Successeur du Cheikh Ibn Badis à la tête de l’Association des Oulémas, le Cheikh Bachir El Ibrahimi incarna avant tout la fidélité à l’héritage et à l’idéal badissien. Il poursuivit l’œuvre du défunt et sous son égide, les Oulémas initièrent une seconde révolution islahiste qui se matérialisa par la multiplication des médersas, la fondation de l’Institut Ibn Badis et le foisonnement d’une vie culturelle de langue arabe qui n’était jusque là que balbutiante. Le Cheikh Ibrahimi s’il fut l’homme de la continuité n’en fut pas moins celui du changement ; beaucoup plus porté que son prédécesseur sur la chose politique, il fit de la doctrine islahiste, une véritable idéologie nationaliste dont les soubassements organiques, l’Islam et l’arabisme, constituèrent ce fameux levain nécessaire à la renaissance du peuple algérien et à son combat pour l’indépendance.
L’année 1951 fut un tournant, le Cheikh El Ibrahimi partit pour l’Orient arabe, multiplia les voyages où il popularisa et fit connaître le combat que menait, depuis sa fondation, l’Association des Oulémas. Installé au Caire, devenu suite à la révolution des Officiers libres de Juillet 1952, la capitale d’un monde arabe en pleine effervescence ; le Cheikh El Ibrahimi y côtoya de nombreux cadres des mouvements nationalistes arabes et fréquenta aussi les principaux dirigeants des Frères-Musulmans.
Lorsque cet article du Cheikh El Ibrahimi fut publié dans la revue égyptienne El Hilal le 1er janvier 1957, l’Algérie était alors en pleine révolution. Les Oulémas, qui au début de l’année 1956 avaient rallié officiellement le FLN, faisaient désormais partie intégrante des structures organisationnelles du mouvement révolutionnaire et ce à tous les échelons. Le Cheikh El Ibrahimi, en dépit des manœuvres du pouvoir nassérien qui tenta de le marginaliser en raison d’une proximité ostentatoire avec le mouvement des Frères-Musulmans alors violemment réprimés, continua à mener ses activités d’habile propagandiste visant à soutenir l’Algérie combattante.
Le Cheikh El Ibrahimi rompit très tôt le silence de l’Association des Oulémas ; il rédigea le 15 novembre 1954 avec le Cheikh Foudil El Ousrtilani un « Appel au peuple algérien combattant » (1). Fin 1954, il s’illustra lors d’une réunion organisée le 22 décembre au siège de l’Association de la Jeunesse Musulmane avec pour thématique l’Algérie en révolte (2). Il accusa la France de « ployer la population musulmane d’Algérie sous un joug de misère, de maladie, d’ignorance, de haine, et de tortures » (3), puis il dénonça les tentatives de christianisation du peuple algérien par le biais de missionnaires fanatiques (4). Il exalta « la sainte lutte de l’Algérie arabe » et déclara que « la révolte ne s’arrose pas avec de l’eau, mais avec du sang ; son fruit c’est la liberté ».
Intervenant régulièrement sur les ondes de la « Voix des Arabes » (Sawt El Arab), le Cheikh El Ibrahimi, au courant de l’année 1955, louait déjà le combat des Moudjahidines du FLN en ces termes :
« Cette révolte sublime déclenchée en Algérie contre l’abject colonialisme français, cet impérialisme qui est le plus ignominieux et le plus odieux des impérialismes existant sur la face du globe, cette injure jetée à la face du monde. Cet impérialisme a sucé le sang de l’Algérie, il a dépouillé ce pays, lui a coupé les ailes et a réduit à l’esclavage ses enfants. Ceux-ci fatigués d’employer dans leur lutte des méthodes pacifiques, la logique que l’impérialisme ne comprend pas, le bon sens qu’il ne connait pas, acculés à l’extrême, ils se sont soulevés, bravant la mort, pour pouvoir enfin vivre, et opposant la foi inébranlable à la force matérielle. Ils se sont soulevés pour lutter à un contre mille […]. Les Algériens ont eu recours en définitive à l’épée, cet arbitre juste et impartial. Ils ont commencé à agir au début de cette année ; cette activité ne peut que s’accroître de jour en jour et l’année prochaine connaîtra une plus grande intensité. Ils établiront une fois pour toute que l’Algérie est une partie intégrante de la patrie arabe et non une province française » (5).
