Le mystérieux « Ben Laden du Sahara »
Il ne s’agit pas ici de revenir sur tous les aspects de cette manipulation du GSPC par le pouvoir algérien [3], mais sur l’événement en quelque sorte « fondateur » qui marque l’émergence de l’organisation sur la scène médiatique et politique internationale : l’enlèvement et la séquestration en 2003, pendant plusieurs mois, d’une trentaine de touristes européens dans le Sahara algérien. Contrairement à l’auteur d’un récent livre sur « Al-Qaida au Pays du Maghreb » [4], Mathieu Guidère, qui n’évoque pas une seule fois dans ce livre cette prise d’otages, mais attribue ce caractère « fondateur » à deux autres événements (l’attaque d’une caserne en Mauritanie en juin 2005 et la réaction du GSPC à l’enlèvement de deux diplomates algériens en Irak quelques semaines plus tard [5]), nous considérons que l’enlèvement des touristes est un élément clé : il a beaucoup plus frappé les esprits en Occident et a servi de légitimation à la présence américaine dans la région, ce qui en définitive – comme nous le verrons –, était le but recherché par cette action.
En effet, depuis la première enquête que nous avons menée sur cette affaire [6], de nouveaux éléments sont venus confirmer qu’il ne pouvait s’agir que d’une opération organisée de bout en bout par les chefs du DRS, dans le but notamment de conforter leurs intenses efforts diplomatiques pour obtenir de Washington un soutien financier et militaire.
Le maître d’œuvre sur le terrain de cette opération, comme on l’apprendra plus tard, est un certain Abderrazak « El-Para » (dont le vrai patronyme serait Amari Saïfi, et un autre pseudonyme Abou Haïdara), un ancien officier des forces spéciales de l’armée algérienne officiellement passé à la guérilla du GSPC et présenté par la presse algérienne et occidentale comme un « lieutenant de Ben Laden » chargé d’« implanter Al-Qaida dans la région du Sahel » : El-Para aurait rejoint la guérilla islamiste dès 1992 et serait devenu le « numéro deux » du GSPC après sa création en 1998. Pourtant, dans les documents alors présentés sur le site Web du GSPC de l’époque [7], il n’est qu’un émir local. Certes, les touristes enlevés ont bien reconnu parmi leurs ravisseurs celui qui est désigné officiellement comme « El-Para » ; mais celui-ci ne s’est jamais présenté sous son nom et ses hommes le désignaient comme l’« émir ». L’opinion publique ne connaissait pas son physique, les touristes l’ont identifié après l’enlèvement et l’état-major de l’armée algérienne, ancien employeur d’El-Para, a affirmé qu’il était celui qui agissait pour le compte du GSPC, lequel n’a pourtant jamais revendiqué cet enlèvement.
C’est cet imbroglio que je vais tenter d’éclairer ici, en reconstituant aussi précisément que possible la chronologie des événements, grâce à toutes les sources disponibles et aux entretiens que j’ai pu avoir avec certains des otages dans les années qui ont suivi leur libération.