L’état d’urgence qui date du 9 février 1992 marque la crispation et le durcissement du pouvoir. Il a gravement altéré la crédibilité du pouvoir à l’intérieur et à l’extérieur du pays, et fait voler en éclat la confiance du peuple. Il faut voir la réalité de l’état d’urgence, avec le regard de ceux qui la vivent quotidiennement et subissent ses effet néfastes.
L’état d’urgence a permis, dès sa signature, l’ouverture de 9 camps de concentration dans le Sahara, alors que le droit national et international édicte que personne ne peut être privé de sa liberté, si ce n’est par voie de justice. Toute décision qui concerne la liberté de la personne humaine, relève du judiciaire et du juge, et non de l’administration centrale ou du gouvernement. L’internement administratif qui a obligé vingt mille Algériens à payer leurs convictions politiques et religieuses de la privation de leur liberté et de leurs moyens d’existence, s’est fait au mépris des lois internes et des conventions et pactes internationaux ratifiés par l’Algérie.
Aucun homme, aucune femme, attachés à la dignité humaine ne laisseront le silence se fermer sur la détention de prisonniers, non par voie de justice, mais par voie administrative, par lettre de cachet. Tout ce qui cède au rapport de force ou au fait accompli, méprise, humilie la personne humaine, est à combattre. Les écoutes téléphoniques et le contrôle du courrier qui sont une atteinte à la vie privée des gens, relèvent de l’autorisation du juge. Avec l’état d’urgence, elles relèvent de la police et des services de sécurité. Au nom de la sécurité, les libertés ont été altérées et aliénées.
L’état d’urgence ne permettant pas au mécontentement populaire de s’exprimer de façon légale, par des marches pacifiques, il était fatal que les actes de violence se multiplient comme on a pu le constater. Les revendications non satisfaites engendrent des émeutes. Le droit de se rassembler et de manifester qui est un droit constitutionnel, est soumis à l’autorisation préalable des Walis. La constitution reconnaît le pluralisme politique, syndical, mais la justice saisie par les pouvoirs publics condamne les syndicats autonomes qui ont régulièrement déposé leurs dossiers au niveau du ministère du travail. Le récent procès contre les représentants des syndicats autonomes, ont mis en relief la soumission de la justice au pouvoir exécutif.
Le travail définit la condition humaine, notamment le droit à la liberté syndicale dans ses deux dimensions, le pluralisme syndical et l’adhésion libre, sans que les réunions syndicales et autres ne soient publiées, et les manifestations publiques brutalement réprimées. Des années durant, le pouvoir expliquait sur un ton incantatoire que l’état d’urgence allant ramener la paix. La contradiction réside dans le fait que le terrorisme est déclaré « résiduel, réduit à quelques poches » alors que l’état d’urgence est maintenu pour les impératifs de la lutte antiterroriste. Les hommes politiques sont comme les oiseaux, ils ne volent pas tous à la même altitude.
La sécurité des Algériens ne peut se traduire par l’aliénation de leur liberté. L’Algérie veut l’ordre et la paix, à condition qu’il ne soit pas l’ordre des prisons, ni l’ordre des cimetières.
La doctrine des droits de l’Homme, au service de la personne humaine, de sa dignité et de ses droits, est à la fois une revendication minimale, et la matrice de toutes les revendications démocratiques.
Abdennour Ali-Yahia
Juillet 2009
Source : Errabita, périodique de la LADDH, 2ème trimestre 2009.