Après l’ouverture en France en décembre 2003 d’une enquête sur l’assassinat des moines de Tibhirine en mai 1996, celle-ci n’a toujours pas abouti à ce jour. En revanche, l’« affaire des moines » a resurgi le 14 mars 2008, à travers l’étrange mise en examen du journaliste Jean-Baptiste Rivoire, suite à la plainte de Rina Sherman, qui fut la compagne de Didier Contant, journaliste qui s’est suicidé à Paris en février 2004. Mme Sherman, dans un livre intitulé Le Huitième mort de Tibhirine (publié en février 2007), a prétendu que la mort de Contant serait en réalité un « suicide maquillé », ca r « il était soumis à une grande angoisse psychologique en raison des attaques dont il était l’objet », après son enquête en Algérie sur l’affaire des moines, laquelle visait le témoignage d’un sous-officier des services secrets algériens, Abdelkader Tigha, impliquant l’armée dans l’enlèvement et la mort des moines. Ces « attaques » auraient été le fait d’une « machination » de Jean-Baptiste Rivoire et de Paul Moreira, alors journalistes à Canal Plus, qui auraient exercé de graves pressions sur Contant pour l’empêcher de publier son enquête, car celle-ci aurait con trarié leur « thèse », celle du « lobby du qui tue qui » réunissant « ceux qui œuvrent pour le dédouanement des intégristes islamistes » algériens.
C’est au décryptage de ce livre mensonger que nous procédons ici, en montrant précisément : a) comment il reprend, volontairement ou non, les méthodes de falsification et de désinformation familières aux services secrets de l’armée algérienne (affirmations sans preuves, manipulation des faits avérés et non-prise en compte de tous ceux qui pourraient infirmer la thèse énoncée) ; b) pourquoi les accusations portées contre J.-B. Rivoire de « violences volontaires avec préméditation sur la personne de son confrère Didier Contant » sont aussi fausses qu’infondées ; c) l’inanité de la thèse centrale du livre, selon laquelle Contant serait mort parce qu’il aurait trouvé des informations inédites invalidant les « thèses du lobby du qui tue qui », alors que ces informations n’étaient aucunement inédites, et que le prétendu « lobby » n’est qu’une invention des services secrets algériens pour discréditer les militants des droits de l’homme – dont les auteurs de ces lignes – qui dénoncent depuis des années toutes les violations des droits de l’homme commises en Algérie lors de la « sale guerre » conduite par les forces de répression algériennes à partir de 1992.
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L’invraisemblable mise en cause de Jean-Baptiste Rivoire
Pire, la recherche de la vérité et de la justice, loin d’avoir progressé, semble bien avoir reculé, comme en témoigne la mise en examen par le juge Patrick Ramaël, le 17 mars 2008, du journaliste Jean-Baptiste Rivoire « pour avoir commis des violences volontaires avec préméditation sur la personne de son confrère Didier Contant ». Jean-Baptiste Rivoire est l’auteur ou le co-auteur dans les années 1990 et 2000 de plusieurs documentaires télévisés très fouillés sur la dramatique « guerre civile » algérienne et ses répercussions en France 1, principalement diffusés par la chaîne Canal Plus (sur laquelle il dirige aujourd’hui une émission d’information), ainsi que d’un livre sur l’histoire de la « Françalgérie », où il relate notamment en détail son enquête sur l’assassinat des moines 2 . La mise en examen de Rivoire résulte d’une plainte déposée contre lui et son confrère Paul Moreira par Rina Sherman, qui fut la compagne du journaliste Didier Contant, lequel s’est suicidé à Paris, en se jetant du cinquième étage d’un immeuble, le 15 février 2004 : selon Mme Sherman, il s’agirait d’un « suicide maquillé », provoqué par les « attaques dont il était l’objet » de la part de Rivoire et Moreira, tous deux journalistes à Canal Plus à l’époque.
Mais quel rapport avec le drame de Tibhirine, dira-t-on ? Mme Sherman l’explique à sa manière dans un communiqué diffusé le 19 mars 2008 : « À la fin du mois de janvier 2004, Didier Contant, ancien rédacteur en chef de l’agence Gamma, revenait d’une investigation en Algérie sur l’enlèvement et l’assassinat des moines de Tibhirine en 1996. À Paris, il apprenait que Jean-Baptiste Rivoire de Canal Plus, faisant foi d’un email reçu d’Amnesty International à Londres, l’accusait de travailler pour les services secrets algériens et français et d’avoir harcelé l’épouse d’Abdelkader Tigha, le discréditant auprès des rédactions parisiennes, dont celle du journal Figaro Magazine qui devait publier son enquête. Transfuge de l’armée algérienne, Tigha mettait en cause l’armée algérienne dans la mort des moines, thèse défendue par l’équipe de Canal Plus, comme par les membres du lobby “Qui tue qui ?”. Cet ancien sous-officier constituait un témoin clef pour les émissions “Lundi investigation” et “90 Minutes” de Canal Plus, ainsi que pour la plainte déposée en décembre 2003 par Me Baudouin (FIDH) pour une des familles des moines victimes. Les précédentes investigations de Didier Contant ont été respectivement publiées dans le Pèlerin magazine en février 2003 et dans le Figaro Magazine en décembre 2003. Au cours de sa dernière investigation, ce grand reporter avait trouvé de nouveaux témoins indiquant que les moines avaient été assassinés par le GIA et il avait recueilli des témoignages mettant en doute la personne d’Abdelkader Tigha 3 . »
C’est cette thèse que Mme Sherman a développée en détail dans un livre intitulé Le Huitième Mort de Tibhirine et publié en février 2007 4, dont l’unique objet est de présenter Didier Contant comme victime d’une conspiration ayant abouti à sa mort. Même si son audience est restée limitée, ce livre mérite un examen attentif, tant il reprend – fût-ce à son corps défendant – les méthodes de falsification utilisées par les services d’action psychologique des services secrets de l’armée algérienne, le Département de renseignement et de sécurité (DRS, anciennement « Sécurité militaire »), pour occulter la vérité sur l’affaire des moines et, plus généralement, sur la réalité de la « sale guerre » conduite par les forces de répression algériennes à partir de 1992.
En empruntant à un journal algérien le titre très évocateur de « huitième mort de Tibhirine » 5, Rina Sherman insinue que Didier Contant aurait été tué par ceux-là mêmes qui sont accusés de l’assassinat des religieux : ces derniers auraient été victimes des seuls islamistes, et Contant aurait perdu la vie par l’action de leurs partisans en France, dont… Jean-Baptiste Rivoire. Alors qu’on serait bien en peine de trouver sous sa plume ou dans ses propos, la moindre complaisance à l’égard des criminels affirmant agir « au nom de l’islam ». Selon Sherman – et contre toute évidence, on y reviendra –, les conclusions de Contant sur l’assassinat des moines auraient ébranlé la thèse de l’implication des services secrets algériens, prétendument largement partagée par la classe politique et les médias français.
Cet amalgame entre l’assassinat des Cisterciens et le suicide d’un journaliste est une entreprise particulièrement pernicieuse, dont l’effet essentiel est de nuire à toute recherche sérieuse de la vérité sur les circonstances de l’enlèvement et de la mort de moines. La douleur de Rina Sherman face à la perte d’un être cher est évidemment sincère et mérite le respect. Mais, qu’elle le veuille ou non, son interprétation tendancieuse de la mort de Didier Contant relève moins de la volonté d’en éclairer les mystères – les raisons d’un suicide sont toujours difficiles, voire impossibles, à élucider – que d’une instrumentalisation qui sert la vulgate falsificatrice construite par le pouvoir algérien pour effacer ses crimes des années 1990. La mise en examen de Jean-Baptiste Rivoire semble conforter momentanément Rina Sherman dans son combat, mais elle n’enlève rien au fait qu’il est inconcevable qu’un professionnel des médias puisse être déstabilisé au point de se suicider par les questionnements légitimes de Rivoire, quant aux méthodes d’un journaliste qui était jusque-là pratiquement inconnu dans la couverture de l’actualité algérienne.
