En ce mois sacré du Ramadhan, – le mois par excellence de la miséricorde divine -, il a paru utile et constructif, au vieil ami que je fus pour vous, de vous adresser cette lettre ouverte, dans l’intérêt exclusif de la patrie. Car, si comme je le crois, je vous connais suffisamment bien pour témoigner en toute objectivité, de votre grande ferveur pour cette patrie, vous m’accorderez en retour, que je partage cette même ferveur, tout comme d’ailleurs n’importe quel citoyen algérien digne de ce nom. C’est donc dans cet esprit, c’est-à-dire au nom de ce patriotisme partagé que je m’adresse à vous, en votre qualité de Président de la République.
Les plus « jeunes » parmi l’effectif des moudjahidine vivants, de la Guerre de Libération Nationale, ont atteint aujourd’hui – en cette fin 2007 – un âge minimum de 65 / 70 ans, âge vénérable où, dans nos sociétés musulmanes en particulier, l’on se prépare à comparaître devant son Créateur, portant chacun, le poids de ses propres actes. Terrible rendez-vous s’il en est, définitif et sans lendemain, dont l’unique issue est l’Eternité. Dans la béatitude ou dans l’expiation.
Il y a un Hadith de notre Prophète, – Le salut soit sur Lui -, qui dit en substance que jusqu’aux derniers moments de sa vie, l’homme a la faculté de se racheter in extremis, ou bien de se perdre. Ce que je veux dire par là, c’est ceci: Bien que vous n’ayez pas réussi – et c’est mon opinion toute personnelle -, au bout de plus de huit années d’un pouvoir sans partage, à mettre l’Algérie sur les rails de la démocratie, de la bonne gouvernance et de la justice, il est encore temps pour vous, d’accomplir en quelques semaines, en quelques mois – Dieu vous prêtera vie – des Actes politiques et historiques décisifs, qui pourront avoir une portée considérable pour l’avenir d’un Peuple et d’un pays qui ont tant souffert. Actes qui vous vaudront ici-bas, la reconnaissance des hommes et dans l’Au-delà, votre Salut.
On dit que la politique est l’art du possible. C’est aussi l’art de réparer. De réparer les erreurs, les fautes ou les oublis. Ceux des autres et surtout ceux de soi-même…..Rien n’est plus blâmable que la persévérance dans l’erreur, ainsi que le rappelle le Saint Coran à la fin de la Sourate de la Caverne.
Je vous rappelle – bien que vous soyez beaucoup mieux placé que moi pour en connaître – que la Constitution vous donne juridiquement toutes les prérogatives pour accomplir tous Actes légitimes de sauvegarde nationale que vous jugeriez utiles – que ces Actes fussent d’ordre institutionnel ou politique, administratif ou judiciaire, économiques ou financiers -, pour le Salut du pays.
Ainsi, au lieu de chercher à confectionner un texte constitutionnel de plus, accordant des pouvoirs quasi pharaoniques à votre personne ou à ceux qui vous succèderont inexorablement un jour ou l’autre à la tête de l’Etat, ne pensez-vous pas qu’il est plus urgent et plus juste – près d’un demi siècle après l’Indépendance – de restituer à ce bon Peuple algérien, sa légitime liberté de décider souverainement de son destin, en mettant loyalement en place des Institutions démocratiques authentiques « …qui survivront aux hommes » ainsi que vous et vos compagnons du 19 Juin 1965 en aviez pris l’engagement solennel ? Saisissez donc l’opportunité qui vous est offerte par la Providence – de par votre position de Chef de l’Etat -, pour entrer dans l’Histoire par le grand portail, au lieu de vous laisser piéger dans les sinistres carcans des luttes subalternes des différents clans d’une classe politique sans enracinement dans la société, tant il est vrai qu’elle constitue une pure création adultérine du système. Une classe politique au demeurant totalement discréditée dans son ensemble, tant qu’elle a surabondamment donné la preuve – jusqu’aux plus hauts échelons du pouvoir -, de son incompétence, de sa corruption, de son incivisme. Une classe politique dégénérée donc, que votre devoir envers Dieu et envers la Nation vous commande de renouveler par une politique volontariste et audacieuse de changement de génération.