Ce fut d’ailleurs l’essentiel du propos qu’il développa dans cet article, traduit par les services de l’armée française (6), et dont la finalité était de restituer dans sa plénitude, la place de l’Association des Oulémas dans le combat contre le colonialisme français. Le Cheikh El Ibrahimi rappela la doxa sur laquelle reposait le système colonial qui privait l’Algérien de l’exercice de sa religion et de sa langue, et la lutte ne fut finalement possible que grâce à cette réappropriation de sa culture arabo-islamique et de son histoire par la jeunesse algérienne dans les écoles même des Oulémas. Le Cheikh El Ibrahimi préconisait un arabisme de combat dont la finalité ne pouvait être qu’unitaire scellant définitivement les destinées du Maghreb et du Machreq. Cette perspective unitaire demeurait la seule option pour ainsi mettre en déroute les manœuvres du colonialisme français au Maghreb.
Nadjib Achour
16 mai 2011
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Les Français combattent l’arabisme en Algérie
Cheikh Mohamed Bachir El Ibrahimi
Président de l’Association des Oulémas
El Hilal, 1er janvier 1957
Le problème de l’arabisme (El Orouba) en Algérie revêt divers aspects et comprend quelques problèmes annexes, mais dans son ensemble il est plus facile à résoudre, ici, qu’il ne l’est dans certains pays arabes, où les sources de difficulté sont plus complexes et plus nombreuses.
Dans ces pays, en effet, le problème de l’arabisme s’accompagne de nombreuses difficultés : complexité d’organisation, multiplicité et diversité des gouvernements, opposition à ces gouvernements, orientation politique différente de ces gouvernements, absence d’opinion publique dans la plupart des pays arabes, absence de maturité politique pour certains d’entre eux, inégalité considérable du degré de culture, diversité des cultures étrangères parmi les hommes de la nouvelle génération arabe.
En Algérie, le problème de l’arabisme n’a qu’une base, qu’une issue : le colonialisme français.
Le colonialisme français est l’ennemi ouvertement déclaré des Arabes, de leur arabisme, de la langue arabe, de la religion des Arabes : l’Islam.
Le problème de l’arabisme existe uniquement parce que le colonialisme existe. Si le colonialisme/impérialisme disparaissait, la plus importante difficulté du problème disparaitrait, car il en est la cause prépondérante. Si le colonialisme se maintenait, ne fût-ce qu’un laps de temps, le problème de l’arabisme en Algérie pourrait évoluer de deux manières différentes :
— Ou nous vaincrons l’impérialisme, et nous réglerons nous-mêmes la question. C’est ce à quoi travaille l’Association des Oulémas depuis sa création, car dès que l’impérialisme aura disparu, comme nous l’avons dit, il n’y aura plus de difficulté insurmontable.
— Ou l’impérialisme nous vaincra et détruira notre arabisme, le problème alors évoluera autrement et c’est le souci qui trouble notre repos.
En résumé, il est manifeste que l’impérialisme français, depuis qu’il occupe l’Algérie, a manifesté l’esprit de croisade et s’est employé à effacer l’Islam, parce que la force divine de cette religion ne lui permet pas de dominer le monde.
Il s’est employé à faire disparaître la langue arabe parce que c’est la langue de l’Islam. Il a cherché à détruire l’arabisme qui est le soutien de l’Islam. L’impérialisme français employa tous les moyens possibles pour y arriver, moyens apparents ou mesures secrètes, moyens rapides ou à longue échéance.
