (fin de citation)
Stupeur ! Ressentiment ! Encore que, une fois le choc passé, on en vient à l’évidence que cela n’a rien de si étonnant au fond, quand on sait que l’exclusion du citoyen algérien et la spoliation de ses droits à tous égards, fait partie de son lot quotidien. Et cela dure depuis des décennies ; et quasiment depuis l’indépendance du pays, avec des formes différentes, selon les circonstances. Quant au fait d’hypothéquer la souveraineté de la nation et sa liberté de décision vis-à-vis de l’étranger – et plus précisément de la France – c’est devenu la règle chez ce véritable gang qui préside aujourd’hui aux destinées du pays. Ceci pour dire, que l’humiliante et servile comparution-audition de ce pauvre monsieur Medelci, devant le maître d’hier, ne constitue par elle-même, que la face apparente et provocante, d’une réalité constante depuis des décennies.
C’est dans les résultats (remportés par les mouvements islamiques) des dernières élections en Tunisie, en Egypte qu’il faudra aller chercher l’explication de ce raidissement du régime et de sa décision d’exclusion, qui semble lui avoir été dictée – lui et ceux qui gravitent autour de lui – par leur peur panique à l’idée que le phénomène puisse se propager à notre pays. Sauf que cette décision prétendument « constitutionnelle », d’exclure une frange aussi large de citoyens faisant partie intégrante du peuple algérien en leur interdisant de voter ou d’être candidats, c’est-à-dire en leur interdisant de contribuer au devenir de leur pays, cette décision dis-je, est porteuse de sombres perspectives pour une Algérie dont le climat est suffisamment délétère pour en rajouter une couche ; sans oublier de souligner le caractère anticonstitutionnel, illégal et immoral de cette loi scélérate édictée par le régime algérien.
Un régime qui, au lieu de saisir l’opportunité du « printemps arabe » et d’en tirer les enseignements, en corrigeant le tir avant qu’il ne soit trop tard – comme cela a été le cas pour les Moubarak, les Ben Ali et autres Saleh – a choisi d’agir à contre-courant, aggravant ainsi la crise du pays, tout en recourant, lui et ses lobbies d’opportunistes aux demi-mensonges de la désinformation, pour tromper l’opinion, en nous rejouant la chanson sur le thème : « L’Algérie est différente » (comme l’ont fait avant eux, d’autres régimes aujourd’hui abolis), allant jusqu’à prétendre en plus, que « l’Algérie avait déjà fait sa révolution en Octobre 88 et accompli sa démocratisation, avec la Constitution de 1989 etc. etc. »
Voire ! Ils oublient seulement de préciser que ladite « révolution d’Octobre 1988 » a été sauvagement réprimée par l’armée – avec un bilan de plus de 500 morts – sur les ordres du général Khaled Nezzar.
Quant à l’ouverture démocratique invoquée, elle aura été de courte durée, puisque qu’elle devait s’achever dans le sang, à la suite du Coup d’Etat qui fit avorter le processus électoral de Décembre 91-Janvier 92, piétinant ainsi la volonté populaire et inaugurant la sinistre « décennie noire » qui allait consommer la rupture définitive entre le peuple et un pouvoir militaire mafieux secondé par des partis parasites, fabriqués par les « Moukhabarate ». Des partis clonés par le régime donc, qui n’ont rien oublié de leur débâcle humiliante d’antan, d’où cette rancœur tenace qu’ils éprouvent à l’égard de tout ce qui touche au libre choix du peuple ; en lui préférant des alliances sulfureuses, exclusivement motivées par des intérêts de bas étage, seule voie pour eux d’accéder à des sièges parlementaires dont ils n’auraient jamais rêvé dans une compétition électorale réellement démocratique ; d’où par ailleurs, cette attitude permanente (de ces partis godillots) d’emboiter systématiquement le pas aux désidératas du régime, particulièrement quand il s’agit des mesures d’exclusion des authentiques représentants du peuple.
A l’exemple de l’initiative de 1995 qui avait réuni à Rome, différentes forces représentatives authentiques du peuple algérien pour chercher une sortie de crise, initiative boycottée par ces partis godillots qui ont préféré eux, se joindre aux chants des sirènes du régime putschiste, accusant l’initiative de trahison et d’allégeance sous l’aile de l’Eglise – par allusion à la Communauté de Sant’Egidio qui avait accueilli l’initiative.
Aujourd’hui, ce sont les résultats des élections dans les pays voisins qui semblent, non seulement de semer la panique dans l’esprit du pouvoir et de ses satellites, mais ces résultats auront eu des conséquences inattendues en ce qu’ils ont accéléré la « constitutionnalisation » de l’exclusion dans notre pays, de manière à sceller par avance – et à la source – les résultats des prochaines élections (février ou mars 2012).
