Seulement en regardant le monde jusqu’à nos jours dominé par l’économie libérale, conçue à la base sur la création des richesses, qu’en t-il d’un Etat construit sur la rente et d’une classe spéculative non basée sur le travail ?
C’est elle qui prétend transférer l’économie rentière en une économie de marché et déterminer le jeu démocratique pour jeter les bases d’une démocratie libérale à l’algérienne. Cette formation politique, de genre bureauctratico-militaire, contribue à la reformulation de la conception politique de l’Etat et représente la période transitoire d’un système à l’autre. ‘’La politique de transition’’ a fait l’essence même de la construction étatique en Algérie. Dés sa genèse, nous l’avons bien constaté, la formation des instituons édifiées inopinément et dans la précipitation, attendant le jour promis pour se reconstruire sur les bases démocratiques. Nous avons vu comment nous sommes revenus à la légalité constitutionnelle après presque une dizaine d’années, depuis la prise du pouvoir de Boumediene jusqu’à l’élaboration de la charte de 1976; et comment, depuis presque deux décennie, nous vivons sous des institutions fictives n’ayant rien à avoir avec la représentation populaire. Nous n’avons qu’à regarder les taux d’abstention à l’occasion des concertations nationales où les individus boudent en masse les élections, où les haraga continuent leur désobéissance civile et les islamistes leurs déchirement et leur repli sur soi. Le modèle étatique algérien regroupe deux éléments contradictoires : les principes d’une démocratie moderne et un archaïsme occulte. Elle relève d’un dualisme manichéen représentatif de ce que le philosophe D. Hume a voulu transmettre en décrivant l’ensemble de l’être. Généralement quand j’essaye de m’approfondir dans ce que j’appelle le moi, écrit-il, « je m’affronte à différentes sensations et des multiples contradictions, le mal et le bien, la haine et la passion, le calme et la tension, la chaleur et la froideur etc.… mais la cohérence des perceptions produit d’abord la supposition de leur existence, continue par la nécessité où se trouve l’esprit de les maintenir dans leur dépendance mutuelle ». Cette image renvoyée métaphoriquement au processus de formation de la personne humaine, n’est-elle pas également valable pour la formation de l’Etat ?
En Algérie, cette forme bicéphale, dichotomique, opposant amour et haine, audace et réticence, progression et régression, n’a-t-elle pas engendré dictature et liberté ? Une mainmise hégémonique tenant les rouages de l’Etat d’une part, et une aspiration à une démocratie porteuse de liberté chez la société de l’autre. Il faut regarder ce que dit la charte nationale concernant l’Algérie : « un pays arabe, musulman, africain, maghrébin, du tiers monde et non aligné, mais c’est un pays méditerranéen, berbère, partiellement francophone, industriel et agricole, riche et pauvre, développé et sous-développé, socialiste et ouvert au monde capitaliste.»
La société civile est le lieu de la contradiction, elle encourrait en effet le risque mortel du chaos et de la désintégration si elle reste dans ses contradictions a souligné Hegel. C’est au sein de tout un monde où cohabitent des éléments contradictoires, que l’Algérie s’est révélée. Au contact de plusieurs camps, au point de rencontre de beaucoup de confits. L’Algérie ne se partage-t-elle pas entre une aspiration à une modernité libératrice et un fondamentalisme ancré dans l’esprit des ses adeptes ? Et enfin ce bicéphalisme de conception n’a-t-il pas influencé le mode de la construction étatique et a alimenté les contradictions entre le duo Etat/société civile ?
