L’armée, confisquée par une certaine cabale militariste, est-elle «le bras armé de la nation», comme prétend le «mokh» éradicateur, ou est-elle le couteau à la gorge de la nation ? Est-elle le «bouclier» de la nation, ou est-elle le poignard dans son dos ? Est-elle «au service de l’Etat algérien, républicain, souverain», comme avance le «mokh» du crime contre son peuple, ou est-elle au service d’une junte algérienne, mameloukienne, inféodée à une puissance étrangère et au FMI ?
C’est dire combien le confusionnisme est le propre du langage du général Djouadi en «mission de communication». Quand ce terroriste d’Etat largue le mot d'ordre de «fédérer la société contre le terrorisme», les termes «société» et «terrorisme» ne réfèrent pas à leurs sens universels mais à des conceptions bien casernées.
La société politique, dans l’esprit de la gradaille éradicatrice, c’est les ministres, wali ou diplomates clientélistes et caudataires, c’est les chefs de partis préfabriqués se revendiquant de la démocratie, la modernité, le nationalisme ou la religion qui font la danse du ventre sur des estrades balisées aux lignes rouges, c’est les députés ou sénateurs ignares et prédateurs mais surtout au garde-à-vous, miracle des zerdat militaro-électorales oblige, etc.
L’«autre» société politique – celle incluant les hommes et fonctionnaires d’Etat intègres et sans mécène ou chikour militaire, les hommes politiques qui ne frappent jamais aux portes des casernes pour telle réforme, ou tel ordre du jour, intérêt ou privilège politiques, ainsi que les partis politiques dont les ancrages dans la société sont robustes et dont la conception de la politique, des relations civil-militaires et de l’intérêt national ne coïncident pas avec cette grande imposture carnavalesque –, les putschistes comme Djouadi attribuent à une bonne partie d’entre elle la «subversion», la complicité avec les forces ennemies de l’Algérie, le «travail de sape» du pays, ou le «terrorisme». Et ils marginalisent ces forces, les réduisent au silence, les emprisonnent, les poussent à l’exil, ou les assassinent.
La société civile, dans le discours du gang janviériste, c’est le CNSA, les organisations syndicales, professionnelles, estudiantines, culturelles, religieuses, féminines ou sociales dont les représentants sont salariés à la DRS et qu’on ameute pour faciliter tel coup d’Etat, mâter tel magistrat, déboulonner tel général, ou intoxiquer telle délégation, c’est aussi les organismes ennemis des droits de l’homme de Miloud Brahimi et Rezzag Bara, sans oublier les brigades de journalistes syndiqués à la DRS, la valetaille de feuillistes devenus lèche-bottes après avoir raté le bateau pour l’Australie, ainsi que les journaux dit «indépendants» et «privés» même s’il crève les yeux qu’ils ressemblent à des phalanges aux ordres de tel clan, telle officine, ou tel général.
L’«autre» société civile – celle incluant les animateurs et organismes syndicaux, professionnels, estudiantins, scientifiques, culturels, religieux voulant promouvoir leurs objectifs associatifs en dehors de la tutelle ou la domination des généraux, les associations féminines, sociales, caritatives, ou de droits l’homme dont les représentants tentent de prendre en charge les problèmes posés sans consulter les caporaux responsables de la contre-organisation, ainsi que les nombreux journalistes consciencieux et reporters intègres qui ont toujours refusé de manger le pain des plumitifs d’officines –, les putschistes comme Djouadi imputent à une bonne partie d’entre elle la complicité avec la «subversion», «la trahison», ou le «terrorisme». Et ils immobilisent, harcèlent, ou marginalisent ces éléments de la société ; ils les réduisent au silence, les interdisent, les emprisonnent, les poussent à l’exil, ou les assassinent.
Ainsi ce que Djouadi assimile à la «société» ressemble beaucoup à une contre-société, et ce qu’il assimile à l’ANP ressemble beaucoup à une contre-ANP. Son mot d’ordre pour fédérer les deux ressemble beaucoup à un appel semblable qu’il a fait un certain janvier 1992.
On aurait pensé, qu’a neuf années d’intervalle entre ces deux appels, le «mokh» de l'école d'état-major de Paris aurait appris quelque chose du bilan de la coalition contre-Algérie : 200 000 morts, des dizaines de milliers de prisonniers politiques et presque autant de torturés, 17 000 disparus, un milllion de citoyens deplacés à l’intérieur, des centaines de milliers d’exilés, la terreur, les larmes et le deuil au quotidien, $ 7.6 milliards déboursés pour financer la répression, $ 12.4 milliards de dommages, le licenciement de plus de 700 000 travailleurs mais recrutement de plus de 500 000 miliciens, l’aggravation de la dette, la destruction continue du parc industriel productif, la prolifération de l’import-import digne des comptoirs coloniaux et des bazars, la mise en solde du pétrole/gaz, la démocratisation de la corruption, l’éradication de la classe moyenne, plus de 13 millions d’Algériens vivant au dessous du seuil de pauvreté, des images insoutenables d’Algériens qui souffrent de malnutrition, de faim ou qui se nourrissent des poubelles, la détérioration des services médicaux conduisant à l’aggravation des taux de morbidité et de mortalité nationaux et au retour des épidémies de la pauvreté, une demande de plus de 4 millions de logements pour moins de 100 000 construits par an, la dégradation de l’enseignement avec accroissement des déperditions scolaires et recrudescence de l’analphabétisme, ainsi qu’une exacerbation des maux sociaux : tensions sociales, divorces, suicides, mendicité, prostitution, toxicomanie, etc.
Mais le «mokh» de l'école d'état-major de Paris appelle ce bilan effroyable un «succès militaire» suite à une «bataille qui n’a été menée que par un sentiment élevé du devoir.» Ce que les moins «mokh» de la gradaille éradicatrice, ceux de la DRS et du CCLAS en particulier, pensent de ce bilan est encore plus facile à imaginer : «Bravo 555» ! «habatnaha lel-oued» !
Le «mokh» de l'école d'état-major de Paris a choisi la guerre un janvier 1992, même si l'école de l'histoire de l'Algérie enseigne que «celui qui est sûr de sa victoire, ne commence jamais une guerre», que «rien n'est aussi plein de victoire que la patience», et que «si la force militaire gagne des batailles, seule la force spirituelle gagne les guerres.»
Djouadi et les putschistes éradicateurs peuvent emprisonner, torturer, faire disparaître, massacrer, voler, paupériser, tromper et trahir des algériens. Mais ils ne pourront jamais asservir l'Algérie.
C'est elle qui remue encore dans les coeurs et les esprits, c'est elle qui rappelle qu'un sacrifice aujourd’hui n'est rien devant une nation asservie demain, c'est elle qui inspire ce mouvement lent mais fort pour la vérité, c'est elle qui demain fédérera les forces saines de la société et de l'ANP contre les putschistes éradicateurs.
Younès Bounab
1 avril 2001
Notes :
[1] Mohamed Harbi, ‘Une Exigence: la transparence’, Confluences Méditerranée, L’Harmattan, Paris 1998, p. 155.
[2] A. Brahimi, Impact International, November 1998, p. 28.
[3] D. Priest, The Washington Post, 12 November 1998; Le Monde, 26 Mars 1997.
[4] K. Nezzar, Mémoires du général Nezzar, Editions Chihab, Alger 1999, p. 268.
[5] Ce chiffre est avancé par Le Jeune Indépendant du 17 Décembre 2000.
[6] Ce chiffre est avancé par le MAOL. Voir communiqué du 29 Mars 01, site www.anp.org.