Il était sur le point d’arriver à ses fins après un siècle de jours et de nuits d’efforts persévérants pour effacer l’arabisme, si l’Association des Oulémas Musulmans Algériens n’avait, au début du siècle, résisté à cette entreprise et n’avait agi pour ruiner les espoirs du colonialisme.
Cette Association n’a été créée et ne s’est dressée que pour faire revivre l’Islam, l’arabisme et la langue arabe que l’impérialisme s’était acharné à faire disparaître.
Si Dieu lui a donné la victoire, aussi faible qu’elle était en face d’un adversaire aussi puissant, n’est-ce pas parce que l’Association voulait faire triompher sa religion, qu’elle voulait faire revivre la langue du Livre. De même l’impérialisme français aurait-il combattu intensément l’Association jusqu’à l’heure actuelle, si ce n’est qu’il connait les ses buts qui sont exactement à l’opposé des siens.
S’il est possible à cet impérialisme de rester en Algérie, il n’oubliera pas ce que représente pour lui l’Association des Oulémas, et déploiera tous ses efforts pour la faire disparaître complètement.
Il serait possible à l’impérialisme de le faire dès maintenant, mais il attend l’occasion favorable et espère que l’Association s’effondrera toute seule. L’une des raisons de cette chute pourrait être la faillite financière. Le colonialisme ne désire pas, ouvertement, ajouter un crime aux nombreux crimes qu’il a commis dans sa lutte contre l’Islam, la langue arabe et la science islamique, alors que l’Association œuvre pour défendre ces trois idéaux et s’en fortifier.
L’Association attaque l’impérialisme en prouvant de façon péremptoire qu’il est l’ennemi de l’Islam, de la langue arabe et de la science islamique.
Au travers de cette campagne de dénigrement qu’elle développe, et dont elle accable le colonialisme, tantôt en se plaignant de son injustice et de son agressivité, tantôt en produisant ouvertement des arguments et en menaçant de faire révolter les Musulmans, l’Association des Oulémas poursuit son action ahurissante : forger des cerveaux, construire des écoles et éveiller les esprits.
Le colonialisme – qui a combattu l’association et que l’Association a combattu – connait la force et la détermination de cette Association. Il sait que le peuple est groupé autour d’elle. Mais il sait que ses possibilités financières sont limitées comme l’est le soutien matériel du peuple.
Or, plus le mouvement d’enseignement et d’éducation se développe, plus les besoins matériels grandissent, et le jour viendra où la situation sera catastrophique. Ce sera la faillite et l’écroulement des édifices religieux, des écoles et des instituts.
C’est ce jour qu’attend le colonialisme pour supprimer l’arabisme en Algérie.
Là se dresse l’écueil majeur sur la route de l’Association des Oulémas algériens, protectrice de l’arabisme en Algérie.
Si le colonialisme escompte ainsi régler le problème de cette manière, et c’est là son espoir, l’Association des Oulémas y pense aussi et l’appréhende.
L’Association ne cesse de songer à ce grave péril et étudie toutes les mesures possibles pour le surmonter. C’est ainsi qu’elle a envoyé en Orient des messagers auprès des frères arabes, pour implorer leur aide matérielle tant la situation de l’Association est critique.
Telle fut la raison de ma venue en Orient, dans cet Orient arabe et islamique, telle fut l’objet de ma visite. Nous verrons quel en a été le résultat.
Avant de vous parler de ma visite et de ce qu’il en a résulté, il convient de vous faire brièvement connaître l’Association des Oulémas Musulmans Algériens, de vous montrer les buts qu’elle poursuit et les activités de ses membres, car, chers frères, si certains parmi vous la connaissent vaguement, d’autres ne la connaissent pas du tout.
La dénomination de l’Association est significative de vérité. C’est une Association d’Oulémas, qui œuvre pour l’Islam en faisant connaître ses vérités en diffusant ses sciences et enseignements en Algérie.