Bref rappel des faits
Dans la nuit du 26 au 27 mars 1996, les sept moines du monastère de Tibhirine étaient enlevés par un groupe d’hommes armés. Un mois plus tard, un communiqué du GIA (Groupe islamique armé, alors dirigé par l’« émir » Djamel Zitouni), adressé au président français Jacques Chirac, revendiquait cet enlèvement et proposait un échange de prisonniers. À la suite de négociations avortées avec des émissaires des services secrets français, le 21 mai 1996, un nouveau communiqué du GIA annonçait l’exécution des otages : « Le président français et son ministère des Affaires étrangères ont annoncé qu’il n’y aurait ni dialogue ni réconciliation avec le GIA. Ainsi, ils ont rompu le processus et nous avons donc coupé la tête des sept moines. »
Dès lors, cette revendication, à l’authenticité invérifiable, tiendra lieu de vérité officielle 6, et cela jusqu’à ce jour, comme le soulignait encore, en septembre 2007, le père Armand Veilleux, procureur général de l’ordre des moines cisterciens trappistes en 1996, envoyé en Algérie par son ordre au lendemain de l’enlèvement : « Le gouvernement algérien ne fit aucune enquête, mais laissa se répandre la “version officielle” selon laquelle les moines auraient été enlevés et assassinés par un groupe du GIA sous la direction de Djamel Zitouni. Le gouvernement français, visiblement embarrassé par cette affaire, mais ne voulant pas compliquer ses relations avec Alger, s’en tint à cette version. Pour quiconque s’est efforcé d’étudier un peu les événements entourant la mort des moines, il devint rapidement évident que la version officielle soulevait plus de questions qu’elle n’apportait de réponse. De nombreux témoignages concordants, dont certains furent donnés au cours de procès reliés aux événements de la guerre civile d’Algérie, révélèrent que le GIA était infiltré par la Sécurité militaire algérienne, avec laquelle travaillait Djamel Zitouni. Diverses informations recueillies en Algérie portèrent rapidement à penser que la Sécurité militaire pouvait bien être impliquée dans cet enlèvement (qui n’aurait sans doute pas dû se terminer tragiquement), et qu’il y avait des chances que les services français en aient été prévenus 7 . »
C’est essentiellement le rôle revendiqué de Djamel Zitouni dans l’enlèvement et l’assassinat des moines qui motiva la plainte du Père Veilleux et de la famille Lebreton en décembre 2003 : selon plusieurs témoignages précis d’officiers algériens dissidents rendus publics au cours des mois précédents, comme ceux du colonel Mohammed Samraoui 8 ou du capitaine Ahmed Chouchane 9, Zitouni aurait été en effet un agent du DRS, ce qui légitimait l’interrogation sur l’implication des services secrets de l’armée algérienne dans le drame de Tibhirine. Mais ce ne sont pas ces témoignages décisifs qui retiendront l’attention de Didier Contant, et moins encore celle de sa compagne dans son livre, qui ne les évoque même pas. C’est un autre témoignage, également mentionné dans la plainte de 2003, qui sera l’objet central de leurs enquêtes : celui du sous-officier du DRS Abdelkader Tigha, qui était au moment des faits en poste dans l’un des plus importants centres du DRS, le CTRI de Blida, et qui a affirmé que l’enlèvement des moines par les GIA avait en réalité été orchestré en sous-main par les chefs du DRS – témoignage publié par le quotidien Libération en décembre 2002 10 et recueilli plus en détail et cité plus tard par Rivoire dans son livre 11 .
Le 27 décembre 2003, Contant avait publié dans Le Figaro Magazine un article (« Enquête au monastère des moines martyrs ») dans lequel il confortait, comme ses confrères de la plupart des grands médias, la version officielle algérienne et française du rôle exclusif des GIA dans l’enlèvement et l’assassinat des moines. Il était au même moment retourné en Algérie afin d’enquêter sur Tigha, dans la perspective, on l’apprendra rapidement, d’invalider son témoignage.
À Blida, Contant interroge Mme Tigha sur son mari, dans des circonstances qui la troublent beaucoup et l’amènent à alerter Amnesty International et des militants européens des droits de l’homme sur cette visite étrange qui pourrait, selon elle, faire partie d’une « machination » contre son mari, alors demandeur d’asile en Hollande. Mme Tigha avait d’abord indiqué que le « journaliste français », qu’elle ne nomme pas et décrit comme « grand et blond », lui a affirmé connaître Abdelkader Tigha pour l’avoir rencontré plusieurs fois dans le cadre de son travail de journaliste. Comme Jean-Baptiste Rivoire était le seul à répondre à ce signalement, certains de ses amis en contact avec Mme Tigha ont alerté celui-ci, le 20 janvier 2004, sur le fait que quelqu’un pourrait se faire passer pour lui dans le but de « piéger » A. Tigha. Rivoire a ensuite appris, par Tigha lui-même, que l’homme « grand et blond » se présentait comme « Didier Contant, du Figaro », un confrère dont il ignorait jusque-là l’existence. Du coup, s’inquiétant légitimement des menaces qui pourraient peser sur la famille de Tigha, qu’il avait longuement interviewé à Amman en octobre 2003 – interview dont des extraits avaient été diffusés sur Canal Plus le 1 er décembre 2003 dans son documentaire Services secrets : révélations sur un « vrai-faux » enlèvement –, Rivoire a cherché à vérifier l’existence de ce fameux « Contant ».
Début février, il contacte les deux rédactions l’ayant supposément fait travailler. Avec un responsable de Gamma, puis du Figaro Magazine, Rivoire évoque les informations qui lui sont parvenues d’Algérie suite à la visite d’un certain « Didier Contant » et de ses accompagnateurs et explique qu’il s’inquiète pour la sécurité de la famille Tigha. Sur l’indication de Jean-Marie Montali, rédacteur en chef du Figaro Magazine, Rivoire retrouve la trace de Didier Contant et le contacte pour lui expliquer l’affaire. Manifestement mal à l’aise, Contant nie dans un premier temps avoir fait partie du groupe ayant visité Mme Tigha. Mais deux jours plus tard, il rappelle Rivoire à plusieurs reprises pour changer de version et reconnaître qu’il est bien allé la voir. À cette occasion, il se plaint du fait que Rivoire ait contacté le Figaro Magazine et exige d’être reçu par son patron à Canal Plus, Paul Moreira.
Le 9 février, l’entretien avec Rivoire et Moreira se déroule courtoisement, mais Contant s’étonne des informations que Rivoire lui communique :
– suite à sa visite à Blida, Mme Tigha s’est inquiétée au point d’alerter Amnesty international à Londres (information que Contant ignorait manifestement et qu’il va dramatiser à outrance, imaginant contre toute vraisemblance qu’une « enquête a été lancée sur lui » par Amnesty) ;
– en Hollande, l’association de défense des droits de l’homme Justitia Universalis, qui est en contact avec Tigha et avec son épouse, prépare des courriers demandant aux gouvernements français et algériens de protéger la famille du témoin Tigha contre toute pression éventuelle ;
– Mohamed Achouri, le confrère algérien qui a guidé Contant lors de son enquête en Algérie, était pour lui simplement « correspondant du journal Liberté à Blida ». Mais, selon Tigha, Achouri serait aussi l’accompagnateur habituel des journalistes étrangers pour le compte du DRS à Blida.
Dans les jours qui suivent cette réunion, Contant apparaît pour ses proches très perturbé psychologiquement. Et, le 15 février, il se suicide.
Tels sont les faits dont prétend traiter le livre de Rina Sherman, où elle en donne une interprétation sélective et fantasmatique, imprégnée d’émotion et de fureur, aux antipodes des règles élémentaires de la rigueur journalistique – celles précisément qu’elle repro che à ses adversaires d’ avoir violées. Au point de mettre gravement en cause l’intégrité professionnelle et l’honnêteté de Jean-Baptiste Rivoire et, au-delà, de tous ceux qui ont contesté, arguments précis à l’appui, les thèses officielles promues par les services algériens et les médias français qui les ont relayées depuis les années 1990.
