1960 – 1962, 2019-2022 quatre dates significatives dans l’histoire de L’Algérie et principalement celle du Peuple algérien.
1960-1962. Le soulèvement populaire de 1960 marque et sacre définitivement la naissance du Peuple Algérien. Ces manifestations ont commencé le 9 décembre à Aïn-Temouchent dans l’Oranie, le jour même où le Général De Gaulle s’y trouvait ; Il avait programmé une visite en Algérie du 9 au 13 décembre afin d’amarrer l’Algérie à sa vision postcoloniale. Le surgissement de la population algérienne dont l’apogée fut le 11 décembre à Alger avec ses revendications « Non à l’Algérie française », « l’Algérie indépendante » scandés par une population en colère, au premier rang les femmes et les enfants changea fondamentalement le réel. Ces corps invisibles des bidonvilles, ces corps en souffrance, méprisés et maintenus dans une condition de sous-humanité par l’administration coloniale, a cru après la bataille d’Alger et l’opération Charles avoir anéanti les forces de l’intérieur FLN/ALN. Démantèlement certes, mais NON l’étouffement de la résistance populaire. Le pouvoir impérial a cru avec sa force militaire, ses opérations de police, son administration, sa population française maintenir l’ordre public pour asseoir à jamais l’ordre colonial. Trois ans après la bataille d’Alger, l’ordre impérial se pensait le maître des villes. Mais le feu de la résistance, le feu de la colère ne s’éteint jamais dans le cœur d’une population humiliée qui veut vivre librement et veut son indépendance. Cette population a brisé les chaînes de la peur : elle s’est soulevée. Ces corps, à mains nus, s’exposaient aux balles et défiaient le regard des colons. Ces corps libérés criaient dans la rue, dansaient, gesticulaient, envahissaient les espaces européens qui leurs étaient interdits la veille. Ces corps se muaient en corps commun, désormais la population devient Peuple. Le Peuple algérien.
1960 pour l’ordre colonial est un DIEN BIEN FU psychologique. De l’aveu d’un militaire français à un journaliste du Monde à Belcourt, le surgissement du peuple est un ébranlement de ses certitudes. Il croyait que l’opposition politico-militaire était laminée, que la population algérienne est sous contrôle, dominée, asservie et annexée à l’ordre colonial ; ce soulèvement est un choc psychologique : nulle force ne peux assujettir un peuple qui veut son indépendance. La victoire militaire s’est effacée devant la victoire politique.
L’ensemble des observateurs (journalistes et historiens) voit dans le soulèvement de décembre un DIEN BIEN FU POLITIQUE. Pour le chercheur Jean-Paul Rigouste un DIEN BIEN FU SANS ARMES. Une victoire pacifique du Peuple algérien. Le Non à l’Algérie française marque définitivement la frontière entre la population algérienne et française. En scandant ce slogan, les populations algériennes signent l’existence de deux peuples en Algérie. Impossible et impensable que deux peuples puissent vivre dans un même pays surtout quand un peuple minoritaire et dominateur, étranger à l’histoire de ce pays, opprime, humilie, terrorise l’autre Peuple et le place dans la catégorie des sous-hommes.
Le soulèvement de décembre fait voler en éclat le mythe véhiculé par De Gaulle au Forum d’Alger le 4 juin 1958 : « […] dans toute l’Algérie, il n’y a qu’une seule catégorie d’habitants : il n’y a que des français à part entière, avec les mêmes droits et les mêmes devoirs ». Certes, en Algérie après 1960, il n’y a qu’une seule catégorie d’habitants : des Algériens. Mais l’histoire de l’indépendance depuis 62 atteste que les Algériens n’ayant ni les mêmes droits ni les mêmes devoirs ne le sont pas entièrement.
Une autre nuit coloniale s’abat sur ce peuple assoiffé de liberté et de justice.
