Ce qui l’est moins, par contre, est celle de la presse française qui, elle aussi, semble obéir à des injonctions venues "d’en haut". On ne peut pas trouver d’autre explication à un tel silence.
Pourtant cet article dans la Stampa, de notre confrère Valerio Pellizari, que j’ai eu au téléphone et dont je sais l’inlassable travail d’enquête sur l’assassinat des moines trappistes, est d’une importance capitale pour la compréhension de cette affaire de Tibéhirine et de la Raison d’État des pays occidentaux qui l’ont confinée dans l’oubli et le silence complice, des années durant.
Les médias français, si l’on excepte deux quotidiens français, Ouest-France et Le Figaro, ont donc totalement ignoré cette affaire. Pour des raisons peu honorables, même si elles se revendiquent vraisemblablement d’une raison d’État qu’ils ne veulent pas compromettre. Croient-ils. Un journalisme "responsable et citoyen" me disait un confrère, avec un sourire dans la moustache.
Côté français, en effet, il faut croire que la presse a été aimablement invitée à ignorer ces révélations, pour ne pas compromettre la présence du président algérien au sommet de l’Union pour la Méditerranée, qui doit se tenir à Paris, le 13 juillet. Surtout après tous les efforts et les sollicitations empressées de la France pour convaincre le président Bouteflika d’y assister. Celui-ci, conscient que l’absence de l’Algérie à ce sommet serait susceptible de diminuer notablement cette initiative ”hautement stratégique” pour la France, a longtemps fait craindre au président Sarkozy qu’il n’y irait pas, pour monter les enchères et se faire désirer. La presse française qui avait suivi le chassé-croisé incessant des officiels français entre Paris et Alger, pour aller insister auprès du président algérien, a donc été réceptive aux "souhaits" de qui de droit, de ne pas tout gâcher en heurtant la sensibilité du très ombrageux et très imprévisible président algérien. Ce qui pourrait faire capoter le sommet tant attendu, a-t-on dû suggérer. La presse française est donc entrée dans cette règle très commode de la Raison d’État.
Le fait que ces révélations sur l’assassinat, et sur la mutilation effroyable des moines trappistes, aient été faites à La Stampa, non par un quelconque déserteur de l’armée algérienne, mais par un haut fonctionnaire européen, même s’il reste encore anonyme, n’a pas plus excité le professionnalisme, et l’éthique, de la presse française qui a procédé à une occultation massive de cette information capitale. Une attitude qui rappelle celle de la presse des systèmes totalitaires. A la différence que pour se donner bonne contenance, et mettre une sourdine à leur conscience, les décideurs éditorialistes invoquent une Raison d’État qui n’en est pas une, ou qui n’est pas honorable, puisque le régime algérien est illégitime dans son essence même et dans ses institutions de façade. Le Parlement qui s’apprête à réaménager la Constitution algérienne pour permettre à Bouteflika de se représenter pour la troisième fois, est le Parlement le moins représentatif du monde, puisque 70 % des électeurs ont boudé les dernières élections législatives. Dans un pays où les généraux décident qui doit être le président de la République, avant de se prêter à une parodie de scrutin.
En jouant cette comédie de la Raison d’Etat, la presse française n’insulte pas seulement la dignité du peuple algérien, et sa quête éperdue de vérité, mais aussi la mémoire de ces sept moines trappistes qui ont fait les frais d’une politique criminelle de manipulation des opinions publiques. Ces moines trappistes, dont l’article de La Stampa nous dit qu’ils auraient été tués par l’armée algérienne, auraient été décapités après leur mort, par les services de sécurité, pour faire croire à l’opinion publique française à un acte barbare des ”hordes islamistes”. Cet épisode monstrueux, et le droit des familles des victimes innocentes à connaître la vérité, ne peuvent être escamotés de cette façon, au nom d’une Raison d’Etat qui conforte le despotisme et le crime d’État comme étant des pratiques acceptables et qui, à la limite, ne peuvent être dénoncées que si elles gênent les intérêts bien compris de certains. Des pratiques dont on s’accommode et qu’on tait. Même si elles ont entraîné le supplice et la mort de ses propres concitoyens.
Djamaledine Benchenouf
10 juillet 2008
Tahiabladi.com