Une thèse obsessionnelle, martelée sans aucune preuve
Tout le livre de Mme Sherman est en effet structuré autour de l’affirmation d’une thèse obsessionnelle, en quatre points : a) la mort de Didier Contant le 15 février 2004 serait un « suicide maquillé » (p. 151), car « il était soumis à une grande angoisse psychologique en raison des attaques dont il était l’objet » (p. 94) ; b) ces attaques seraient le fruit d’une « machination » (p. 64) de Jean-Baptiste Rivoire et de Paul Moreira (p. 64, 155 et 165) ; c) sa mort serait « liée aux opinions qu’il défendait » (p. 94) : elles auraient contrarié les thèses d’un « lobby » – dont feraient partie les journalistes de Canal Plus – « de ceux qui œuvrent pour le dédouanement des intégristes islamistes » algériens (p. 165) ; d) car Didier Contant aurait « mis le doigt sur le maillon faible de [ce] réseau, le témoignage de Tigha » (p. 186). Ces allégations ne sont « étayées » que par la répétition ad nauseam de la thèse de la « machination », la manipulation des faits avérés et la non-prise en compte de tous ceux qui pourraient l’infirmer.
Affirmant que la mort de Contant serait un « suicide maquillé », l’auteur laisse entendre qu’il aurait pu être assassiné, sans indiquer à aucun moment par qui et pourquoi. Elle procède seulement par insinuations contradictoires : a) en mettant gravement en doute la véracité du témoignage de l’autre « concubine » de Didier Contant, Brigitte B., dans l’appartement de laquelle se trouvait Contant quand il s’est suicidé (p. 77-80), laissant entendre qu’elle aurait pu, lors d’une dispute, le pousser à sauter du balcon (p. 79-80), mais sans approfondir cette « thèse », qui ruinerait tout le reste du livre ; b) en mettant en cause les policiers de la Brigade criminelle chargés de l’enquête sur la mort de Contant, qu’elle accuse d’être « incompétents ou maquilleurs », laissant entendre qu’ils auraient délibérément bâclé leur enquête concluant au suicide (et suite à laquelle l’instruction qui l’avait ordonnée a été « classée sans suite »), mais sans indiquer pour quelle raison ils auraient procédé de la sorte ni ce qu’ils auraient cherché à « maquiller ».
En tout état de cause, ces étranges affirmations, objectivement contradictoires avec la thèse centrale du livre selon laquelle Contant aurait été poussé au suicide par les « attaques dont il était l’objet », semblent avoir surtout pour objectif, sans souci de cohérence ni de véracité, d’entretenir « des doutes sur cette mort fortuite qui arrangeait tout le monde » (préface d’Antoine Sfeir, p. 13) et à conforter l’idée d’un complot autour de cette mort (complot attribué au prétendu « lobby » de ceux qui soutiendraient les « intégristes islamistes »).
Ce faisant, l’auteur minimise – voire écarte soigneusement – tous les autres facteurs qui pourraient expliquer la très grande fragilité psychologique de Didier Contant au moment de sa mort. Elle évoque à peine « une certaine fragilité » (p. 23), « l’échec de sa vie familiale, de son divorce quelques années auparavant, de la négociation difficile de son départ de l’agence Gamma en 2000 » (p. 25) 12, le fait que, deux jours avant sa mort, un témoin avait trouvé Contant « perturbé, agité, comme sous l’emprise d’une drogue » (p. 116), « l’infection à l’œil [qui] aurait été, selon un autre témoin, à l’origine de son état dans les derniers jours de sa vie » (p. 121).
Surtout, R. Sherman cite bien le témoignage d’une avocate amie de Contant, Me Bénédicte Litzler, indiquant que « Didier n’allait pas bien » (p. 182), mais elle omet de relever – point essentiel – que, lors de son dernier entretien avec l’avocate (selon le dossier d’enquête de la Brigade criminelle sur le suicide, auquel Mme Sherman a eu évidemment accès), Contant lui avait dit que, après son entrevue avec Rivoire et Moreira, « il avait compris qu’il avait été entièrement manipulé par l’armée algérienne ». Me Litzler a en effet expliqué aux enquêteurs (le 18 février) que, lors d’un dîner avec Contant le dimanche 8 février, « il défendait la thèse que c’était bien le GIA. […] Il m’avait précisé qu’il s’était fait passer pour un journaliste du Figaro qui poursuivait la première enquête qui avait été faite par ce journal. […] Il était très perturbé de la rumeur qui courait dans la profession sur lui et voulait un avocat pour l’aider. Je lui ai demandé s’il pensait qu’il avait pu être manipulé en Algérie, il m’a dit : “Non, impossible.” Il disait avoir mis le doigt sur une “bombe”. Après le rendez-vous à Canal Plus, le 9, il m’a dit avoir été filmé 13 . Le mardi soir, il était complètement paniqué. […] Cette fois, il a complètement changé de version et m’a dit avoir compris qu’il avait été entièrement manipulé par l’armée algérienne. Il m’a dit qu’en cas de procès, il ne pourrait pas se défendre, car les personnes ne viendraient pas en France. Il a appelé la femme de son journaliste algérien [Mohamed Achouri], mais elle a évoqué une séparation. Il a alors appelé Achouri, qui lui a déclaré qu’il partait pour un mois en vacances et que l’agence locale de Liberté [son journal] serait fermée. Cela lui a mis fortement le doute sur la crédibilité de ce prétendu journaliste. Il a compris à ce moment-là qu’il avait été manipulé ». « Le vendredi, a-t-elle ajouté, il était de plus en plus persuadé d’avoir été manipulé. Le mardi, il m’avait dit : “Tu te rends compte, je ne pourrais jamais supporter la honte.” Le samedi matin, trois appels très angoissés. Il m’a dit avoir appelé un ami policier RG, pour qu’on vienne le chercher, car il y avait une quarantaine de policiers postés devant son logement pour l’arrêter. Il paraissait en plein délire. On se retrouve au Sélect. Il m’a dit avoir été suivi par dix policiers dans le métro. Voyant son délire, je lui ai dit d’aller voir un psychiatre pour avoir un calmant. En me raccompagnant, il a suspecté quelqu’un qui était entré dans un immeuble d’être un policier. Il m’a alors parlé de Rina [Sherman], qu’il avait eu au téléphone et qu’il suspectait également. Il m’a aussi dit qu’il avait passé la nuit chez une certaine Brigitte et qu’en sortant de chez elle, le samedi matin, il avait vu un homme caché dans une voiture qui le surveillait. »
Enfin, R. Sherman ne cite absolument pas le témoignage à la Brigade criminelle de Caroline B., l’ex-épouse de Contant, qui a fait état de la fragilité psychologique de Contant (tentative de suicide en 1979) et de la dispute de ce dernier avec leur fille de quatorze ans le 7 février 2004, huit jours avant sa mort. Et qui avait précisé aux enquêteurs, le 18 février : « La dernière fois, je ne vous ai pas tout dit : le mercredi 11, il est venu me voir très inquiet, il craignait que la DST vienne l’arrêter et qu’il soit entendu par le juge Bruguière. Il m’a aussi parlé des journalistes de Canal, je crois savoir qu’il a appris certaines choses lors de sa discussion avec eux, et que cela remettait en cause son enquête. [Il avait réalisé] que les journalistes qu’il avait suivis en Algérie étaient de faux journalistes policiers. C’est depuis cet entretien qu’il avait très peur. »
Le « maillon faible » du témoignage de Tigha
Rira Sherman présente dans son livre comme des révélations – qu’on aurait donc voulu « étouffer » – les informations recueillies par Didier Contant sur Tigha en Algérie, notamment le fait qu’il aurait « fait l’objet de plusieurs condamnations, pour désertion en 1993 et pour trafic d’influence (voitures) en 1997 » (p. 148). Mais en vérité, loin d’être nouvelle, la mise en cause du « témoin Tigha » avait déjà fait de longue date l’objet de nombreux articles dans la presse algérienne et française. Parmi bien d’autres, on peut citer celui paru dans Le Quotidien d’Oran en décembre 2002, deux jours seulement après la parution du témoignage de Tigha dans Libération dénonçant l’implication de l’armée algérienne dans l’enlèvement des moines : « Certains sous-officiers du DRS, anciens compagnons de Tigha à Blida, se rappellent de Abdelkader : “Il ne pensait qu’aux filles et se faisait passer pour un officier lorsqu’il allait draguer” à la cité universitaire de Blida, explique le lieutenant Mohamed. “Il était violent, assez instable, et insultait tout le temps les chefs en privé”, ajoute-t-il. Selon son dossier administratif, Abdelkader Tigha a été radié pour “faute grave”. Mais selon ses anciens collègues, c’est sa propension à dégainer son pistolet qui a fini par lui créer des problèmes avec sa hiérarchie qui l’a éjecté pour “son comportement de voyou” 14 . »
Et aussi, dès janvier 2003, l’interview dans Le Point du chef d’état-major de l’armée algérienne lui-même, le général-major Mohamed Lamari 15 ; ou encore, en octobre 2003, le documentaire télévisé de Malik Aït-Aoudia et Séverine Labat, Algérie 1988-2000, autopsie d’une tragédie, diffusé sur France 5, qui avait enfoncé le même clou 16 . C’est dire l’absurdité de la thèse de R. Sherman dénonçant un prétendu « lobby » qui aurait cherché à empêcher Contant de s’exprimer, au motif que son enquête allait apporter des « révélations » inédites invalidant les analyses de Rivoire.