L’Algérie dispose de milliers d’universitaires et de cadres de standard international: médecins, ingénieurs, juristes, économistes ou chercheurs émérites dans les disciplines scientifiques et technologiques, les plus variées. La majorité d’entre eux sont marginalisés et sous payés, quand ils ne sont pas contraints à l’exil et exploités dans de lointains pays, pendant qu’un grand nombre de quasi analphabètes et d’opportunistes de tous horizons battent le haut du pavé dans une société où l’argent et la dépravation, l’ignorance et l’incivisme ont submergé tous les repères traditionnels de la morale, de la culture et du nationalisme. Au point que notre société qui a su résister près d’un siècle et demi durant, aux assauts de l’acculturation, de l’assimilation, voire de l’évangélisation se retrouve aujourd’hui – en l’absence d’une autorité publique forte et moralement crédible -, livrée aux discours dévastateurs de deux intégrismes également adventices dans notre société: d’une part, celui d’un islamisme politique aventuriste ou opportuniste selon le cas, qui a été souvent manipulé et instrumentalisé d’une manière criminelle comme on l’a vu durant la décennie noire; d’autre part, celui du néo collaborationnisme d’une minorité de déracinés pseudo élitistes, au sein de laquelle les uns se sont improvisés publiquement en porte parole des intérêts de l’hégémonisme occidental voire du sionisme, tandis que d’autres ayant revêtu la soutane de prêtres de cette nouvelle religion qui s’intitule tantôt « laïcité », tantôt « modernité », s’autorisent aujourd’hui impunément, à diffamer et à remettre en cause les valeurs fondamentales qui participent de l’identité même de la Nation quand ils ne complotent pas ouvertement, en Algérie ou à l’étranger, contre l’unité-même de cette Nation.
Il n’est que grand temps de réagir Monsieur le Président, en donnant à ce Peuple l’opportunité de réaffirmer avec force et par les urnes, son identité profonde et de l’opposer en tant que de besoin à la face du monde et en tout état de cause, à la face de ses ennemis. Des ennemis souvent stipendiés de l’étranger et constitués en groupuscules de déracinés, qui prétendent aujourd’hui dicter leur loi à tout un Peuple.
Voici à titre purement indicatif, les Actes les plus urgents qui pourraient être envisagés:
– Dissolution de l’Assemblée Populaire Nationale;
– Gel de tous les partis politiques, y compris le FLN;
– Proclamation et installation sous vos auspices, d’un Comité de Salut National composé de dignitaires intègres, civils et militaires de juristes éminents et de technocrates. Le Comité National comprendra une vingtaine de membres tout au plus et la plus large place sera faite en son sein, à la génération qui prendra le relais. Ce Comité, vous le dirigeriez vous-même, assisté par un vice-président qui sera pleinement saisi de toutes les prérogatives de Chef d’Etat, en tant que de besoin; Le Comité de Salut National sera pleinement dépositaire de la Souveraineté nationale. Souveraineté qui sera immédiatement transférée à l’Assemblée Nationale Constituante, dés sa validation. Le Comité de Salut National légiférera par Ordonnances promulguées par vous-même, jusqu’à l’entrée en vigueur de la Nouvelle Constitution.
– Désignation d’un Gouvernement de Salut National formé de technocrates à l’intégrité et à la compétence reconnues, gouvernement chargé de gérer les affaires du pays, en particulier la préparation et l’organisation des élections.
– Elaboration d’un calendrier précis des actions gouvernementales sur une période maximale de deux ans, couronnée par l’organisation des élections nationales pour la mise en place d’une Assemblée Constituante, véritable émanation du Peuple souverain, chargée de doter le pays d’une Constitution authentiquement « démocratique et sociale, dans le respect des principes islamiques », ainsi qu’il a été indiqué dans la Déclaration du 1er Novembre 1954.
Mon souhait immédiat est que vous fassiez tout ce qui est en votre pouvoir, pour éviter à ce pays meurtri, de s’empêtrer davantage sous les fourches caudines d’une oligarchie aux aguets de toutes les opportunités. Une oligarchie sans âme et sans état d’âme, qui n’a plus aujourd’hui pour Dieu qu’elle-même, l’argent et le pouvoir pour le pouvoir.
Quant à mon vœu ultime, c’est celui d’être entendu, ce qui m’exonérera d’avoir à exciper de cette lettre, lorsque nous comparaîtrons tous deux demain, devant Le Juge Suprême !
Abdelkader Dehbi
14 septembre 2007