Le changement qui se profile à l’horizon ces derniers temps en Algérie a amené le pouvoir politique à reculer devant la révolte sociale. En plus, il a écrasé avec lui l’essence même de l’Etat. Il est à souligner que ce pouvoir a cru initier la construction de l’Etat sur un populisme exagéré. Encore faut-il faire une nette distinction entre la construction et la formation de l’Etat. Celle-ci est un long processus de maturation sociopolitique. En effet, un nouveau phénomène dévastateur aurait vu le jour dans notre pays, il s’agit notamment de la privatisation de l’Etat. Une pratique carnassière soutenue par une logique néo-patrimoniale qui a vidé l’Etat de toute sa substance le rendant un « Léviathan boiteux ». A dire vrai, le pouvoir algérien comme l’écrit magistralement Abed Charef, « est en plein déliquescence. L’autorité a disparu, et ne s’exerce plus que par les compagnies de sécurité » (1). Un constat, pour le moins que l’on puisse dire, révélateur de l’extrême dégénérescence à laquelle s’est aveuglément acheminée le pouvoir.
Le régime algérien aux abois
Le despotisme arabe nous met dans le grand embarrât, car comme l’a exprimé Abdel Bari Atwan, « les régimes dictatoriaux arabes nous placent devant un choix difficile voire impossible : se tenir à leurs côtés parce qu’ils font face à une conspiration et qu’ils refusent les réformes, ou donner notre bénédiction à l’intervention étrangère [….] nous ne serons pas aux côtés de la dictature qui égorge son peuple sans pitié et nous ne soutiendrons pas l’intervention étrangère car nous connaissons par avance ses objectifs colonialistes. » (2)
En effet, l’on se trouve naturellement au cœur d’un dilemme inédit, c’est-à-dire devant une équation insoluble dont les inconnus sont difficiles à résoudre, un dualisme manichéen vu en noir et blanc. Ainsi, l’on se retrouve devant deux incontournables alternatives : la dictature intérieure et l’intervention étrangère. En effet, le pouvoir a régné en maitre incontesté. Sa mainmise monolithique a essoufflé les forces vives du pays ; usant de toutes les méthodes pour confirmer sa tutelle sur la société. D’abord, par la spéculation excessive sur le patrimoine national, notamment son volet historique, c’est-à-dire le détournement de l’héritage révolutionnaire et l’âme de toute une nation à son profit. Ce n’est plus étonnant de voir le pouvoir officielle nier en bloc que l’Algérie actuelle vit une crise politique et ce qui se passe dans les autres pays arabes ne lui concerne pas, que la révolution ne peut être que l’apanage des ainés, les frères d’armes. Or, affirmer cette allégation veut dire méconnaitre le peuple algérien, le priver de son droit absolu de dénoncer ce qu’il a vu d’incohérent et d’absurde dans la gestion politique de son pays. Si cette jeunesse nantis restait indifférente par rapport à la révolution arabe, cela veut dire qu’elle n’a rien appris du message de Novembre 1954. Nier la grogne de la rue et la révolte sociale contredit absolument la logique officielle mise en avant par le pouvoir en place durant les décennies poste indépendantes ; elle le met dans une contraction mortelle puisque c’est en Algérie que la révolution a commencé. Cela veut dire également priver la société du mythe, de son propre mythe. Comme l’on a ostensiblement constaté, le système politique algérien a pratiquement échoué dans tous les projets économique, politique et sociale destinés à la société qu’il gouverne. Sur le plan politique, la culture patrimoniale, le népotisme, le clientéliste ont fait certes la force du pouvoir mais ils ont affaibli considérablement la société. Le pouvoir a su finalement comment la tenir dans une dépendance permanente et dans une liberté surveillée. En l’absence d’une culture démocratique bien ancrée socialement, le pouvoir a pu transmettre, voire généraliser l’épidémie de la corruption dans pratiquement toutes sphères de la société. L’on a assisté d’autre part à l’appropriation de la chose publique, c’est-à-dire l’Etat qui est aux privilèges de tout le monde est devenu l’apanage des particuliers. Cet état de retournement, d’inversement des rôles a amené le pouvoir à se fortifier au détriment des forces politiques autonomes, il a crée ses propres partis, associations, syndicats, presse, etc. C. Laffort a précisé à bien des égards que le pouvoir devient autoritaire s’il absorbe en lui la société civile.