Et celui qui a connaissance de la situation en Algérie et de ce qu’y a fait le colonialisme français, se remémore en entendant le nom de l’Association tout ce qu’il a vu ou entendu sur les effets du colonialisme et comprend combien la route de l’Association a dû être pénible et son action difficile. Il comprend combien sa charge est lourde. Et cela est vrai.
Cette association a été créée en 1931, c’est-à-dire la première année du second siècle de la présence de la France en Algérie. Ce siècle que la France considérait comme le siècle de la confiance et de la tranquillité, de la vie facile et de l’exploitation paisible des richesses d’Algérie, richesses conquises le siècle précédent par le fer et par le feu.
L’idée déterminante de sa fondation est d’inspiration divine. Elle est dans la tradition des évolutions humaines. Dieu accorde la victoire à ses fidèles au moment où ils sont sur le point de désespérer, et le châtiment aux injustes quand il le veut ! Il est le Puissant, le Fort.
La forme « extérieure » de l’Association. Celle qu’on écrit et que lui donnent les lois est celle-ci : Association pour la réforme religieuse, pour combattre les erreurs dogmatiques, les pratiques innovées, ainsi que tout ce qui est réprouvé par la morale, et faire remonter les musulmans à la source de la religion, par l’étude de la disposition du Livre (le Coran) et de la Sunna.
Ces mots n’eurent aucun poids dans l’ouïe de la France et de ses chefs impérialistes, à cette époque là. Ce n’étaient que des mots. Comment ces mots provoqueraient-ils des actes et des revendications de justice ?
L’impérialisme en Algérie s’effrayait, et s’effraie toujours, des mots : réforme, vertu, direction, Coran, Sounna, histoire des ancêtres. Il considère comme un épouvantail les mots : Omar, Ali, Khaled, Okba, Tariq, Salah Ed Dine, Djamel Ed Dine et Mohamed Abdou. Il s’en effrayait d’autant plus qu’il savait que les Oulémas de l’Association qui remettraient ces noms à l’honneur n’étaient pas du modèle des Oulémas qui aiment se soumettre au colonialisme, qui acceptent ses charges et fonctions, qui sont à sa dévotion.
C’est une association qui réunit à la force de la science la force de la foi ; à la force de l’argument péremptoire, la force de l’élocution, à la fermeté de la volonté, la fermeté de la résolution. Bien qu’il sût tout cela, le colonialisme s’est montré conciliant tout en préparant en secret des mesures que seul le démon peut connaître.
Le colonialisme voit dans les principes de l’Association des Oulémas, principes proclamés en peu de phrases humbles, légères et douces, un péril, un grave péril pour son autorité. Il n’avait assuré son autorité en Algérie qu’en annihilant la raison, les cerveaux des Algériens, grâce à l’entremise des hérétiques, des innovateurs, des marabouts et confréries, de ceux qui font le commerce de la religion. Ceux-ci avaient un pouvoir sur les âmes. Lorsque le pouvoir de ces gens cessa de s’exercer sur ces âmes, le pouvoir du colonialisme sombra du même coup.
L’Association des Oulémas commença ses travaux par des contacts avec le peuple par le moyen de cours religieux, de conférences sociales et historiques en montrant au peuple (Oumma) les vérités de Dieu et ce que Dieu avait donné aux Arabes : la puissance, la générosité, la noblesse, la gloire et la souveraineté.
La vague fut violente, ses effets considérables, ses conséquences terribles.
L’effroi de l’impérialisme, en raison de cela, fut à son comble.
Cette situation dura environ sept années au cours desquelles le contact confiant avec le peuple fut resserré.
La doctrine réformiste religieuse pénétra toutes les couches de la population. Elle fit éclore des sentiments qui, derrière la réforme religieuse, provoqueraient la réforme terrestre.
Les entretiens des gens, de clandestins qu’ils étaient, devinrent publics.