De même, R. Sherman insiste sur l’originalité des témoignages recueillis par Contant sur les circonstances de l’enlèvement des moines, notamment celui du gardien du monastère, Mohamed Benali (p. 147), lequel établirait que ce sont bien des hommes du GIA qui ont enlevé des moines. Mais ce point n’est contesté par personne – ce qui est en cause, c’est la manipulation de ces hommes par les services secrets algériens – et la plupart de ces témoignages étaient déjà connus, dont celui du gardien, précisément. D’autant que, contrairement à ce qu’écrit Contant dans son article précité du 27 décembre dans Le Figaro Magazine, Mohamed Benali n’était pas le « seul témoin de l’enlèvement » (p. 45) ; étaient également présents à Tibhirine cette nuit-là : le frère Amédée Noto, Thierry Becker, vicaire général d’Oran, et surtout le frère Jean-Pierre Schumacher, portier du monastère et témoin direct de l’opération (en 1998, Rivoire l’avait d’ailleurs longuement interviewé pour un reportage diffusé à l’époque sur Canal Plus 17). Un autre témoignage, repris ultérieurement à plusieurs reprises par plusieurs journalistes dans le but de discréditer les propos d’Abdelkader Tigha, est celui de Larbi Benmouloud, enlevé à la même période que les moines, qui aurait pu s’échapper des mains de ses ravisseurs et aurait indiqué à la gendarmerie l’endroit où il avait été séquestré avec les trappistes.
C’est donc une construction intellectuelle dénuée de tout fondement à laquelle se livre R. Sherman dans son livre, en affirmant que la « thèse » de Contant sur l’enlèvement des moines aurait été si originale qu’il aurait fait l’objet d’un complot visant à le priver de « son droit à la liberté d’expression » (p. 15). Ce complot serait établi par le fait que « depuis sa mort, aucun journaliste n’a repris sa thèse ». Une assertion parfaitement absurde, puisque cette thèse était, dès 1996, celle du pouvoir algérien et de la majorité des médias français, et qu’elle fait toujours figure de « vérité officielle » à ce jour, quatre ans après la mort de Contant (comme en témoignent la plupart des articles et ouvrages consacrés depuis lors à l’assassinat des moines).
Par ailleurs, R. Sherman insiste beaucoup sur le fait que « Didier n’a en rien harcelé la femme de Tigha » (p. 138), qu’il ne l’« avait pas menacée » (p. 120), imputant cette allégation de « menace » à J.-B. Rivoire. Mais, on l’a vu, ce n’est absolument pas ce qui avait inquiété celui-ci. Il faut donc préciser les faits. Accompagné du journaliste Mohamed Achouri, Contant s’est rendu chez Mme Tigha et l’un et l’autre lui ont posé de nombreuses questions sur son mari, ce qui a troublé celle-ci, laquelle y a vu une menace contre lui, qui était alors dans une situation précaire aux Pays-Bas. Elle a alors informé par téléphone de cette visite inquiétante une responsable du desk Maghreb d’Amnesty International à Londres (afin qu’elle prévienne son mari). Le 16 janvier 2004, cette dernière alerte dans un mail (dont, bizarrement, R. Sherman nie à plusieurs reprises l’existence) l’historienne italienne Anna Bozzo, très impliquée dans la recherche de la vérité sur l’assassinat des moines, en tant que membre du Réseau euroméditerranéen des droits de l’homme : « [Mme Tigha] m’a dit que la raison pour laquelle elle voulait parler à son mari était que mercredi et jeudi de la semaine dernière, il y avait des journalistes qui sont venus la voir à la maison en lui posant des questions sur son mari. Elle avait très peur et ne les a pas laissés rentrer dans la maison ; elle ne savait pas quoi répondre à leurs questions et se demandait si son mari en était au courant. » (C’est par ce mail, que Mme Bozzo lui fait suivre, et par d’autres canaux mobilisés par Abdelkader Tigha, que Rivoire sera informé de la situation, le 20 janvier.)
Tigha confirmera l’épisode de la visite de Contant à sa femme dans un droit de réponse adressé au quotidien Le Monde, en réaction à un article des journalistes Ariane Chemin et Jean-Pierre Tuquoi consacré au suicide de Contant et publié le 26 février 2004 sous le titre « Le mystérieux suicide du photographe qui enquêtait sur l’assassinat des moines de Tibhirine ». Dans ce texte (non publié par le quotidien), Tigha affirme bien, comme le dit R. Sherman (p. 120), que Mme Tigha « ne se sentait donc pas personnellement mise en danger par M. Contant ». Mais le reste du droit de réponse de Tigha – dont R. Sherman dit ne pas avoir eu connaissance (elle explique, p. 121, qu’Ariane Chemin aurait refusé de lui en donner copie) – mérite d’être largement cité, car il confirme complètement les dires de J.-B. Rivoire que conteste R. Sherman (et se révèle même prémonitoire quant à la tentative à venir – selon Tigha – de la part des chefs du DRS, de « présenter [son] témoignage comme faisant partie d’une machination ») : « D’une part, M. Achouri est un habitué des locaux du DRS avec lesquels il collabore ; et, d’autre part, ma femme qui habite dans une HLM où résident des membres du DRS est constamment surveillée par mes anciens collègues. Deux éléments essentiels qui se rajoutent aux types de questions que lui a posées le défunt M. Contant sur des peudo-affaires de droit commun dans lesquelles j’aurais été impliqué. Éléments qui lui ont fait craindre qu’un scénario était en cours de montage pour me présenter comme délinquant et décrédibiliser ainsi mon témoignage. Mais chose que vous ignorez est que M. Contant ne s’est pas contenté de cette piste et a posé des questions à des proches de ma famille et son impression a été de dire : “Vous m’avez impressionné, j’étais induit en erreur.” Aussi M. Contant avait demandé à une personne avec laquelle j’étais en contact de me rencontrer. Mais ma situation en Hollande et les raisons de sécurité y afférentes ne le permettaient pas. Ma femme ne se sentait donc pas personnellement mise en danger par M. Contant, chose que je n’ai jamais affirmée. Mais les circonstances dans lesquels il lui a rendu visite lui faisaient craindre non pas pour elle, mais pour ce qui se préparait pour ma propre personne. Les craintes pour sa vie et celle de nos enfants sont venues quelques jours plus tard, après avoir reçu nombre de menaces anonymes. J’ai tenu informées les associations des droits de l’homme, qui ont tiré des conclusions dont certaines ont été publiées dans votre article. […] Il apparaît d’autre part, comme il est classique dans le traitement de ce genre d’affaire par mes anciens collègues et supérieurs, qu’après avoir échoué dans la tentative de me présenter comme un délinquant de droit commun, on tente de décrédibiliser les militants des associations et ONG des droits de l’homme qui travaillent sur la réalité de l’implication du DRS dans les crimes contre l’humanité ainsi que les journalistes qui enquêtent sur la vérité, tel M. Jean-Baptiste Rivoire de Canal Plus, pour présenter mon témoignage comme faisant partie d’une machination. Chose qui sera démentie au grand jour si une véritable enquête libre est menée et un jugement équitable est ordonné ; j’apporterai alors pour ma part les éléments nécessaires à l’établissement de la vérité. »
