Le vrai problème communautaire à l’heure actuelle en France est plus grave que les dirigeants de l’Ump ne le laissent accroire. Il a moins trait au fait que les étrangers participent à l’élection des responsables politiques qui gouvernent que dans la réalité que l’économie française hélas depuis au moins une quinzaine d’années dépend de plus en plus des investissements étrangers. Ce qui la met en zone euro, dans une situation de permanent mouvement de capitaux et de relais financiers ne confortant pas à termes l’apport en emploi, la garantie des valeurs marchandes et l’accès aux biens.
Ainsi le gaullisme, dans son acceptation de morale nationale de ressourcement, a commencé à s’embrouiller les références traditionnelles d’un Etat autonome, fort et dominant dans une Europe unie à l’avènement de Jacques Chirac qui a longtemps cru qu’on ouvrant la souveraineté économique de son pays au capitalisme féroce de la mondialisation il mettra définitivement ko la gauche accrochée au social. Et il a fini par remettre le tablier avec Nicolas Sarkozy qui refait le coup de Georges Pompidou, mais cette fois avec plus de hargne dans les dépenses publiques et dans la charité fiscale destinée aux plus nantis, en offrant les clés du devenir hexagonal aux consortiums financiers internationaux qui ont carrément colonisés l’industrie française et le secteur tertiaire aujourd’hui, hélas, les deux grands pourvoyeurs d’emploi et par conséquent les régulateurs des équilibres sociaux. Au moment où l’effort agraire supporte difficilement les compétences internationales sur les coûts de production et de commercialisation.
Que l’on dise que les cavaleries médiatiques autours de la droite classique française rodent dans les plates-bandes extrémistes, cela explique moins une tentative affichée de s’accoquiner avec la voix électoraliste xénophobe que la raison essentielle de se réinscrire tambour battant dans la France du général de Gaulle qui n’a, au demeurant, jamais de son vivant caché son appréhension viscérale sur la civilisation arabo-islamique que beaucoup estiment qu’elle est pour l’essentiel dans la défiguration de la France originelle dans laquelle la droite qui est en train de se perdre dans l’Europe de l’euro tente de s’en réclamer au moyen de desseins folkloriques qui rappellent le haro sur le bounioul dans les années soixante-dix dont les enfants aujourd’hui sont partie prenante nationale dans les partis et dans les syndicats.
Juste après qu’il ait doté la France de sa cinquième république, quelques mois après son élection par le suffrage universel, de Gaulle dit devant Alain Peyrefitte du Quai d’Orsay qui rapporte :
« C’est très bien qu’il y ait des Français jaunes, des Français noirs, des Français bruns. Ils montrent que la France est ouverte à toutes les races et qu’elle a une vocation universelle. Mais à condition qu’ils restent une petite minorité. Sinon, la France ne serait plus la France. Nous sommes quand même avant tout un peuple européen de race blanche, de culture grecque et latine et de religion chrétienne. Qu’on ne se raconte pas d’histoire ! Les musulmans, vous êtes allés les voir ? Vous les avez regardés avec leurs turbans et leurs djellabas ? Vous voyez bien que ce ne sont pas des Français. Ceux qui prônent l’intégration ont une cervelle de colibri, même s’ils sont très savants. Essayez d’intégrer de l’huile et du vinaigre. Agitez la bouteille. Au bout d’un moment, ils se sépareront de nouveau. Les Arabes sont des Arabes, les Français sont des Français. Vous croyez que le corps français peut absorber dix millions de musulmans, qui demain seront vingt millions et après-demain quarante ? Si nous faisions l’intégration, si tous les Arabes et les Berbères d’Algérie étaient considérés comme Français, comment les empêcherez-vous de venir s’installer en métropole, alors que le niveau de vie y est tellement plus élevé ? Mon village ne s’appellerait plus Colombey-les-Deux-Églises, mais Colombey-les-Deux-Mosquées. »
Ce n’est évidemment jamais dans le sérieux de l’Histoire que de tenter de comprendre cette boutade comme des prémices à une promesse garantissant l’indépendance de l’Algérie mais plutôt de la saisir en tant que projection sur le devenir d’une Communauté économique européenne « encombrée » des anciennes conquêtes de l’Empire français reconnues par le général comme « caduques » quitte à ruiner les intérêts des pieds-noirs dans les colonies. D’où le fameux « je vous ai compris » adressé à cette communauté au cours du discours au forum d’Alger qui restera pour l’éternité comme une cicatrice dans la mémoire de trois générations après les rapatriements de 1962.
