J’ai envie, pour vous répondre, de donner la parole à l’un des militants algériens des droits de l’homme que je respecte tout particulièrement . Interrogé récemment sur ces élections législatives du jeudi 16 mai 2007, Salah Eddin Sidhoum avait répondu: « De quelles élections et de quelles institutions parlez-vous? (…) Les élections truquées et manipulées de bout en bout depuis l’indépendance ne pouvaient et ne pourront jamais résoudre la grave crise politique que connaît notre pays (…): l’exercice de la politique, au sens noble du terme, est impossible au sein d’ institutions factices. »
Il faut en effet rappeler la caractéristique structurelle du système politique algérien, plus ou moins commune d’ailleurs à d’autres pays voisins: le pouvoir n’est pas à prendre par les urnes, pas plus présidentielles que législatives. Le système institutionnel est à bien des égards un système « cosmétique », largement « factice ». D’abord parce que, hormis lors du référendum sur l’ indépendance puis, en 1990 et 1991, lors de la double victoire du Front islamique de salut (FIS), les humeurs des électeurs n’ont pas grand-chose à voir avec le décompte des bulletins. Pas plus après l’indépendance qu’avant!
Ensuite, en plus de cette limite structurelle, il faut rappeler que les forces politiques reconnues par le régime n’englobent aucunement les forces réelles. Le courant central de l’opposition islamiste est toujours banni, ce qui est un facteur important du déséquilibre de la représentation. Les formations autorisées ont pour leur part payé le prix très élevé d’un compromis avec les détenteurs du pouvoir. Enfin et surtout, il faut savoir que ni l’Assemblée nationale (simple chambre d’enregistrement) ni même le président de la République ne sont les véritables détenteurs du pouvoir.
Depuis la mort du président Boumediene en 1978, la présidence de la République n’est plus qu’une façade derrière laquelle agissent, dans le plus parfait mépris des institutions, divers clans de l’armée. Leurs méthodes sont avant tout celles des services secrets. Ces véritables décideurs sont ainsi tout particulièrement à l’abri des humeurs de l’électorat. Un scrutin comme celui de ce jour n’a donc aucunement vocation à redistribuer, même partiellement, le pouvoir entre les familles politiques. En forçant à peine le trait, on peut dire qu’il sert seulement à désigner ceux que le pouvoir militaire entend récompenser par quelque prébende en les invitant à jouer avec lui, devant des caméras des télévisions occidentales particulièrement complaisantes, la comédie de la démocratie pluraliste.
Les attentats d’Alger vont ils peser sur le scrutin?
Non, je ne pense pas. Ou de façon très particulière. Car toute la lumière n’a pas été faite sur ces attentats. Il faut rappeler les déclarations –curieusement peu médiatisées- du ministre algérien de l’Intérieur, dont le moins que l’on puisse dire est qu’il est particulièrement bien informé sur ces actions qui le visaient personnellement.
Yazid Zerhouni a pris le parti de ne pas cautionner l’hypothèse Al-Qaeda. Il a déclaré que ces attentats étaient selon lui « l’une des dernières manifestations de gens ne voulant pas que l’État fonctionne normalement ». Et d’ajouter, pour bien éclairer le sens de sa remarque qu' »il y a peut-être d’autres intérêts, d’un autre type, que politico-religieux ». Dans cette hypothèse (2), ces attentats ne seraient donc qu’un épisode de plus de la vieille lutte entre les clans de l’armée par le biais d’un groupe (le GSPC) dont de nombreux experts considèrent qu’il est (à l’instar des Groupes islamiques armés -GIA- dont il a pris la suite) très largement infiltré par les services secrets.
Al-Qaeda a appelé au boycott des législatives, via une vidéo diffusée sur la chaîne Al Jazeera. Cela peut-il favoriser l’abstention?
Non, je ne considère pas les déclarations plus ou moins authentifiées d’Al-Qaeda comme des paramètres sérieux. L’abstention …n’a pas besoin d’Al-Qaeda! Selon une vieille recette, le régime brandira sans doute un taux de participation largement manipulé comme une preuve supplémentaire qu’il a le « soutien de la population contre les terroristes ». C’est une rhétorique qu’il emploie depuis seize années maintenant… Il est vrai qu’il aurait tort de s’en priver puisqu’il se trouve encore de nombreux commentateurs étrangers pour la prendre au sérieux… C’est le « nous ou le chaos intégriste » qui sert un peu partout à ceux que je désigne comme les « Pinochets arabes » (1) à se maintenir au pouvoir depuis si longtemps, envers et contre toute manifestation de la volonté populaire de leurs concitoyens.
Al Jazeera a diffusé une première vidéo montrant les préparatifs des attentats à Alger à une semaine du scrutin, puis une seconde cette semaine. Quel est le sens de ces messages?
Il est difficile de faire une réponse péremptoire. Il est impossible en effet d’écarter l’idée qu’il existe réellement des groupes armés affiliés plus ou moins structurellement à la mouvance Al-Qaeda ou en ayant adopté les repères idéologiques et tactiques. Toute la complexité de la situation dans un certain nombre de pays arabes vient du fait que les extrêmes (régimes autoritaires et révolutionnaires islamistes) ont des intérêts conjoncturellement convergents. L’absolutisme répressif de ces régimes fabrique et crédibilise cette génération qui ne croit plus aux urnes et leur préfère le recours à l' »action directe ». Mais ces « Pinochets arabes » ne redoutent pas ces actions violentes faciles à discréditer : ils s’en servent pour « benladeniser » tous leurs opposants, modérés inclus, et obtenir le soutien de l’environnement occidental pour reproduire leur formule politique mortifère. C’est dans cette impasse là que de telles « élections » sont en train d’enfermer cette « Union méditerranéenne » que le nouveau président français a appelé de ses voeux.
(1) L’islamisme à l’heure d’Al-Qaeda: réislamisation, modernisation, radicalisations (La Découverte, 2005)
(2) François Geze et Salima Mellah (Algeria Watch)
Source: Rue89