Ouf ! La République a réussi à conjurer la cybermenace qu’un intégriste musulman faisait planer sur le nouveau fleuron de notre philosophie nationale ! Félicitons-nous sans réserve de cette victoire primordiale.
Certes, ils ont été bien discrets ceux qui ont pris le temps de noter que les « canons » de la philosophie du professeur Redeker, s’ils avaient pris pour cible une autre des religions de l’Hexagone (ce qui aurait pu donner : « Le judaïsme installe la paralysie de l’intelligence au plus intime de chaque Juif », ou « La haine et la violence habitent le livre dans lequel tout Juif est éduqué ») auraient réduit en peu de temps la « liberté d’expression » de leur auteur. Mais l’essentiel était bien de dénoncer et de conjurer l’intolérable menace.
Comment multiplier maintenant d’aussi belles victoires ? En veillant peut-être à ce que la protection de la liberté d’expression des uns ne s’accommode jamais du retrait définitif de la liberté de vivre des autres. Pendant que dans nos studios de la pensée le ban et l’arrière-ban de la philosophie cathodique bouillonnent du soutien aux quelques « courageux intellectuels » qui, de Khalida Messaoudi à Robert Redeker, « résistent » magnifiquement aux « menaces des intégristes », en quelques semaines seulement, pour la 296e fois – ou plus, il devient difficile de tenir les comptes –, un « intégriste » du Hamas palestinien, l’un de ses proches, ou l’une de ses voisines, ou quelqu’un qui passait par là, ont à jamais perdu le droit de s’exprimer ! À défaut de menaces, ils ont reçu l’un de ces missiles ou l’un de ces obus tout à fait mortels que lance l’armée israélienne sur les détenus de la grande prison de Gaza, ces insolents qui ont osé lui contester son monopole absolu du droit de faire des prisonniers.
Point de ces matinales de Radio France ou de ces plateaux de France Télévision pour seulement dire – dans toute son horreur – cette violence-là. Il vaut mieux garder le temps d’antenne pour que nos « nouveaux philosophes » puissent pleurer quotidiennement « leur liberté d’expression menacée ».
François Burgat
15 novembre 2006