Deux mois et demi avant cette mise au point, et avant même d’avoir conduit son enquête sur Tigha, Contant semblait en tout cas déjà convaincu de cette « machination ». En témoignent les nombreux coups de téléphone qu’il a passés dans les jours qui suivirent le dépôt de la plainte, le 9 décembre 2003, de la famille Lebreton et du père Veilleux (quelques jours après l’arrivée aux Pays-Bas de Tigha, en provenance d’Amman). Contant avait enregistré ces conversations, et la Brigade criminelle, lors de l’enquête sur son suicide, les a retranscrites. On découvre ainsi qu’il a appelé l’avocat Patrick Baudouin, le directeur de la communication du ministère de la Défense algérien, le colonel Hocine Chiat, l’archevêque d’Alger, Mgr Henri Teissier, le gardien du monastère, Mohamed Benali, ou encore Chérifa Kheddar, présidente de l’association Djazaïrouna des familles de victimes du terrorisme. À tous ces interlocuteurs, il explique qu’il veut poursuivre son enquête sur l’assassinat des moines, afin de conforter la thèse officielle (à Benali, il parle par exemple de cette « polémique de merde » des « qui tue qui »), et il se focalise surtout sur le témoignage de Tigha, comme dans sa conversation avec Chérifa Kheddar : « Je refais un article sur Tibhirine (après Le Pèlerin), parce que la polémique redémarre en France. Bon, […] c’est encore Libération qui fout la merde avec le même témoin, je sais pas si tu avais suivi, l’année dernière, ils avaient trouvé un témoin… » CK : « Tigha, il s’appelle Tigha.” […] DC : « Alors écoute, Chérifa, ce qui serait très très important pour moi, mais c’est vraiment important parce que je… Comme le mec qui fout la merde, c’est le fameux Tigha, si tu peux me trouver des gens qui disent : “Moi, Tigha, c’est un escroc, il m’a pris de l’argent, etc.”. »
La prétendue « machination » de Jean-Baptiste Rivoire et Paul Moreira
Du contenu de ces conversations, qu’elle connaît nécessairement, R. Sherman ne souffle mot dans son livre. Prétendant en revanche relever des « mensonges » dans les déclarations de J.-B. Rivoire (p. 154), elle en tire argument, sans en apporter – et pour cause – la moindre preuve, et en utilisant un discours juridique qui tranche avec le reste de sa prose, que « Rivoire et Moreira ont, de façon préméditée, exercé des violences sur la personne de Didier Contant, avec la présomption qu’il en résulterait pour lui des conséquences dommageables » (p. 155). Une assertion extrêmement grave, puisque la tonalité générale de l’ouvrage, assez explicitement confirmée par le propos de son préfacier, induit clairement le lecteur à comprendre que ces « conséquences dommageables » ne seraient pas un éventuel discrédit professionnel de Contant, mais… sa mort. Et pourtant, attestant ainsi de la confusion et du manque de rigueur de son analyse, Mme Sherman écrit plus loin, en guise de précaution oratoire : « Personne ne peut raisonnablement affirmer que Rivoire et Moreira ont délibérément cherché à pousser Didier Contant à mettre fin à ses jours » (p. 165).
On retrouve le même discours juridique dans la réfutation par l’auteur du jugement de condamnation, le 28 février 2005, de Jean-François Kahn, directeur de l’hebdomadaire Marianne, déclaré coupable de diffamation contre J.-B. Rivoire pour un article du 8 mars 2004 (où Rivoire était mis en cause dans la mort de Contant, avec les mêmes arguments que R. Sherman dans son livre) 18 . Dans ce passage (p. 165-166), l’auteur affirme qu’« il paraît évident que les deux journalistes de Canal Plus ont agi de concert et de façon préméditée par des moyens condamnables pour nuire à l’honneur et à la dignité professionnelle de Didier Contant, dans le dessein intentionnel de l’empêcher de s’exprimer ».
Outre que cette relation ne correspond aucunement, on l’a vu, à la réalité des contacts entre Contant et les journalistes de Canal Plus dans les jours ayant précédé sa mort, l’auteur laisse entendre ainsi que ces derniers auraient rendu publics les doutes qu’ils avaient exprimés en privé à Contant sur les conditions de son enquête à Blida auprès de la famille Tigha. De même, l’auteur invoque le « Code déontologique de la Société des journalistes professionnels » (sic), « qui prévoit le devoir de tout journaliste de vérifier l’exactitude de ses informations et interdit la déformation délibérée des faits » (p. 155-156), comme si Rivoire et Moreira avaient publié des informations sur Contant, ce qui n’est absolument pas le cas. Rivoire s’est limité à contacter les responsables du Figaro Magazine pour savoir s’il était ou non exact que Contant était « en mission pour eux », comme celui-ci l’avait affirmé quand il enquêtait en Algérie sur la famille Tigha – ce que ces responsables, de leur propre chef et en aucune façon en réponse à une prétendue « pression » de Rivoire, ont tenu à démentir dans un courrier adressé aux autorités algériennes.
Pour étayer sa thèse de la machination, R. Sherman prétend enfin tout aussi faussement que, lors de leur entretien avec Contant le 9 février 2004, Moreira et Rivoire « menacent Didier de le descendre dans une émission sur l’assassinat des moines de Tibhirine, émission qui devait présenter la thèse reposant sur le témoignage de Tigha » (p. 144), alors qu’aucune émission de ce genre n’était en préparation…
Sur le « lobby du “Qui tue qui ?” » et ceux qui « œuvrent pour le dédouanement des intégristes islamistes »
À plusieurs reprises, et sans en apporter – et pour cause – la moindre preuve, l’auteur répète les mêmes accusations mensongères contre J.-B. Rivoire : il « fait depuis longtemps partie de ceux qui cherchent à blanchir l’islamisme de ces crimes » (p. 102) ; il a mené une « campagne d’invectives contre Didier Contant au nom de sa défense acharnée des islamistes algériens depuis bien des années » (p. 159) ; « le directeur de Marianne » reproche à Rivoire cette « volonté systématique de blanchir le terrorisme islamiste » (p. 161) ; etc.
L’idée qu’existerait un tel « lobby » des « séides des intégristes islamistes », dont feraient partie évidemment J.-B. Rivoire et P. Moreira (ainsi que les militants des organisations de défense des droits de l’homme – dont les signataires du présent article – et les rares journalistes ayant dénoncé les bien réelles violations des droits de l’homme en Algérie), est répétée par l’auteur de façon obsessionnelle, pour étayer sa thèse d’un complot qui aurait conduit à la mort de Contant, puis à une omerta médiatique sur cette dernière. Mais elle n’est étayée par aucun élément concret, sinon par un discours confus de « Ahmed, un ami algérien de Paris » (qu’elle ne nomme pas), mettant en cause pêle-mêle Hocine Aït-Ahmed, le président du FFS, Libération, Le Monde, Le Monde diplomatique, Daniel Cohn-Bendit, etc. (p. 98). Plus loin (p. 131-132), elle invoque le même « Ahmed » et un article de L’Humanité pour dénoncer carrément « les forces mondiales qui se voulaient progressistes, pendant la décennie sanglante [en Algérie], [et qui] ont apporté leur soutien à l’intégrisme islamiste et ignoraient les véritables démocrates algériens ». Ailleurs, elle accuse Anna Bozzo d’être « une des pionnières de la cause de l’islamisme algérien » (p. 167), allégation contraire à toute vérité. Ailleurs encore, la prétendue puissance de ce prétendu lobby de « ceux qui épaulent le fanatisme religieux des islamistes » (p. 177) est expliquée par le fait que ses membres seraient « pour la plupart des anciens trotskistes » (p. 172) – sans la moindre preuve encore, tant le trotskisme n’a rien à voir dans cette affaire !
