Le mois de janvier dans notre histoire algérienne contemporaine est synonyme de deux moments clés qui nous livrent le vrai visage de la réalité politique de l’Algérie.
Le 11 janvier 1992, un crime politique a été commis. Ce ne fut pas un coup d’Etat car celui-ci suppose qu’il y ait un pouvoir légitime. Cela n’a jamais été le cas en Algérie et cette situation remonte à 1830. Dans le coup d’Etat, existe la notion d’Etat alors que dans le cas de l’Algérie celui-ci a une existence formelle. Seul le pouvoir de l’Armée et des services de renseignements sont réels et s’exercent en dehors des institutions. Ce pouvoir trouve sa source et son fondement dans l’Armée des Frontières, laquelle en 62, a marché sur Alger en semant la mort 1 .C’est une armée de conquête et de pouvoir.
Dans cet été 62, ont été jetées les bases de la Nouvelle colonisation. Cette vérité deviendra manifeste et explicite le 5 juillet 2019 lorsque les manifestants à Alger ont scandé : “le peuple veut l’indépendance “.
Depuis cette date, les bouleversements que vit la société sont la traduction des conflits et crises dans cette institution et la résistance à cette force d’occupation s’est manifestée depuis 62 et se poursuit jusqu’à ce jour. Le 13 janvier1995, un espoir politique est né. Ce fut un moment historique car il reste unique dans l’histoire politique de l’Algérie contemporaine. C’est la première fois que l’opposition représentée par l’ensemble des forces vives parle d’une même voix et s’engage dans un contrat politique à redonner vie à la déclaration du 1er novembre 54:
“ Restaurer un État algérien souverain démocratique et social dans les principes de l’islam”. Restaurer était le mot approprié en 54. Car en face se trouve un État. Colonial certes mais un État. Dans l’Algérie de l’indépendance inachevée, celui-ci n’a pas encore vu le jour. Et à la place d’un État, hélas, nous n’avons que des clans qui font et défont la société en fonction de leurs intérêts. Et chaque crise affaiblie davantage la société.
Le contrat de Rome a réuni l’ensemble des acteurs sur la scène politique c’est-à-dire l’Algérie du peuple ; le seul absent fut l’Algérie des Généraux, qui par la voix d’un de ses serviteurs, Ahmed Attaf, dans un position altière et dédaigneuse, a rejeté l’offre politique en la qualifiant de “Non-vénement”.
L’espoir, encore une fois, étouffé dès sa naissance plongera l’Algérie dans l’horreur la plus indescriptible car le terrorisme d’Etat qui sévissait doublera de fureur et pour punir la société passera aux massacres collectifs en 1997 ; et la Communauté de Sant’Egidio, pour avoir organisé cette rencontre à Rome payera aussi le prix suite à l’assassinat des Moines de Tibhirine en 1996. Le contrat de Rome fut et reste le contrat de l’espoir. Il est la preuve vivante que les Algériens avec leurs différences politiques et idéologiques se sont réunis autour d’une même table, pour dialoguer, s’écouter, débattre et rédiger une plate-forme consensuelle pour sortir l’Algérie de l’impasse politique dans laquelle elle se trouve depuis 1962.
Le contrat de Rome nous enseigne que l’Algérie du Peuple a dans son sein des individualités capables de jeter les bases de la construction du projet national. Celui-ci reste la question fondamentale posée depuis 1962. 1
Le contrat de Rome nous interpelle et nous oblige. Son esprit vit encore en nous. La situation n’a fait qu’empirer pour nous dévoiler le visage mafieux de ce pouvoir. Le désespoir gagne la société. Sur le plan social et économique l’Algérie est sur un volcan; il est vital de réagir et de s’organiser pour donner vie à une nouvelle plate-forme pour asseoir effectivement la Souveraineté du Peuple.
Le 11 janvier 1992, l’Algérie des Généraux, l’Algérie des Eradicateurs a enterré l’espoir qu’avait fait naître l’esprit d’octobre. Au lieu des lendemains qui chantent, ils nous ont fait vivre des lendemains de sang, des lendemains des Camps, des disparitions et de la terreur. En juillet 2002 à Paris, lors du procès en diffamation contre Habib Souadia pour son livre La Sale Guerre, Ait Ahmed s’adressant à Khaled Nezzar : « Entre toi et moi, il y a une rivière de sang ».
Les deux Algérie sont toujours présentes. Celle du 11janvier 1992 sanguinaire et prédatrice et celle du 13 janvier1995 résistante et grosse d’espoir. « S’il est une constante dans la vie politique algérienne, c’est que le pire n’est jamais à exclure 2 ».
Pour l’éviter, la solution radicale s’impose d’elle-même : changement du système politique. A défaut, le pire que le pouvoir des gangs nous prépare : le démembrement de l’Algérie. Des lendemains de sang des années 90 à des lendemains où nous parlerons de l’Algérie au passé : ce fut un pays qui s’appelait l’Algérie.
Mahmoud SENADJI
Strasbourg, le 13 janvier 2022
1 D’où la citation populaire «Saba Snin Barakat- 7 ans ça suffit ».
2 José Garçon : Algérie, l’impossible restauration, Persée 1999 pp343-356. Cette citation dite par une grande spécialiste de l’Algérie est parlante et nous oblige à s’interroger : que nous prépare de pire ce système antinational ?