Seulement cette trahison gaullienne sur le plan du discours politique est anticipée par un jeune député de l’extrême droite poujadiste, et juste sorti du corps des parachutistes fort actifs dans la répression de la rébellion algérienne, Jean-Marie Le Pen en l’occurrence, lorsqu’il prend la tribune devant l’Assemblée nationale en janvier 1958, quelques mois avant que le président Coty ne fasse la demande du rappel au général, pour affirmer afin de soutenir l’idée de l’Algérie française :
« Ce qu’il faut dire aux Algériens, ce n’est pas qu’ils ont besoin de la France, mais que la France a besoin d’eux. C’est qu’ils ne sont pas un fardeau ou que, s’ils le sont pour l’instant, ils seront au contraire la partie dynamique et le sang jeune d’une nation française dans laquelle nous les aurons intégrés. J’affirme que dans la religion musulmane rien ne s’oppose au point de vue moral à faire du croyant ou du pratiquant musulman un citoyen français complet. Bien au contraire, sur l’essentiel, ses préceptes sont les mêmes que ceux de la religion chrétienne, fondement de la civilisation occidentale. D’autre part, je ne crois pas qu’il existe plus de race algérienne que de race française […]. Je conclus : offrons aux musulmans d’Algérie l’entrée et l’intégration dans une France dynamique. Au lieu de leur dire comme nous le faisons maintenant: « Vous nous coûtez très cher, vous êtes un fardeau », disons leur : « Nous avons besoin de vous. Vous êtes la jeunesse de la Nation » […] Comment un pays qui a déploré longtemps de n’avoir pas assez de jeunes pourrait-il dévaluer le fait d’en avoir cinq ou six millions? »
Ces deux points de vue opposés, dits dans un temps réduits pendant une France en crise morale, resteront dans les tiroirs de la mémoire du conflit colonial tant que la France des années soixante, en plein les « trente glorieuses », rayonne économiquement et politiquement dans une Europe énergique telle que la prévoyait le général, gravitant autour de Paris malgré les heurts juvéniles de mai 68 et tant que les usines des provinces tournaient à plein régime grâce à la main d’œuvre docile et bon marché recrutée dans l’immigration maghrébine sous le schéma sans problème du « métro-boulot-dodo » ne dépassant presque guère le cadre du foyer ouvrier.
Mais arrivent sans crier gare les banques de Georges Pompidou et tout de suite après le grand choc pétrolier et la France profonde se rappelle soudain les nationalisations de Boumediene et les immigrés algériens qui prennent la place des chômeurs locaux et leur bien-être intra muros.
C’est dans ce contexte global que se fourbit, après la mort du général, la mise en place d’un parti de l’extrême droite française réunie autour de Jean-Marie le Pen dans le Front national créé officiellement le 5 octobre 1972, date correspondant à la promulgation officielle de la Cinquième république initiée par le héros de la Résistance dont l’image est encore fraîche dans la mémoire collective partagée entre les rapatriés roulés par lui dans la farine et les « Métropolitains » qui se méfient comme le défunt de l’arabo-musulman en train de s’intégrer dans la société au détriment des plus-values morales et matérielles.
Mais le discours xénophobe se calme un moment, le temps d’une absorption générationnelle dans laquelle une immense frange de la population porte désormais des prénoms à consonance arabo-islamique habitant les Hlm, payant les factures domestiques et s’affiliant dans les plus grands syndicats. Lorsque les socialistes ont eu leur accès au pouvoir il y a trente ans, la France de Valery Giscard d’Estaing avait déjà joué son grand rôle dans la révolution islamique en Iran et le sauvetage de la grande Mosquée de la Mecque en envoyant le Gign dans la fameuse histoire des 50.000 otages musulmans prieurs le jour exact de l’entrée du monde islamique dans le quinzième siècle de l’hégire. Détails qu’il faut se le rappeler aujourd’hui car depuis l’on pourrait vérifier le nombre de mosquées et salles de prières construites dans les villes françaises.
Quelques semaines après la visite de François Mitterrand à Alger en décembre 1981, l’ancien jeune député parachutiste de la petite bourgeoisie française, alors radicalement hostile à l’immigration, se réaccapare-t-il la boutade du général et en fait carrément son cheval de bataille pour fortifier son parti dont les votants ne tarderont pas à devenir décisifs dans les grandes définitions électorales.