En réalité, il est de notoriété publique que, depuis le coup d’État de janvier 1992 qui marque le début de la « sale guerre » en Algérie, l’immense majorité des médias français ont fait leur la thèse officielle du pouvoir algérien : celle d’une guerre conduite par des militaires « républicains » contre des « intégristes islamistes » fanatiques. Ce n’est qu’à partir des grands massacres de 1997 attribués aux GIA que certains médias (britanniques d’abord) ont commencé à se faire timidement l’écho des interrogations des grandes ONG de défense des droits de l’homme et de quelques militants algériens et européens, qui mettaient en avant des indices sérieux d’une manipulation des groupes armés islamistes par les services secrets de l’armée, le DRS, et réclamaient une commission d’enquête internationale. Dès 1994, mais surtout de 1998 à 2003, plusieurs témoignages d’anciens militaires algériens dissidents ont attesté de l’ampleur de ces manipulations 19 .
Faute de pouvoir réfuter ces informations, le pouvoir algérien a conduit dès 1998 une vaste campagne internationale de désinformation, relayée par de nombreux médias occidentaux – et surtout français –, visant à discréditer les militants des droits de l’homme dénonçant les violations commises aussi bien par les forces de sécurité que par les groupes armés islamistes : contre toute évidence, cette campagne affirmait que ces militants constituaient un « lobby » (dit du « qui tue qui ») visant à « dédouaner les islamistes » – alors qu’ils n’ont jamais manqué de dénoncer les crimes de ces derniers. Et depuis 1998, c’est par milliers que l’on compte les articles de la presse algérienne et des médias français (écrits et audiovisuels) dénonçant le « lobby du qui tue qui », alors que ceux dénonçant les violations des droits de l’homme et les exactions des forces de sécurité sont restés totalement minoritaires.
Mais, toute à son indignation, R. Sherman fait sien ce discours dominant, dont elle semble ignorer qu’il a été élaboré dans les officines du DRS, comme l’avait précisément expliqué dans son livre précité, en septembre 2003, l’officier dissident Mohamed Samraoui 20 : « L’illustration la plus incroyable de [la] politique [de désinformation du DRS] est sans doute l’invention de la “thèse du qui tue qui ?”. Fin 1997, après les atroces massacres de l’Algérois, les militants algériens des droits de l’homme et les ONG internationales de défense des droits de l’homme ont réaffirmé avec force leur revendication, déjà ancienne, d’une commission d’enquête internationale indépendante pour faire la lumière sur les soupçons d’implication des forces de sécurité dans la violence islamiste. Et cette fois, ils ont commencé à être entendus de la “communauté internationale” – au point que le porte-parole du gouvernement américain, James Rubin, déclarera, le 5 janvier 1998, que son gouvernement souhaitait une commission d’enquête internationale pour connaître les commanditaires des massacres 21 . Face à cette menace, le service de propagande du DRS 22 inventera un slogan redoutablement efficace : par l’intermédiaire de ses relais médiatiques, en Algérie et à l’étranger (surtout en France, où il n’en manque pas), il fera savoir que ces ONG et les personnalités qui les soutiennent osent, absurdement, poser la question de “Qui tue qui ?” – formule que les défenseurs des droits de l’homme n’ont pourtant jamais utilisée. Une question systématiquement qualifiée d’“obscène” (terme repris notamment par les philosophes français André Glucksmann et Bernard-Henri Lévy), puisque “tous ces crimes ont été revendiqués par les GIA” – en oubliant bien sûr de vérifier l’existence de ces revendications et, quand elles existaient, leur authenticité. Dans les années qui suivront, et jusqu’à aujourd’hui, tous ceux qui mettront en cause le rôle des forces de sécurité dans les attentats, assassinats et massacres inexpliqués se verront accusés d’être des “partisans de la thèse du qui tue qui ?”.
« Car, il faut le savoir, le service de propagande du DRS et une certaine presse sont chargés de débusquer toutes les velléités de remise en cause du discours officiel. Le moindre doute, la plus timide interrogation sont condamnés comme des “ tentatives d’absoudre les islamistes de leurs crimes”, dans le but de conforter l’interprétation dominante du conflit : la juste lutte des militaires républicains et laïcs contre les “fous de Dieu” terroristes. Une simplification qui justifie tous les crimes, en renvoyant dos à dos dans un manichéisme mystificateur certains des protagonistes du drame et en faisant l’impasse sur d’autres acteurs majeurs, à commencer par le peuple algérien lui-même. »
Un combat dévoyé
Ce sont les termes mêmes de cette campagne mensongère que reprend à son compte, sans aucune distance, Rina Sherman dans son livre. Curieusement, plusieurs passages de celui-ci, dont le style tranche avec ceux où elle s’exprime avec une émotion à l’évidence personnelle et sincère, reprennent presque textuellement des formulations et des pseudo-informations – démenties par toutes les enquêtes sérieuses – qui ont nourri la campagne du pouvoir algérien, tant dans la presse nationale que dans les médias occidentaux. Ainsi, p. 147 : « Il est à noter qu’à cette époque, le FIS se composait de plusieurs groupes, dont des Afghans, vétérans algériens d’orientations diverses, revenus en héros d’Afghanistan, professant des idées rigides sur l’application de la loi islamique, qui se portaient souvent volontaires pour la lutte armée. » Ou encore, p. 149 : « Au vu de ces éléments de l’enquête de Didier Contant, il apparaît que c’est en mettant en évidence les failles d’une éventuelle responsabilité de l’armée algérienne dans la mort des moines qu’il s’est retrouvé, malgré lui, au sein d’un conflit qui fractionne la gauche en France et ailleurs sur la question de l’intégrisme islamique. […] La présente investigation retrace de façon systématique les méthodes employées, non seulement pour innocenter les intégristes extrémistes, mais également pour protéger un fonds de commerce qui fait vivre bon nombre de personnes. »
Présentent les mêmes caractéristiques de nombreux passages (comme p. 173-176) déclinant la même antienne, déjà répétée mille et une fois dans les propos de politiques et d’intellectuels « éradicateurs » algériens : « Il a fallu que les fous de Dieu, auparavant encouragés par l’Amérique, causent la mort en plein cœur de Manhattan pour que le monde prenne enfin conscience du danger. » De même, R. Sherman reprend (p. 177-178) la thèse absurde, souvent avancée par les partisans du pouvoir algérien, selon laquelle une preuve que ceux qui le critiquent épauleraient le « fanatisme religieux des islamistes » serait qu’ils auraient « accueilli des interprétations jusqu’au-boutistes des écrits fondamentaux diffusés par les islamistes pour justifier l’oppression et la terreur infligées aux populations civiles », comme l’« opuscule intitulé Ibn Taymiyya, le statut des moines, […] qui justifie par la religion l’assassinat des moines de Tibhirine ». Alors même que l’historienne Anna Bozzo – pourtant accusée comme on l’a vu par R. Sherman d’être « une des pionnières de la cause de l’islamisme algérien » (p. 167) – a établi que cette brochure, publiée sous pseudonyme, dont elle a démasqué l’auteur, était un élément clé d’une opération de désinformation visant à accréditer la matrice islamiste de l’assassinat des moines 23 .