L’Etat émerge en Algérie à partir des structures économiques et sociales, culturelles et politiques et même religieuses. Sa rupture avec le colonialisme l’a amené à suivre le sens de la liberté auquel il aspire jusqu’à nos jours. L’Etat en Algérie est le produit de la contradiction des convictions sociales qui nécessite une issue convenable pour escamoter les équivoques, garantir le dialogue et tenter d’accomplir l’objectif du développement national. C’est à l’Etat de lutter et refléter ses forces et ses faiblesses qui se manifestent dans la fragilité ou la solidité de son édifice institutionnel. L’Etat, qui devrait se construire selon les principes démocratiques, ne s’est pas encore mis en marche. Il doit vivre un état de fusion définitive de ses propres éléments fondateurs. C’est notoirement la contradiction des aspirations politiques de l’Algérie colonisée qui ont resurgit à nouveau dans un cadre souverain. Après l’indépendance, l’Etat s’est affirmé subséquemment dans une période où la société était dispersée, déstructurée et affaiblie par la domination et l’exploitation coloniale. En outre, on a continué le contrôle et la domination sur la population par un alibi justifiant l’entreprise de la modernisation. D’ailleurs, la même parade du colonialisme. Or, cette fameuse modernité n’est pas l’aboutissement d’un travail élaboré par la société elle-même. Elle est d’une provenance extérieure, elle doit se dicter par le haut et, surtout passer par le pouvoir qui, présume assumer le rôle de sa transmission. Par conséquent et, selon la même logique, cette modernité proposée à la société, doit se recycler d’une manière à permettre au pouvoir de faire d’elle une raison davantage pour se maintenir. La manifestation d’une conscience politique dite d’élite, de vrai rôle médian, entre le pouvoir et la société civile, n’était pas possible puisque le régime actuel en accaparant l’Etat l’a coupée de ses racines. Par conséquent, il a empêché son autonomie et dans le même temps l’a privé d’évoluer et de produire une classe politique capable d’assurer la relève. D’ailleurs, l’Etat en Algérie a raté sa mission originelle, le bilan nous le voyons, nous le constatons, n’est pas à la mesure des objectifs tracés, des moyens mis en œuvres, des attentes, ni même des souffrances et des efforts déployés à cet égard. Nous avons assisté d’autre part, au développement spontané de l’Etat par lui-même, le développement de ses structures, ses prérogatives…etc. Or, c’est un développement qui se différencie vraisemblablement des particularismes caractérisant les principes fondateurs de l’Etat moderne. Car même si l’Etat algérien emprunte certaines de ses structures, de ses modes d’organisation, il préserve encore des pratiques archaïques et moyenâgeuses. Nous avons bien vu surgir la fragilité des institutions de l’Etat construit à l’aube de l’indépendance, solidifié autour d’une arrière pensée paternaliste et clientéliste. Cette fragilité ayant comme source l’absence d’un compromis, avait abouti à une dégénérescence politique et sociale jusqu’à au conflit armé. Manifestement, au niveau institutionnel, le principe de séparation des pouvoirs (législatif, juridique et exécutif) a toujours été encensé, mais dans la pratique, le pouvoir réel, déterminant et décisif, s’est toujours exercé en dehors des structures et des institutions officielles, apparentes et affichées. Les décisions fondamentales se caractérisaient par la discrétion et le black-out, faisant acte d’un phénomène d’autocratie qui se pratique à l’ombre. Il se loge plutôt dans les cercles incertains, des cénacles, des groupes informels mouvants dont les membres se recrutent au sein des appareils ombragés par les services de sécurité, de la haute hiérarchie et de certaines administrations ou organisations étatiques de ce genre. Au niveau économique, nous avons assisté également à une forme d’étatisation bicéphale de l’économie. Elle s’est cristallisé dans la politique de l’industrie lourde des années 70, dont nous avons relevé son incapacité à concevoir une économie mise à l’abri des conjonctures extérieures. Elle avait plutôt servi au dépouillement de l’économie dont le financement des projets étant plus profitable aux pays créateurs de technologie qu’aux pays récepteurs. Le deuxième point réside dans la nationalisation de l’économie, la récupération de la richesse évidemment, la garantie de l’intérêt pétrolier destiné au financement de l’agriculture et le travail de la terre, planifié à la Soviétique, partagé à la musulmane, créant un faux contexte d’un socialisme spécifique éphémère. Or, de l’éphémère il faut passer au concret, y -a t-il aujourd’hui une nouvelle alternative à l’absence d’une vision économique où l’Etat se construit pour faire l’impôt sur la fortune et l’impôt sur la liberté pour permettre à chacun d’abdiquer une part de sa liberté pour conserver la liberté des autres ?
L’Etat en Algérie était presque entièrement absorbé par le pouvoir en place détenteur des décisions politiques. Ce dernier n’a pas seulement raté sa mission d’édifier des institutions autonomes, mais il s’est retrouvé après plus de trois décennies en total décalage avec la société, en outre son entrisme volontariste et sa façon de confondre ses prérogatives et ses pouvoirs l’ont amenés à commettre des dépassements en matière de liberté fondamentales et de droit l’homme. Il a sombré naturellement dans une crise qui tente selon les mêmes méthodes de la congédier opportunément. Il aspire actuellement à l’assurance d’une amnistie complète de tous les dépassements et tous les détournements commis depuis plus de quatre décennies; il tente dans le même temps d’éviter tout genre de poursuite en Algérie ou à l’étranger. Il travaille à huis clos et en marge des institutions pour mettre en place une infrastructure économique qui lui permet de détourner les sources économiques à son profit ainsi que les richesses qui en découlent, y compris les commissions occultes sur les flux du commerce extérieur en propriété des grandes entreprises privées. Enfin, il tente, dans la limite du possible, d’ajuster une classe politique civile à dominance islamo-conservatrice pour tenir le front social et, préconiser à l’ombre, les mêmes mécanismes.
Hammou Boudaoud
4 octobre 2010