Du stade de l’instruction on est passé à celui de la revendication.
La revendication se généralisa en revendication de droits politiques.
La France et ses représentants virent de leurs yeux se réaliser ce qu’ils redoutaient.
Que fit la France ? Elle fit tout et ne fit rien. Elle complota et rusa. Elle donna autorité à une armée de chefs religieux hérétiques qui s’étaient enrichis au nom de la religion, et lança ces gens contre l’Association des Oulémas pour la combattre et d’en détacher le peuple.
Les discours de ces gens furent sans portée : au contraire la population les accueillit avec haine et mépris. Ces religieux perdirent aussi le crédit moral qu’ils avaient sur le peuple.
Le colonialisme perdit du même coup leur aide et leur soutien car le peuple s’éloigna d’eux.
Cette première phase avait duré sept ans et l’un des piliers sur lequel s’appuyait le colonialisme était abattu.
Ce pilier était constitué par ce groupe de personnalités religieuses (marabouts et agents officiels du culte), que l’histoire a jugées en les appelant : les bêtes de somme du colonialisme « mataïa el isti’mar ».
Vint la seconde phase de l’action de l’Association des Oulémas, la phase de l’éducation islamique, de l’enseignement libre primaire de la langue arabe, réunissant les principes de l’arabe et de sa littérature aux principes de l’histoire de l’Islam, de l’éducation islamique salvatrice.
Ceci provoqua une âpre lutte entre l’Association, l’autorité colonialiste et les lois en vigueur.
L’Association s’y prépara avec foi et résolution. Elle feignit d’ignorer les lois colonialistes. Elle développa le sens patriotique des âmes et fit tomber l’aversion qu’elles avaient pour l’enseignement religieux et celui de la langue arabe. Le peuple assista l’Association car – grâce aux enseignements et aux conférences (des Oulémas) – il avait compris comment le colonialisme s’était occupé de la religion et de la langue arabe et comment il avait été également berné par ces imposteurs-marabouts et agents du culte qui font un commerce de la religion.
L’Association continua plus que jamais à construire d’importantes écoles avec l’argent du peuple. Elle remit en honneur la tradition de dévouement à la cause de la science, tradition oubliée en raison de l’action annihilante du colonialisme.
L’Association fit revivre cette tradition dans les âmes des Algériens. Ceux-ci se sont mis en œuvre et ont entrepris, avec émulation, de bâtir d’autres écoles. L’Association guide ces initiatives, établit les programmes, fournit les livres et les professeurs.
Le colonialisme s’effraya de cette grave évolution, de cette renaissance par l’enseignement.
Le déclenchement de la guerre lui fournit l’occasion d’arrêter cet essor. La plupart des établissements furent fermés ou réquisitionnés pour les besoins des services de la guerre. De nombreux Oulémas et professeurs furent arrêtés. Les chefs furent envoyés en déportation au Sahara, parmi eux se trouvait l’auteur de ces lignes qui passa les trois premières années de la guerre en exil dans le Sahara oranais.
La flamme ne s’était pas éteinte dans les âmes. Au contraire, elle brilla de plus belle durant les dernières années de la guerre et postérieures à la guerre, période pendant laquelle le peule fut incité à construire encore d’autres écoles. Ce fut une période d’émulation sans pareil et alimentée comme nous l’avons dit par la générosité de bienfaiteurs.
Aujourd’hui l’Association – non, la communauté islamique (le peuple) – dispose de 150 écoles primaires libres malgré le colonialisme français, fréquentés par 50 000 enfants du peuple algérien, garçons et filles. Ils y étudient les principes de leur langue arabe et de la littérature. Ils y apprennent les enseignements de leur religion et de leur histoire, l’histoire de leur nation, selon les programmes qui groupent les nécessités de la science aux prescriptions de l’éducation islamique, populaire, nationale solide.