Sur le plan historique, la crise du GPRA a défini clairement comment le système politique algérien allait évoluer, car l’on a assisté au départ au détournement du message révolutionnaire, au dépouillement pure et simple de ses acquis. Une politique monolithique et une vision étriquée allaient caractériser et déterminer la nature du système politique algérien. De primes d’abord, ce dernier s’est apprêté à occuper la scène en cultivant le mythe de l’unité nationale contrant toute évolution ou idée novatrice tirant la société vers le haut. Dans la même parade, il traite les opposants de fouteurs de trouble, il refuse les critiques qui peuvent être constructives. Or, « critiquer “le pouvoir” ou “les pouvoirs” n’est plus synonyme d’anti-pouvoir au sens de le “détruire” ou de le remplacer par je ne sais quel autre type de pouvoir ; critiquer le pouvoir c’est dénoncer les méfaits ou les pratiques nuisibles à son propre fonctionnement, c’est corriger en quelques sortes, ses imperfections afin de le rendre plus efficace et plus conforme à la justice et au respect du droit ». (3) Ainsi, le pouvoir entretient la dictature car il réalise pertinemment qu’une fois retourné vers la démocratie il signe la fin de son règne, la démocratie est incompatible avec sa nature. L’on a bien remarqué durant le simulacre d’ouverture politique des années quatre vingt dix que le pouvoir a bien tenté d’emprunter le chemin du pluralisme politique afin de prolonger sa survie, mais le pluralisme implique au préalable un minimum de respect de certaines règles, la reconnaissance de la majorité, l’alternance au pouvoir, les élections libres, le droit à l’opposition etc. Le processus démocratique avorté en 1992 a dévoilé la nature du pouvoir en le présentant au peuple telle une caste décalée par rapport à la réalité sociale. Dans un gouvernement corrompu a précisé Montesquieu « les bons lois deviennent mauvaises et se retournent contre l’Etat ». En effet, l’on a assisté dans le cas algérien à un pouvoir corrompu qui aspirait aux principes de la démocratie ; il a y eu ainsi une contradiction entre la nature et les principes. La contradiction est une preuve de vitalité de toute société, mais celle-ci risquait le chaos mortel si elle resterait longtemps dans les contractions a souligné Hegel. C’est pourquoi, et pour reprendre l’expression de L. Addi, le régime algérien est condamné, il faut donc préparer l’avenir. Il est condamné parce qu’il a échoué dans pratiquement tous les projets qu’il a destiné à la société qu’il gouverne, le socialisme spécifique, la révolution agraire, l’industrie industrialisante, l’économie dirigée, les tentatives de l’ouverture économique depuis l’amendement constitutionnel du 23 février 1989, tous ces projets n’ont pas donnée de résultats tangibles ou ont abouti à des réalisations rudimentaires très insuffisantes par rapport au temps gaspillé et des sommes colossales allouées. Non seulement les projets économique ont échoué mais aussi politiques, la logique monopartisane, l’hérésie du pluralisme politique en 1922, la politique de tout sécuritaire, la concorde civile, la réconciliation nationale ont tous donné la preuve irréfutable d’un cuisant échec. Mais dans un autre côté, Si le régime algérien est aux abois, cela ne veut pas dire que l’intervention des puissances occidentales embellissant leur l’intervention par la hantise de l’instauration de la démocratie et la transmission des bonnes valeurs est une option envisageable. Il est difficile de croire que de telles puissances ayant pour premier objectif la garantie de leurs objectifs purement stratégique feraient du jour au lendemain une volte-face surprenant et seraient au côté du peuple réprimés.
L’Occident est un accident
Pour bien rendre le sens de cette expression si cher à R. Garaudy, il conviendrait de souligner que l’auteur a bien précisé que l’occident fut transgressé durant son développement socioculturel par des contradictions mortelles. La démocratie grecque que l’on a fait beaucoup d’éloges est prise souvent comme un repère historique jusqu’à considéré la civilisation occidentale de nos jours telle une reproduction du patrimoine gréco-romain. Mais, la démocratie grecque a hiérarchisé la société distinguant une classe de sage supérieure ayant vocation à gouverner à la place du peuple et un reste laissé-pour-compte incapable de se prendre en charge. Une séparation de la société que l’on a également constatée dans les prémices de la démocratie française et plus particulièrement au temps de la révolution de 1789 en distinguant les citoyens actifs et d’autres passifs. C’est le premier accident de l’occident a précisé le même auteur. Le deuxième fut incarné par le colonialisme. Cette période de l’histoire contemporaine est basée sur une philosophie dominatrice et méprisante bien ancrée dans l’esprit de ces adeptes, elle voulait apparaître, pour le moins que l’on puisse dire, comme une mission civilisatrice rayonnante dans tous les espaces qu’elle devrait atteindre. Néanmoins, cette mission n’a eu d’objectif que de dominer les peuples affaiblis pour mieux exploiter leurs richesses. Comme l’avait exprime A. Laroui, le drame de cette modernité est le fait qu’elle soit accompagnée par la violence. Voilà le troisième accident de l’occident. Le troisième fut exprimé