En reproduisant ainsi sans le moindre recul critique l’essentiel du discours de propagande du pouvoir algérien des années 1990, R. Sherman, qui prétend rechercher la vérité, s’enfonce dans l’attitude même qu’elle reproche à Rivoire et Moreira, à qui elle dénie a priori (« Je ne suis pas de leur monde et ce qu’ils représentent m’est indifférent », p. 82) toute bonne foi et toute légitimité dans leur propre recherche de vérité. Dans la confusion contradictoire des derniers propos de Contant, elle ne retient, en guise de « preuve », que ceux qui relèvent d’une évidente paranoïa, comme ce mail où il écrivait : « Les journalistes de Canal Plus sont des talibans du type : qui n’est pas avec nous et contre nous. […] Ils mènent un combat sacré contre l’Algérie actuelle » (p. 75-76).
Toute à sa croisade aveugle aux faits, Mme Sherman semble enrager de constater que ses thèses complotistes ne sont guère relayées par la presse française, en dehors de l’hebdomadaire Marianne ou de la revue Golias Magazine 24 . « Les partisans du “Qui tue qui ?”, expliquait-elle ainsi le 23 mars 2008 dans le quotidien algérien El-Watan, sont à tous les niveaux et partout. Ni le journal Le Monde, ni Libération, ni le Figaro Magazine, et encore moins Canal Plus n’ont voulu publier l’information. Les journalistes free-lance ne peuvent la médiatiser de peur de perdre leur gagne-pain. Ils sont maintenus dans une situation de précarité qui les laisse à la merci des responsables des rédactions. Ces cinq années de combat m’ont permis de mesurer à quel point le lobby du “Qui tue qui ?” est fort dans les milieux médiatiques français 25 . »
Mais elles ne lui ont pas permis, à l’évidence, de « mesurer à quel point » son ignorance de l’histoire contemporaine de la « Françalgérie » faussait son raisonnement : si la presse française ne répercute plus aujourd’hui au quotidien, comme dans les années 1990, la propagande des « éradicateurs » algériens, ce n’est pas à cause de la « force » du prétendu « lobby du “Qui tue qui ?” » – qui n’a jamais existé que dans l’esprit de ceux qui ont choisi d’ignorer les graves violations des droits de l’homme des forces de sécurité algériennes, justifiées à leurs yeux par le combat contre les « Khmers verts » islamistes. Mais tout simplement parce que cette propagande était devenue secondaire pour le pouvoir algérien (et ses relais d’opinion en France) depuis l’« éradication » effective de ses adversaires islamistes et les attentats du 11 septembre 2001 – comme en a témoigné la spectaculaire mise à l’écart depuis 2004 des supporters politiques « laïcs » et « démocrates » du pouvoir militaire (dont le RCD de Saïd Sadi).
D’où, sans doute, les errements récents de Mme Sherman, qui voit maintenant, sans évidemment la moindre preuve, la main des services secrets français derrière la simple démarche d’un journaliste soucieux de la sécurité de ses sources : « Cela se voit bien que Jean-Baptiste Rivoire était très bien introduit dans les services secrets français et il était informé de ce que va écrire un journaliste avant même de l’avoir écrit, à tel point qu’il monte tout un lobby pour empêcher la publication de l’article en question. C’est pour cela que la thèse que Rivoire est un élément de la DGSE est très plausible 26 . » Et, dans la même veine délirante, Mme Sherman a affirmé quelques jours plus tôt, le 23 mars 2008, à deux quotidiens algériens une chose et son contraire, avec la même conviction. À la question d’ El-Watan « Pensez-vous que [le lobby du “Qui tue qui ?”] reste tout aussi fort qu’avant ? », elle répondait : « J’en suis même convaincue. Je sais maintenant comment ils créent d’une information banale, parfois même pas vérifiée, un événement majeur, avec une lecture unique, impossible à changer 27 . » Et au quotidien Liberté, qui lui demandait « Le lobby du “qui-tue-qui ?” est-il toujours puissant en France ? », elle expliquait : « Moins qu’avant. Il y a notamment François Gèze, le patron des Éditions La Découverte, qui continue par le biais de la plate-forme d’Algeria-Watch de publier des articles de propagande, toujours sans apporter la preuve de ce qu’il avance. Ce qui est extraordinaire, c’est qu’il présente sous forme journalistique des allégations qui ne sont pas accompagnées de preuves ou de travail en profondeur 28 . »
Les lecteurs en jugeront, puisque depuis 1997, tous nos écrits – preuves à l’appui, contrairement à ce qu’affirme R. Sherman – sont effectivement accessibles sur le site d’Algeria-Watch. Pour autant, les drames de la mort des moines et de celle de Didier Contant, ne peuvent être amalgamés ni être compris à l’aune des théories du complot. Et il ne s’agit en aucune façon d’une confrontation de « points de vue » individuels, où l’idéologie primerait sur les faits. L’enquête de la Brigade criminelle ne laisse à cet égard aucun doute sur la réalité du suicide de Didier Contant. Celle relative à l’assassinat des moines de Tibhirine, qui implique bien plus sérieusement la raison d’État, reste à mener.
François Gèze et Salima Mellah, Algeria-Watch
31 mars 2008
Source : http://www.algeria-watch.org/fr/aw/decryptage_falsification.htm
Notes
1 Voir notamment : Jean-Baptiste Rivoire, « Moines de Tibhirine », Le Vrai Journal, Canal Plus, 22 novembre 1998 ; Jean-Baptiste Rivoire, Jean-Paul Billault, Thierry Thuillier et Bruno Girodon, Bentalha, autopsie d’un massacre, documentaire diffusé par la Télévision suisse romande (émission « Temps présent ») le 8 avril 1999, et par France 2 (émission « Envoyé spécial ») le 23 septembre 1999 ; Michel Despratx, Jean-Baptiste Rivoire, Lounis Aggoun et Marina Ladous, Algérie, la grande manipulation, « 90 minutes », Canal Plus, 31 octobre 2000 ; Jean-Baptiste Rivoire et Romain Icard, Attentats de Paris : enquête sur les commanditaires, « 90 minutes », Canal Plus, 4 novembre 2002 ; Jean-Baptiste Rivoire et Guillaume Barathon, La Corruption en Algérie, « 90 minutes », Canal Plus, 3 mars 2003 ; Jean-Baptiste Rivoire, Khalifa, un étrange milliardaire algérien, « 90 minutes », Canal Plus, 3 mars 2003 ; Jean-Baptiste Rivoire, Services secrets : révélations sur un « vrai-faux » enlèvement, « 90 minutes », Canal Plus, 1 er décembre 2003.
2 Lounis Aggoun et Jean-Baptiste Rivoire, Françalgérie, crimes et mensonges d’États, La Découverte, Paris, 2004, p. 474-492.
3 Communiqué cité notamment par le site Prochoix, le 20 mars 2008, <www.prochoix.org/cgi/blog/index.php/2008/03/20/1964-jean-
baptiste-rivoire-mis-en-examen-dans-laffaire-contant>.
4 Rina Sherman, Le Huitième Mort de Tibhirine, Tatamis, Paris, 2007.
5 Yasmine Ferroukhi, « La huitième victime de Tibhirine », Le Matin, 23 février 2004.
6 Voir le dossier d’Algeria-Watch consacré à « L’affaire des moines de Tibhirine » : on y trouvera (à ce jour) quelque 74 articles, datés de 1998 à 2007, de sources très diverses, permettant au lecteur honnête de se faire une opinion (www.algeria-watch.de/fr/article/just/moines/plainte.htm).
7 Armand Veilleux, « Trois affaires ayant quelque chose en commun : Audin, Borrel et Tibhirine », 1 er septembre 2007, www.citeaux.net/wri-av/3affaires.htm .
8 Mohammed Samraoui, Chronique des années de sang. Algérie : comment les services secrets ont manipulé les groupes islamistes, Denoël, Paris, 2003.