Depuis lors, des dizaines de milliers d’enfants sont sortis de ces écoles. Ils possèdent peu d’instruction mais ont acquis une pensée saine, une foi nationale, une vue solide sur l’existence.
Toutes ces écoles sont d’un modèle moderne et organisées de façon moderne, leur importance est certaine et considérable. Elles sont la propriété de la communauté islamique, car elles ont été réalisées avec l’argent de la communauté.
L’Association a construit un Institut d’enseignement secondaire, premier jalon de l’enseignement secondaire. Elle y a consacré une somme de soixante mille livres égyptiennes. Elle a affecté vingt professeurs pour les mille élèves qui fréquentent cet Institut.
Là apparait la difficulté majeure de l’arabisme en Algérie, problème dont la solution répond à deux questions :
Voici la première :
Comment conserver ces médersas, alors que nous ne disposons d’aucun revenu à cet effet ? Les ressources locales sont inexistantes, elles sont constituées par le montant des abonnements mensuels souscrits par les classes pauvres de la population, soit par les cotisations mensuelles des parents d’élèves, soit par des dons incertains ou le versement aussi incertain de la Zakat. Ces sortes de revenus sont ceux avec lesquels l’Association fait vivre les centaines de professeurs et fonctionner les médersas.
Ces ressources sont susceptibles d’être coupées d’un moment à l’autre, l’administration lutte à cette fin depuis le début. Comment pouvons-nous les faire vivre, alors que les biens islamiques Waqfs (habous) ont disparu en Algérie, parce que le colonialisme s’en est emparé et ne fait aucune différence entre les biens de Dieu et ceux du Gouvernement ?
L’Algérie était de tous les pays musulmans, le pays le plus riche en fondations pieuses. On comptait dans la ville d’Alger huit mille immeubles constitués en « habous ». Il n’en reste plus qu’un seul.
Voila la seconde question à laquelle nous devons répondre :
Comment pourrons-nous continuer à construire pour satisfaire les désirs des membres de la communauté islamique et contrecarrer la politique de l’impérialisme, pour sauver ce qui peut être sauvé, des millions d’enfants musulmans qui ne trouvent pas de places dans les écoles gouvernementales, ni dans celles de l’Association des Oulémas ?
Actuellement, ils errent à l’aventure, dans l’avenir ils seront un fléau pour la communauté. Le gouvernement ne les instruit pas, car leur instruction contrarierait ses intérêts. De son côté, l’Association des Oulémas est impuissante à les instruire en raison de son manque de ressources financières.
Ce nombre effarant d’enfants perdus, Le gouvernement en connait l’existence, ses statistiques le mentionnent. Il ne désire pas du tout les instruire. La France se contente de dire aux Orientaux qu’elle est l’ « Educatrice du monde ».
Nous disons maintenant que c’est là véritablement le problème de l’arabisme en Algérie. Ce qui ajoute à la difficulté c’est que le gouvernement colonial français ne cherche pas à résoudre ce problème après l’avoir créé.
Comment pourrait-il se dépouiller de sa vraie nature ?
Iblis (le démon) pourrait-il un jour s’abstenir de déplaire à Dieu ?
L’Association ne peut pas la résoudre même si elle désire et le souhaite. Car elle ne dispose pas des moyens nécessaires à cet effet, et le meilleur moyen, c’est l’argent !
Les dirigeants de l’Association on discuté sur ce point. Ils en ont envisagé les conséquences et contrôlé les observations au cours des jours. Ils ont déployé toute leur perspicacité et leur sincérité. Mais après avoir développé toutes les idées et évalué toutes les possibilités, ils ont déclaré : « là est le véritable problème ».
Oui, là est le problème pour celui qui pèse exactement chaque chose, pour celui qui ne paie pas de mots, ni se laisse aller à son imagination jusqu’à confondre le problème de l’arabisme en Algérie avec les problèmes de l’arabisme en Orient.