C’est assez souligner que fondamentalement, les méthodes du régime n’ont en rien changé. Et que depuis l’expérience historique des élections du 26 décembre 1991, ce régime a décidé de ne plus jamais rééditer la même « folie » et de ne plus s’aventurer à laisser trainer les choses en prenant toutes les dispositions qui s’imposent. Le maximum de souplesse qu’il pourrait consentir, ce serait d’opérer des retouches « cosmétiques » pour sauver les apparences.
Car, pour le régime, toute nouvelle aventure électorale est exclue si les résultats n’en sont pas garantis par avance, afin d’éviter une nouvelle débâcle électorale comme celle de Décembre 1991 qui a mis à nu son illégitimité et celle de ses alliés. D’où, son « serment » de ne plus recommencer la même expérience, quelles que soient les circonstances ou les tentatives que déploient certains, pour le convaincre de la nécessité d’ouvrir le champ politique à un pluralisme authentique, à la lumière des bouleversements à la fois régionaux et internationaux.
Certains porte-parole du régime font d’ailleurs remarquer que, quels que pourraient être les dangers que comporte l’entêtement du pouvoir à rester en place, ces dangers ne sont rien, en comparaison du sort qui attend ce pouvoir, s’il décidait de répéter l’expérience d’il y a vingt ans, expérience qui l’a conduit à perpétrer un Coup d’Etat dont le pays continue à ce jour d’en subir les conséquences.
De là, il devient manifeste que toutes les manœuvres, tous les atermoiements et tous les prétextes auxquels ont eu recours les différents gouvernements qui se sont succédés à ce jour, procèdent des conclusions auxquelles sont parvenus les nervis du général Médiène (alias Toufik). Ce qui explique leur détermination à poursuivre leur propre gestion des affaires du pays, dans le mépris le plus total des aspirations du peuple algérien, en écartant d’un revers de la main, les conseils des uns et des autres, d’autant que la dernière « invention » de leurs laboratoires, aura été de prescrire cette énième falsification constitutionnelle, aboutissant à l’exclusion de la bête noire qui hante leurs cauchemars, c’est-à-dire les leaders islamistes qui ont obtenu la confiance d’une très large frange du peuple ; des cauchemars qui semblent persistants, plus de deux décennies après que le régime ait fait prononcer la dissolution dite « administrative » du FIS, dans une mascarade de procès dont les juges recevaient leurs ordres des « Moukhabarate ». Mais comme tout cela n’a pas suffi apparemment, à alléger leurs obsessions, le régime a donc recours [à un remède de cheval] à la « constitutionnalisation » de l’exclusion, pour avoir les coudées franches dans la distribution des « quotas » de sièges entre les partis godillots, en fonction du degré de soumission des uns et des autres et de leur niveau de participation à ce véritable hallali politique, à cette chasse à courre (contre l’ancien parti islamiste vainqueur) où les partenaires, toutes « idéologies » confondues – si tant qu’on puisse qualifier « çà », d’idéologie – sont parfaitement conscients de leur poids réel dans la société algérienne ; un poids quasi nul, qu’ils cherchent à compenser en pliant l’échine, dans une posture d’allégeance servile aux barons qui exercent le pouvoir réel. Des barons qui se trouvant eux-mêmes d’ailleurs, à un deuxième degré, dans un rapport de vassalité vis-à-vis de l’Elysée ou de toute autre suzeraineté étrangère.
Il suffit de rappeler de nouveau, ces récentes images humiliantes pour notre pays, montrant une espèce de sous-ministre des affaires étrangères de notre pays dans une attitude indigne, rendre des comptes sur des questions exclusivement intérieures de notre pays, devant la Commission parlementaire française pour les affaires étrangères.