La Casbah, la Guillotinée, le berceau du nationalisme algérien scandait en 1960 « Tahya Al-Jazaïr » « Tahya El-Istiqlal » s’est vue de nouveau battre le goudron et scander à pleins poumons dans les rues d’Alger, ce 4 juillet 2019, « Chaab –le Peuple- veut l’indépendance ». Le présent mime le passé. Rien n’a changé pour le peuple. La mentalité et la culture coloniale sont toujours à l’œuvre :la Hogra du Peuple (une synthèse du mépris, de l’injustice, de l’humiliation et de l’oppression). Avec ce concept de la Hogra, la franche populaire du Peuple revendique le statut de victime face à un pouvoir oppresseur et prédateur. Le visage de la victime est resté le même (le fils du peuple). Seul le visage du colon a changé. Mais le pire, il n’a gardé de celui-ci que l’arrogance et le mépris de l’Algérien. Al jazaïr Al Quadima (l’Algérie ancienne) a été bâtie par les colons. La férocité de la bataille d’Alger n’a pas détruit sa beauté et son histoire. Pour l’effacer de la mémoire des Algériens, Les serviteurs des anciens colons la laisse mourir et avec elle ses habitants en transformant celle-ci en ruines. Les anciens colons n’ont pas aimé l’Algérien et c’est la logique d’une mentalité colonisatrice d’être éradicatrice et exterminatrice mais ils ont aimé l’Algérie d’un grand Amour et voulaient y rester pour l’éternité. La preuve, ils l’ont construite. Les nouveaux colons, hélas, n’aiment ni l’Algérien ni l’Algérie. Ils sèment dans celle-ci plus que la Mal-vie, la Non-Vie. El-Hargua, avec tout son lot de malheurs, mourir en mer, finir en prison en Europe, n’ayant qu’une chance minime de s’en sortir est devenue le rêve de notre jeunesse. AL-HOGRA et AL-HARGUA sont les faces d’une même monnaie. Leur existence atteste et signe la faillite totale sur le plan économique et moral d’un pouvoir dont la véritable préoccupation n’a pas été la construction de l’Etat national mais de prendre la place du Colon. De jouir de la vie. Les valeurs du Moujahed (abnégation, partage, générosité et sacrifice) ont laissé place à une nouvelle culture, celle du militaire, qui, en s’implantant depuis 1962 a défiguré l’Algérie et l’Algérien.
29 août 1962. Le cri de « Sebaa s’nine, barakat » (Sept ans, il y en a assez) scandé en pleine nuit par la population algéroise était rageur et décisif ; il s’est imposé comme une ligne de démarcation entre deux groupes rivaux dont la course au pouvoir a fait parler les armes. Un cri humainement compréhensible de surcroît fait preuve de sagesse car elle voulait éviter une guerre fratricide et sanglante. Malheureusement, cet été 62, été de la Discorde, largement méconnu par les Algériens comme le fût aussi la Guerre d’indépendance 1954-1962 a été meurtrier. L’Armée des Frontières a marché sur Alger en tant qu’Armée de conquête et de pouvoir. « […] Les troupes de Boumediene se comportent comme une force d’occupation (Déclaration d’Ait Ahmed en 1963). Politiquement, cette parole « Sebaa s’nine barakat » si humaine et si sage à la fois, lancée comme une graine dans le sol a été saisie par le Militaire et l’a utilisée à son avantage et a fini par faire de l’Algérie et de l’Algérien ses biens exclusifs. Cet été 62 signe le non évènement de la Démocratie, de la Liberté : L’indépendance ajournée. La force a évacué le politique (la pensée, le débat) de la scène politique.
Du Soulèvement libérateur de décembre 1960 au cri de Sebaa s’nine barakat en 1962, la célébration de l’indépendance ne fut qu’une joie éphémère pour s’ouvrir sur une nouvelle ère : de quoi l’indépendance est- elle le nom ? Un nouveau colonialisme.
De Tahya Al-Jazaïr en 1962 à Algiré piyé fotu en 2002 .
Plus qu’un cri, ce graffiti écrit la nuit, par une main du Peuple, exprimant les sentiments de celui-ci est un message public et solennel. Plus qu’un cri d’alarme, ce graffiti nous convoque car « Ce piyé fotu » saigne et continue à saigner. Et en saignant il décline vers le bas, vers l’affaissement, vers sa propre disparition…. A l’image de l’autre graffiti écrit à Paris « Ici on noie les Algériens » pour témoigner contre le crime d’Etat du massacre des Algériens le 17 octobre 1961 ; au risque de sa vie, l’auteur de ce graffiti nous jette son cri et son désespoir sur un mur. Le mur. Le seul lieu en Algérie en 2002 où peut se loger la vérité, où peut s’exprimer le Peuple. Tous les autres lieux (Assemblée, Médias, Partis) ne sont qu’une annexe de la caserne : mensonge et manipulation.
Pour l’Algérien du peuple, hier c’est encore aujourd’hui. Deux Algérie se faisaient face durant la période coloniale (l’Algérie des colons- l’Algérie des Indigènes), dans ce colonialisme intérieur nous avons toujours deux Algérie (l’Algérie des Généraux et l’Algérie du peuple). En 1960 et 1961, les services de sécurité faisaient la chasse à l’Arabe à Alger et à Paris, ils font aujourd’hui la chasse au Militant algérien en Algérie et à l’Etranger. L’Algérie des Généraux avec son élite des privilèges et ses forces répressives ne représentent qu’une minorité comme le fut le cas pour l’Algérie des colons.