De cette comparaison, le problème de l’Algérie apparaît plus facile à résoudre. Mais nous sommes arrivés au stade des réalités et des chiffres.
Les ressources matérielles locales peuvent disparaître sous l’action d’événements, cela est possible, ou de doctrines comme celle professée par cette génération incirconcise qui croit que l’instruction donnée à un enfant est un acte impie lorsque cette instruction va dépasser le niveau de celle de son père. D’une telle théorie découle la stérilité intellectuelle d’un peuple, qui, de plus, tire sa substance de l’agriculture. Nous avons constaté les effets de cette doctrine dans certaines régions.
Le résultat de la disparition des ressources serait la ruine des écoles, la ruine des efforts passés. Comment pourrions-nous poursuivre la renaissance et achever l’équipement complet nécessaire à l’enseignement de millions d’enfants, si les écoles anciennes tombaient en ruine ?
La conclusion de cette longue réflexion et de cette étude approfondie fut notre accord de nous tourner vers l’Orient arabe et d’attirer l’attention de nos frères Arabes sur le problème. C’est un devoir de justice d’un frère envers son frère.
L’Association des Oulémas choisit comme ambassadeur entre elle et l’Orient Arabe, son président Mohamed Bachir El Ibrahimi, auteur de ces lignes. Il fit le tour de l’Irak, du Hedjaz, de la Syrie, de la Jordanie, de l’Egypte et du Liban. Il se rendit dans ces pays plusieurs fois en trois ans. Il rencontra les rois des Arabes, les chefs de leurs gouvernements, les ministres chargés de l’enseignement, ainsi que les hommes qui dirigent l’opinion de ces pays. Il remplit auprès d’eux sa mission, particulière et générale, de la manière la plus complète.
La mission générale : faire connaitre à l’Orient arabe, l’Occident arabe, par un rappel historique complet. Exposer qu’il est composé de contrée voisines, des chaînes ininterrompues jusqu’à l’Orient. Que les habitants de ces contrées représentent la moitié des Arabes. Que si la coupure se maintenait entre l’Orient et l’Occident arabes et que l’entraide n’était pas assurée entre l’Orient et l’Occident arabes, l’Europe absorberait l’Afrique du Nord arabe et la « digérerait » complètement et pour toujours. Les Arabes perdraient ainsi la moitié de leurs frères de race.
Les Nations, dans la période actuelle, se fédéralisent et s’associent même avec celles qui ne sont ni de leur sang, ni de leur religion, ni unies à elles par le moindre lien.
Pourquoi les Arabes ne se fédéralisent-ils pas avec ceux qui sont leurs propres frères de race, de religion et de traditions ?
Le message particulier, la mission particulière, consistait à réclamer pour l’Association des Oulémas Algériens, l’aide des Gouvernements et des Fondations arabes, de solliciter leur assistance afin de lui permettre de poursuivre son activité qui vise à débarrasser l’Algérie de la barbarie et du colonialisme.
Notes de référence :
(1) « Nidaa ila ah-chaab el djeza’iri el moudjahid » in Fi Qalbi El Ma’arakat, (نداء إلى الشعب الجزائري، في قلب المعركة) Dar El Houma, Alger, 2007.
(2) FR CAOM 93/4257. Rapport du SLNA du Gouvernement Général de l’Algérie. Bulletin mensuel des questions islamiques daté de janvier 1955.
(3) Ibid.
(4) Ibid.
(5) FR CAOM 93/4257. Allocution du Cheikh El Ibrahimi « Les réalisations du monde musulman en un an » à la radio « La Voix des Arabes » le 22 mai 1955 à 18h45.
(6) FR CAOM 93/4257. Note de renseignement de l’Etat-major 2ème bureau, corps d’armée de Constantine, 10ème région militaire daté du 2 mai 1957.
Un commentaire
RE: Les Français combattent l’arabisme en Algérie, Cheikh Mohamed Bachir El Ibrahimi
[b]très bel article ![/b]