Dans son livre Pour la France, paru en 1986, Jean-Marie Le Pen écrit :
« Il faut dénoncer l’amalgame trompeur que recouvre l’appellation « immigré » et distinguer les étrangers d’origine européenne faciles à intégrer et ceux issus du Tiers Monde difficilement assimilables en raison à la fois de leur importance numérique et de leur spécificité culturo-religieuse qui les incite à refuser l’assimilation, sous la poussée d’éléments intégristes ou à l’invitation des gouvernements de leur pays d’origine. »
Et il ajoute un peu plus tard dans le journal Le Monde, en visant la génération « beur » :
« Si vous êtes fidèles à la France, si vous l’aimez, si vous adoptez ses lois, ses moeurs, sa langue, sa façon de penser, en un mot, si vous vous intégrez complètement à elle, nous ne vous refuserons pas d’être des nôtres, pour peu qu’il y ait une étincelle d’amour et non pas seulement un intérêt matériel dans votre démarche. Mais si vous êtes fidèles à vos racines – ce qui est en soi respectable et que je respecte –, si vous prétendez vivre dans vos lois, vos moeurs à vous, avec votre culture, alors il vaut mieux que vous rentriez chez vous, sans cela tout se terminera très mal. »
Il passera donc un quart de siècle à glorifier un nationalisme gaulois menacé par des politiques favorisant l’immigration et la tolérance de ses coutumes « infiltrées » qui mettent en péril les lois de la république en imposant ses modèles d’existence ; il explique il y a quelque temps : « oui, nous sommes un pays d’asile quand il s’agit de recevoir quatre poètes grecs persécutés et un littérateur russe échappé de Sibérie. Mais pas quand il en arrive quatre cent mille par an pour venir manger du maïs et du grain ! » et aussi, « iI y a six millions de Musulmans chez nous. Vous savez que j’ai été condamné à trois mois de prison et à vingt mille euros d’amende pour avoir dit que le jour où ils seraient vingt millions, il nous faudra descendre des trottoirs et baisser les yeux. Alors que dans mes auditoires, combien de fois m’a-t-on dit: “C’est déjà comme ça Monsieur Le Pen !”(in « Entretien vérité avec Jean-Marie Le Pen », Jean-Marie Le Pen, propos recueillis par Eugène Krampon, Réfléchir & Agir (ISSN 1273-6643), nº 31, hiver 2009, p. 35
Son héritière à la tête du parti, au cours de sa première sortie de campagne, qui dit s’adresser aux « oubliés et aux invisibles » de la France avec dans son esprit à l’évidence les sympathisants traditionnels du Front national, parmi les commerçants, les artisans, les agriculteurs, en ajoutant les chômeurs et les ouvriers pour piocher cette fois dans la défaillance du secteur industriel partagée entre la droite et la gauche, dit-elle clairement son mécontentement de la politique économique des actuels dirigeants parlant de réindustrialisation qui selon elle « n’est qu’un leurre si on maintient une monnaie unique qui nous tire vers le bas, qui épuise nos finances publiques et conduit à la ruine nos Pme et nos exportateurs. » Extraordinaire retournement de rôle où une formation politique réputée discourir plutôt dans le « psychologique » se met-elle maintenant à parler le langage de l’économie politique devant une droite faisant faillite par la preuve qu’elle reprend les repères du Front national d’il y trente années sous une grossière bannière gaulliste ; même Dominique de Villepin qui annonce officiellement sa candidature à la présidentielle rentre de but en blanc dans la mystique gaullienne en affirmant comme s’il annonce quelque chose de solennellement exclusif être « un candidat gaulliste indépendant pour rassembler les Français au-dessus des partis, pour défendre une certaine idée de la France dans le sillage historique du général de Gaulle. »
Voulant avoir l’avis d’un ami de France exerçant comme journaliste sur la question de la crise actuelle dans son pays et la question de l’étranger dans les villes et les campagnes de l’hexagone, il écrit dans le courriel : « c’est un peu comme chez toi en Algérie quand les dirigeants perdent le fil de l’économie réelle qui donne l’espoir aux contribuables de maintenir leur emploi et aux chômeurs d’en trouver, eh bien ils font invoquer les héros de la guerre d’indépendance sans oublier d’inventer n’importe quelle ingérence étrangère. »
Nadir Bacha
13 décembre 2011