La loi de constitutionnalisation de l’exclusion vient par ailleurs de mettre à nu, s’il en était encore besoin, les arrière-pensées d’un régime qui cherche à consolider son pouvoir au nom de la Loi dite de la « réconciliation nationale ». Car, comment peut-on qualifier de loi de « réconciliation nationale » une loi injuste qui prétend priver – sans recours possible à la Justice – des millions d’algériens de leurs droits légitimes, en particulier, celui d’exprimer leurs choix citoyens dans des consultations populaires engageant l’avenir de la nation ? Une preuve supplémentaire mettant en évidence que le véritable mobile derrière cette loi scélérate, censément adoptée par référendum populaire, c’est celui d’interdire aux victimes civiles de porter la moindre plainte contre les barons du régime (dont la plupart ont commis des crimes imprescriptibles) en permettant du même coup à M. Bouteflika d’exercer une espèce de chantage permanent au TPI, sur les généraux putschistes, afin qu’ils lui laissent les mains libres pour gouverner à sa guise – du moins, dans les secteurs qui lui ont été « concédés »…
En complément de ce qui a été indiqué dans les lignes précédentes, il y a un certain nombre d’observations qu’il y a lieu d’ajouter. En particulier :
— Contrairement aux allégations du régime, et malgré tous les efforts qu’il a faits pour les diaboliser, les tenants du projet islamique continuent de représenter pour lui la véritable quadrature du cercle et la véritable obsession ; ce qui a conduit le régime à cette mascarade d’exclusion « constitutionnelle », comme pour les punir de continuer, 20 ans après, à bénéficier de la confiance, au sein du peuple profond et de rester présents sur le terrain. On ne peut en dire autant, ni des « islamistes » intégrés dans le jeu du pouvoir, ni de ceux qu’il compte bientôt faire « éclore de leur couvée » et sortir de son chapeau, en prévision des élections législatives de Février 2012, pour sacrifier à une certaine mode…
— Comment se peut-il qu’un parlement coopté, c’est-à-dire totalement illégitime et un gouvernement désigné par un pouvoir issu d’un Coup d’Etat se sont-ils octroyé le droit d’édicter une loi « au nom du Peuple », pour exclure et priver de leurs droits citoyens, ceux qui ont été élus par une grande frange – c’est-à-dire plus de 3 millions de votants, soit 47% de ce même peuple au jour des élections de décembre 1991 ? Ont-ils vraiment conscience de la gravité de ce qu’ils entreprennent ? Bien entendu, tout le monde sait que ce ne sont, ni le Ministère de l’intérieur, ni le Parlement qui ont initié cette loi, dans la mesure où ce ne sont que simples relais d’exécution des ordres qu’ils reçoivent, trahissant ainsi leur mission de défense des intérêts du peuple. Il suffit de rappeler comment ce parlement, 24 heures après avoir bénéficié du doublement de ses indemnités (passées de 180.000 à 300.000) a approuvé la violation de la Constitution, autorisant un 3ème mandat pour un président grabataire, à la fois politiquement et physiquement. Etant entendu, qu’il s’agissait aussi pour eux, de prolonger leurs propres mandats, en écartant de la (compétition électorale) les vrais représentants potentiels du peuple algérien.
— Voilà donc le genre de « changements » que ne cesse de promettre un pouvoir illégitime qui prétend mener des réformes loin de toutes pressions étrangères…! Le même genre de « changement » dont vient de gratifier de son coté, le Secrétaire général du FLN, M. Belkhadem en nous annonçant la « bonne nouvelle » que Bouteflika sera le candidat de son parti pour un 4ème mandat, lors des présidentielles de 2014 ! soit 20 mois avant l’échéance du mandat en cours et dont personne ne sait si le président-grabataire pourrait l’assumer jusqu’à son terme. De là à parler d’un 4ème mandat !…
Nul doute que ce mode de gestion cavalière des affaires du pays, qui consiste à légiférer sans aucune légitimité ni logique et à contre-courant de l’évolution normale du pays et de ses intérêts, finira par ouvrir la voie à toutes sortes d’aventures aux conséquences imprévisibles. Et dire que ce genre de gesticulations est censé « rassurer » les citoyens algériens ! Pour leur donner l’illusion que le « printemps arabe » arrive en Algérie… sur un char « constitutionnel » dont l’avant est porteur de l’exclusion d’une large frange du peuple, en violations de toutes les Déclarations solennelles, Traités internationaux et autres Lois, tandis que l’arrière du char dudit « printemps arabe », est porteur de la « bonne nouvelle » de l’allongement de la vie du président-grabataire, dont Dieu Seul sait si seulement son actuel mandat sera assumé jusqu’à son terme.
Et dans l’entre deux, une espèce de diplomatie qui fait dans la « prostitution politique à domicile » dans les palais étatiques de l’ancien colonisateur français au vu et au su de tout le monde, tandis que le vrai détenteur de la volonté souveraine, c’est-à-dire le peuple algérien, est mis à l’écart dans son propre pays.
Ceci à un moment crucial de l’Histoire qui voit les peuples du monde arabe se réapproprier leur souveraineté et leur liberté d’action.
Rachid Ziani-Chérif
13 décembre 2011
Traduit de l’Arabe par Abdelkader Dehbi