par M. Colon et concerne la domination du monde par les Etats-Unis , il a précisé sa pensée en ces termes : « l’Empire américain est apparu invincible gérant la planète selon différentes méthodes, en violant la Charte de l’ONU, en appliquant de cruels embargos, en bombardant ou occupant des pays, en assassinant des chefs d’État, en provoquant des guerres civiles, en finançant le terrorisme, en organisant des coups d’État, en armant Israël pour ses agressions, etc. » Dans le même contexte nous précise le même auteur, que l’empire américain aussi puissant soit-il, ne durera pas pour longtemps. Les Etats-Unis ne peuvent plus se permettre leur politique interventionniste. Tôt ou tard, le coût du ‘’maintien de l’ordre’’ dépasse les profits que ces guerres apportent aux multinationales. Tôt ou tard, les investissements dans le militaire font défaut aux autres secteurs qui perdent la compétition internationale. Et les États-Unis n’échappent pas à la règle. « Le taux de profit de leurs multinationales décroît depuis 1965, et les bulles d’endettement et de spéculation n’ont fait que reporter et aggraver le problème. Leur part dans l’économie mondiale est passée de 50% en 1945 à 30% dans les années 60, autour de 20% aujourd’hui et 10% environ dans vingt ans » (4). L’Europe de sa part, ne sort pas vraiment de ce climat léthargique. La France par exemple, ne peut pas supporter une dette publique qui dépasse les 80% du PIB (5), ou comme le montre une étude de l’OCDE, précisant que la dette moyenne des pays de l’Organisation de Coopération et de Développement Economiques (OCDE), qui représentait 73,1% du PIB en 2007, devrait atteindre les 100% d’ici 2012. En clair, la dette moyenne des pays de l’OCDE équivaudra alors à la production totale de la richesse d’un pays. Même si, la situation est variable selon les Etats, les pays développés sont les plus touchés. Le Japon verra son endettement bondir de 167% à 204%. La France devrait passer de 70% à 99% et la Grèce de 103% à 130%. Même l’Allemagne, un modèle de vertu budgétaire, verra sa dette augmenter de 65% à 85,5% du PIB. C’est bien au-delà de la barre des 60% fixée par Maastricht. La croissance de la zone Euro n’a pas dépassé les 0,80% durant l’année 2008 (6). Mais si on regarde, ne serait que sur le plan économique, l’autre côté de la planète pour savoir comment se porte les économies du Sud Est asiatique et mesurer l’ampleur du changement qui s’opère au niveau géopolitique et stratégique dans le monde l’on se retrouve dans un état de bouleversement mondial incontestable. Entre 1959 et 1973 ou l’économie japonaise était en plein essor, elle avait enregistré 11% de croissance annuelle. La Coré du Sud qui l’avait suivit en niveau du décollage économique a enregistré 9% de croissance annuelle entre 1967 et 1991, le Taiwan a également enregistré le même chiffre dans la même période (7). La Chine quant à elle, notamment la région du Guangdong, a enregistré 18% de croissance annuelle durant pratiquement toute la décennie des années 90. La production a été multiple par dix et le revenu par habitant par sept. 338 million d’utilisation d’internet, un chiffre qui dépasse le nombre de la population des Etats-Unis (8).
Dans cet état de bouleversement du monde à la fois rapide et surprenant, l’Algérie devrait trouver une place de choix, n’a-t-elle pas été la pionnière des révolutions ? L’histoire l’a inscrit comme leur fief par excellence. Pourquoi refuse-t-on le droit à un peuple de se révolter et faire le système politique de son choix? Le changement auquel aspire le peuple algérien ne voudrait dire aucunement se comprendre avec une puissance étrangère ou trahir les principes de liberté auquel il est fortement attaché. Au contraire, il signifie une évolution dans les mentalités, il se veut un bouleversement dans les mœurs pour redonner au travail et la compétence, la démocratie et l’égalité des chances leur vraie valeur. Le changement ne veut pas dire l’anarchie et le désordre, mais bel est bien une organisation de la société au niveau politique et économique avec des syndicats autonomes, des partis politiques représentatifs de l’ensemble de la société, capable de fournir l’encadrement adéquat à des militants viellant et conscients, attentifs à cette mutation qui s’amorce au niveau mondial. C’est pourquoi l’opposition à un système scélérat n’est pas forcement un anti-pouvoir ou une trahison de ses propres principes pour compromettre avec une puissance étrangère.
Hammou Boudaoud
9 mai 2011
Références :
1) Abed Charef, « l’Algérie n’est pas en retard d’une révolution, elle st en avec d’un échec », La Nation 3 mai 2011.
2) Satour Khaled, « entre « révolution » et l’ingérence étrangère : le malaise arabe ». 24 avril 2011 cité www.hoggar.org.
3) Rouadjia Ahmed, « Faillite des universitaires ou faillite des universités », El Watan, 18 mai 2009.
4) Collon Michel, « Le monde change, et nous avons un grand rôle », Algérie-focus, Le 21 février 2011.
5) Attali Jacques, Une brève histoire d’avenir, Fayard, Paris, 2006. Voir aussi, « nous sommes tous ruiné dans dix ans » 2010.
6) Guichard Guillame, « 2009 et 2010 les années du déficit », Le Figaro, 31 décembre 2009.
7) Gabriel. Bruno, L’économie de la chine, PUF Paris, 1997.
8) Boniface Pascal, comprendre le monde, Ed Armond Colin Paris, 2010.