Avec l’interruption des élections législatives en janvier 1992 et l’interdiction du FIS (Front islamique du salut) sorti vainqueur de ces élections, la « lutte contre le terrorisme » est lancée. À partir des années 1993, des quartiers et des villages dont les habitants étaient soupçonnés de sympathie et de soutien au FIS ou aux insurgés ayant pris le maquis sont bouclés et ratissés. Pendant le couvre-feu, des unités de l’armée ou combinées (militaires, gendarmes, policiers, forces spéciales), accompagnées souvent à partir de 1994de milices, embarquent les suspects par dizaines ou les liquident sur place. Les personnes enlevées sont tuées après torture, puis jetées mortes sur les routes ; et d’autres, « enterrées sous X ».
C’est à partir de fin 1996 que les massacres de villageois, puis de citadins, se sont multipliés. Ces carnages, qui ont fait chaque fois entre dix et plusieurs centaines de victimes, ont connu leur apogée entre l’été 1997 et le début 1998. Leur ampleur s’est ensuite réduite, mais ce n’est qu’à partir de 2004 que leur fréquence comme le nombre de victimes ont vraiment baissé. Ces massacres sont souvent revendiqués par les GIA (Groupes islamiques armés) mais la nature exacte de ces groupes ainsi que la véritable identité de leurs commanditaires ne sont à ce jour pas établies. De graves présomptions pèsent toujours quant à la probable implication des services secrets (DRS, Département du renseignement et de la sécurité) dans l’organisation de ces massacres.
Depuis, il n’y a eu que quelques rares semblants de procès de certains suspects. La plupart – selon les versions officielles – auraient été tués dans des accrochages avec les forces armées. Il n’y a jamais eu d’enquêtes indépendantes pour faire la lumière sur ces massacres malgré les demandes insistantes et de l’ONU en 1997 et des organisations de défense des droits de l’homme.
Jusqu’à nos jours des massacres sont commis dans le cadre des offensives militaires contre des groupes armés retranchés dans lesquels périssent des civils dont des femmes et des enfants. En mai 2006, une action militaire s’est déroulée dans les monts Seddat dans la wilaya de Jijel. Elle s’est achevée par l’attaque au gaz toxique d’une grotte de laquelle ont été extraits trente-sept cadavres, parmi lesquels vingt-deux enfants (dont le plus âgé n’avait pas quatorze ans), neuf femmes et six hommes.
Lors de l’examen du dernier rapport périodique algérien, l’un des experts du Comité des droits de l’homme de l’ONU, Sir Nigel Rodley, a qualifié ces graves violations des droits humains de « crimes contre l’humanité ». Il a estimé que ces milliers d’enlèvements, de décès et les massacres « ne se font pas par hasard ou par accident », considérant qu’il y a là une « pratique systématique ».
Dans ses observations publiées en novembre 2007, le Comité des droits de l’homme constate une nouvelle fois que le gouvernement algérien n’a pas respecté ses engagements et que des enquêtes indépendantes doivent être engagées pour faire la lumière sur les massacres et les responsables de crimes graves, qu’il s’agisse d’agents de l’État ou de membres de groupes armés, afin qu’ils soient poursuivis et condamnés.
Non satisfaits d’occulter les multiples responsabilités dans les graves violations des droits de l’homme commises durant la décennie de sang, l’État algérien a promulgué en février 2006 une loi dite de « réconciliation nationale ». Celle-ci pousse le déni de Justice encore plus loin, puisque « aucune poursuite ne peut être engagée, à titre individuel ou collectif, à l’encontre des éléments des forces de défense et de sécurité ». Et, en conséquence, « toute dénonciation ou plainte doit être déclarée irrecevable par l’autorité judiciaire compétente ». La loi interdit aussi toute dénonciation de l’État et de ses agents pour les crimes commis sous peine d’un emprisonnement de 3 à 5 ans.
Algeria-Watch demande au Conseil des droits de l’homme de se pencher sur ce douloureux chapitre de l’histoire récente de l’Algérie et de recommander à l’Etat de faire la lumière sur les graves crimes commis jusqu’à ce jour. Aussi faut il suggérer au gouvernement algérien d’abroger les dispositions de la loi dite de « réconciliation nationale » qui codifient l’amnistie pour les responsables de crimes et criminalisent toute critique de la situation des droits de l’homme en Algérie.
Algeria-Watch
12 avril 2008