En butte à l’arbitraire
Ce n’est pas la première fois que le pays s’embrase. L’année 1988 avait vu la fin du parti unique et l’instauration du multipartisme, l’ouverture des médias et la manifestation de l’espoir. Celui-ci a été ruiné. Après 1992, le « péril islamiste », réel, a été l’alibi des exactions légales et des répressions systématiques pour combien de milliers de morts et de « disparus » ? Le « Printemps noir » kabyle de 2001-2002 a été cruellement réprimé.Tous les Algériens sont aujourd’hui, d’une manière ou d’une autre, en butte à l’arbitraire. Combien de dinars faut-il pour vivre décemment ? Combien de dinars faut-il pour parler (à peu près) librement ? Combien de dinars faut-il pour faire taire, combien de policiers ou de militaires ? Quand un wali (préfet) détourne des fonds destinés à la création d’une université dans le sud (il n’y en a aucune), c’est celui qui dénonce la spoliation qui va en prison. La jeunesse algérienne a besoin de solidarité internationale. Elle a besoin de savoir qu’on soutient son combat. Elle a besoin de liberté. Elle ne cherche pas un avenir qui lui serait offert mais un avenir qui lui soit permis. La médiocratie et la gérontocratie lui ferment toutes les portes. A désespérer sa jeunesse par goût pour les prébendes et bénéfices personnels, par soif du pouvoir et des positions acquises, on attise l’extrémisme qu’on prétend combattre. Quand les bureaux de vote sont manifestement vides, les urnes, paradoxalement, sont pleines. Au-dessus du volcan, rien ne bouge. Les manifestations violentes sont réprimées, les manifestations pacifiques interdites, les casseurs prépayés, selon une stratégie bien huilée. La police occupe la rue, l’armée veille. Il y a longtemps que les Algériens ne sont plus fiers de leur passeport, comme ils l’ont été au lendemain de l’indépendance. Abdelaziz Bouteflika, déjà ministre de la jeunesse et du tourisme en 1962, est aux affaires étrangères, de 1963 à 1978. Avec les « hommes forts » du régime, il est toujours aux affaires, et aux commandes, puisque cela fait douze ans qu’il tient la présidence. La « communauté internationale » des Etats est bien trop souvent encline à soutenir la stabilité des régimes, fussent-ils iniques, plutôt que l’alternance démocratique. La France ne fait pas exception. Dans la conjoncture nouvelle qui se fait jour en Algérie, avec la mobilisation des militants des droits de l’homme et des syndicats autonomes, il est de notre devoir de soutenir ces mouvements démocratiques et d’affirmer haut et fort qu’il n’y a pas de démocratie sans liberté ni égalité, autrement dit sans respect ni justice.
Lahouari Addi, universitaire
Zineb Ali-Benali, universitaire
Kader Attia, artiste
Fethi Benslama, psychanalyste
Alain Brossat, philosophe
Alice Cherki, psychanalyste
Nabile Farès, psychanalyste
François Gèze, éditeur
Olivier Le Cour Grandmaison, universitaire
Seloua Luste Boulbina, philosophe
Nourredine Saadi, écrivain
Paru dans Le Monde du 11 février 2011