9 Ahmed Chouchane, in Habib Souaïdia, Le Procès de « La Sale Guerre », La Découverte, Paris, 2002, p. 162-175.
10 Arnaud Dubus, « Les sept moines de Tibhirine enlevés sur ordre d’Alger », Libération, 23 décembre 2002.
11 Lounis Aggoun et Jean-Baptiste Rivoire, Françalgérie, crimes et mensonges d’États, op. cit ., p. 474-492.
12 Un départ qui semble lié aux pratiques professionnelles discutées de Contant, dont avait témoigné en 1994 un incident qui avait conduit sa direction à le sanctionner, comme le rapporta Le Monde en avril 1994 : « Le directeur de la rédaction et le rédacteur en chef de l’agence de photos Gamma ont fait l’objet d’une “mise à pied conservatoire” à la suite de l’utilisation, dans des avis de recherche diffusés par la police, de plusieurs de ses photos de “casseurs” prises lors de la manifestation anti-CIP du 10 mars, a annoncé le 31 mars la direction générale de Gamma. Selon la direction de l’agence, le directeur de la rédaction, Floris de Bonneville, et le rédacteur en chef, Didier Contant, ont fait preuve “de négligence et d’imprudence”. Les clichés, qui montrent avec netteté des visages de jeunes gens en train de piller une boutique, ont été fournis par l’agence à la revue Liaisons, de la préfecture de police. Ils ont été placardés, pendant quinze jours, dans tous les commissariats de l’Île-de-France. Gamma avait aussitôt protesté contre “cette utilisation non autorisée de photos de cette manifestation”. La préfecture de police a exprimé ses “regrets” à l’agence, estimant avoir fait une “erreur matérielle”. Mais à Gamma, qui n’a pas porté plainte, certains constatent qu’il a fallu les révélations de la presse, notamment de Globe Hebdo du 23 mars, “pour que l’agence réagisse” » (Michel Guerrin, « Des photos de “casseurs” communiquées à la police : sanctions à l’agence Gamma », Le Monde, 2 avril 1994).
13 Ce que démentent absolument Rivoire et Moreira [note des auteurs].
14 Mounir B., « L’adjudant Tigha au rapport. DRS in Bangkok », Le Quotidien d’Oran, 25 décembre 2002.
15 « Je souligne que celui que vous présentez comme un “ cadre” est un sergent-chef déserteur, condamné à deux reprises et sur le coup d’une troisième affaire, plus sérieuse, de vol de véhicule militaire, pour laquelle il risquait gros. Il est parti… » (Jean Guisnel, Interview de Mohamed Lamari, Le Point, 15 janvier 2003).
16 Voir l’interview des auteurs sur le site Proche-Orient.info, où la journaliste leur demande : « Libération a voulu accréditer le fait que l’enlèvement des moines de Tibhirine, dans la nuit du 26 au 27 mars 1996, a été monté par la Sécurité militaire, en collaboration avec les services français, afin de soulever l’opinion contre le GIA. Or, vous, vous apportez la preuve, après avoir notamment recueilli le témoignage de l’émir de Médéa, que les moines ont bien été massacrés par le GIA » (Nicole Leibowitz, « Le film-bombe de Aït-Aoudia et Labat. Autopsie d’une tragédie pulvérise dix ans de désinformation sur l’Algérie », www.proche-orient, 4 octobre 2003).
17 Jean-Baptiste Rivoire, « Moines de Tibhirine », op. cit.
18 Le 18 janvier 2007, la 11 e chambre de la cour d’appel de Paris a partiellement réformé ce jugement et relaxé Jean-François Kahn. La Cour a confirmé que les allégations de J.-F. Kahn contre J.-B. Rivoire étaient bien diffamatoires, qu’il n’avait pu en apporter la preuve, mais qu’il devait être relaxé au bénéfice de la « bonne foi » : au terme d’un raisonnement assez subjectif – puisque les juges ont repris à leur compte la notion de « lobby médiatique », qu’ils s’abstiennent de définir précisément et dont ils n’apportent pas la preuve de l’existence –, la Cour a en effet estimé qu’« il ne peut être fait grief à l’auteur de ce bref article destiné à l’évidence […] à exprimer son opinion sur la force d’un lobby médiatique auquel il est opposé, d’avoir ainsi désigné ledit lobby ou Jean-Baptiste Rivoire comme étant les responsables directs et exclusifs de la mort de leur confrère ».
19 Voir notamment Habib Souaïdia, La Sale Guerre, La Découverte, Paris, 2001 ; et Mohammed Samraoui, Chronique des années de sang, op. cit . Voir aussi : Algeria-Watch, Compilation de témoignages d’officiers et policiers algériens dissidents (1994-2003), www.algeria-watch.org/pdf/pdf_fr/compilation_temoignages.pdf .
20 Mohammed Samraoui, Chronique des années de sang, op. cit ., p. 20-21.
21 Daily Press Briefing released by the Office of the Spokeman, US Department of State, 6 janvier 1998.
22 Pendant toute la « seconde guerre d’Algérie », et jusqu’à ce jour, ce service a joué un rôle majeur de désinformation. Auparavant intitulé « Service de presse et de documentation », il était devenu en janvier 1993 le « Service d’action psychologique », dirigé par le colonel Djillali Meraou, dit « Salah », puis par le sinistre colonel Tahri Zoubir, dit « Hadj » (ce dernier a été remplacé par le colonel Faouzi fin 2001).
23 Voir notamment : Anna Bozzo, communication au séminaire de la BRISMES (British Society for Midle Eastern Studies), « Rethinking Islam », Oxford, 7-9 juillet 1997; Anna Bozzo, « Islam and civil society in Algeria and France in the age of globalisation : the Islamic umma confronted with terrorism », The Journal of North African Studies, 2, 1997, pp. 1-9.
24 Voir Jean-François Soffray, « L’autre enquête sur Tibhirine », Golias Magazine, n° 115, juillet-août 2007. Dans ce dossier consistant, son auteur prétend sans complexe démonter « la thèse officielle sur l’enlèvement et l’assassinat des moines de Tibhirine, selon laquelle c’est le GIA “infiltré” par l’armée algérienne qui en est responsable », alors que, on l’a vu, cette « thèse » peut être qualifiée de toutes les épithètes, sauf d’« officielle ». Restituant une partie des carnets d’enquête de Contant en Algérie en janvier 2004, cette pseudo-contre-enquête se résume en réalité à une analyse (très orientée) de textes – puisque son auteur n’a interrogé aucun des protagonistes qu’il met gravement en cause. Son auteur instruit ainsi un dénigrement systématique des travaux de François Gèze ou de Jean-Baptiste Rivoire, où l’ironie lui tient lieu d’argumentation (« Le DRS, toujours ! »). Et, surtout, des écrits du père Armand Veilleux, qualifiés de « scandaleuse campagne de presse » et de « médiocres calomnies ». Sur ce point, sa démonstration fallacieuse mobilise les « informations » du « trop honnête » Contant pour prouver la prétendue « malhonnêteté » de Veilleux, avec un parfait mépris des faits ne cadrant pas avec sa thèse – toujours le même renversement classique des techniques de désinformation, consistant à attribuer à ses adversaires les méthodes utilisées pour tenter de les détruire. Qualifier de « campagne de presse » deux textes publiés sur le site personnel assez confidentiel du père Veilleux (même s’ils ont pu être repris sur d’autres sites), suffit à attester de l’inanité du dossier de Golias, qu’on a connu autrefois mieux inspiré.
25 Salima Tlemçani, « Rina Sherman, auteur de l’enquête sur les moines de Tibhirine : “Contant a été poussé au suicide” », El-Watan, 23 mars 2008.
26 Mohamed-Cherif Drifi, « Rina Sherman, auteure du livre Le Huitième Mort de Tibhirine : “La DGSE a demandé à Rivoire de recruter Didier Contant” », La Nouvelle République, 29 mars 2008.
27 Salima Tlemçani, « Rina Sherman, auteur de l’enquête sur les moines de Tibhirine : “Contant a été poussé au suicide” », loc. cit .
28 Nissa Hammadi, « La compagne de Didier Contant, Rina Sherman, à Liberté : “Les qui-tue-quistes n’ont aucune preuve de leurs allégations” », Liberté, 23 mars 2008.