Le seul véritable programme politique que cette Algérie des Généraux applique est le crime politique (la date fondatrice est le 27 décembre avec l’assassinat de Abbane Ramdane), l’emprisonnement, la torture, l’oppression, l’intimidation, la corruption pour maintenir le statuquo, sauvegarder à tout prix le nouvel ordre colonial et faire oublier qu’elle s’est imposée par la force et n’a aucune légitimité. Ni une légitimité historique (elle n’est en rien l’héritière de l’Armée de Libération). Le fusil de Boukharouba n’a été dirigé que contre les Moudjahidines. Cette Armée actuelle n’est que le prolongement de l’Armée des Frontières. Dans son esprit et sa philosophie pour asseoir son diktat, elle devait porter les habits de l’Armée de libération pour la remplacer et l’enterrer pour toujours. C’est un grand mensonge. Notre libération n’aura lieu que si on déconstruit ce mythe.
Par le passé, nous avions la ville européenne et la ville arabe (Bidonvilles), aujourd’hui nous avons L’Algérie du club des Pins et l’Algérie réelle. Une frontière ontologique, politique, économique sépare les deux Algérie. Nous avions la culture coloniale, aujourd’hui la culture militaire ; ce qui les unit : le mépris total du peuple et de la vie humaine.
L’Algérie des Généraux est l’héritière de l’Algérie coloniale. L’Algérie du peuple est l’héritière de l’esprit de Résistance. Cette résistance plonge ses racines loin dans notre histoire. Mais cet esprit est là, vivant et éternel. Il a jailli en 1960, il a rejailli en 2019.
2019-2022 : nous sommes en train de revivre , Le souffle de la résistance déterminée et pacifique de Tahya Al-Jazaîr de 1960 et 1962 a rejailli de nouveau en 2019. L’Algérianité et l’amour du pays nous ont saisi et ont radicalement transformé nos vies. Vivre c’est porter une histoire. Nous sommes les héritiers de ce peuple le plus meurtri dans l’histoire et qui n’a jamais abdiqué. Il attend une véritable ELITE POPULAIRE à la hauteur de ses sacrifices et de ses attentes.
La victoire du « Non aux Elections avec Al-Isabates (les Gangs) » du 12 /12/2019 marque l’avènement sur la scène politique de l’Algérie du Peuple. Une fois encore, l’Algérie des Généraux a Imposé sa volonté destructrice par la force. Cette volonté s’est toujours imposée contre celle de l’Algérie du Peuple. Et pour garder ses privilèges, elle est prête à lui faire la guerre. La seule guerre que l’Algérie des Généraux sait faire : la guerre au peuple.
En 2011, dans le sillage des Révolutions arabes, un reportage sur Euronews titrait : L’Algérie est-elle prête à entamer sa propre révolution ?
La question ne se pose plus. Elle s’impose à nous comme une évidence. Comme une injonction et une libération. Le « Nous » c’est l’Algérie du Peuple. Le seul choix qui nous reste pour que l’Algérie du peuple soit souveraine est le choix révolutionnaire. Le souffle de Tahya el Jazaïr a rejailli en 2019, il nous traverse et nous soulève. C’est un souffle dynamique, vibrant, unitaire, massif et radical. Nous étions des corps individuels, sans vraies attaches ni horizon ; nous voilà redevenus comme en 1960 un corps commun ayant un seul horizon. L’heure n’est plus au constat. L’heure n’est plus à la contestation aussi. L’heure est à l’action révolutionnaire. Tel que le Hirak révolutionnaire l’a définie : Le pacifisme comme arme révolutionnaire. Comme en 1960 : détermination et pacifisme.
Génération 2019. Une seule mission nous incombe. L’accomplir ou la trahir. Libérer l’Algérie de ce pouvoir mafieux. L’Algérie des Généraux ne représente pas seulement une menace sur la vie du peuple algérien mais une menace réelle sur l’unité territoriale de l’Algérie. L’existence de l’Algérie est en question.
12/12/2022 : Un seul mot d’ordre. Un mot d’ordre révolutionnaire. 60 s’na barakat.
Mais que voulez-vous ?
L’indépendance. La vraie. Non à l’Algérie des Généraux. Oui à l’Algérie du Peuple.
NOUS SERONS CE QUE NOUS VOULONS DEVENIR
Mahmoud SENADJI (Algérie du Peuple)