Un an avant l’ouverture officielle des archives de cette sanglante et terrifiante journée du 17 octobre 1961 aux historiens, cette journée « disparue » de l’histoire, continue à hanter notre conscience nationale et humaine. D’année en année, le bruit de cette nuit ensanglantée grandit jusqu’à devenir, un jour, assourdissant. Par son horreur et sa terreur, cette journée reste une grande tâche noire sur le visage de notre douce France.
Face à la volonté d’effacement très bien orchestrée par un mensonge d’état pendant plus de trois décennies, s’est dressée une volonté citoyenne pour laquelle la vérité de l’histoire vaut tous les sacrifices. L’exemple de Jean-Luc Einaudi est édifiant. Par son combat pour faire éclater la vérité, il fut le premier à lever le voile sur cette nuit de terreur qu’on voulait à jamais effacer. Son livre La Bataille de Paris 17 octobre 1961 est le phare qui nous éclaire sur les conséquences de l’aveuglement de la France coloniale. Et cela en plein cœur de Paris. Une autre figure de ce combat, Georges Mattei, témoin ce jour-là de ces massacres et principalement de la complicité du peuple de Paris qui s’est transformé selon ses propos en indicateur et auxiliaire de la police. Il fut un anticolonialiste convaincu. Ils furent, comme d’autres honnêtes gens, Les Combattants de la liberté. C’est eux qui représentent le visage lumineux de la France ; l’autre visage, sombre et mensonger était représenté par le Préfet Maurice Papon et son ministre de l’intérieur Roger FREY.
Contre qui et pour qui ces âmes généreuses luttaient-elles ? Bravant la machine oppressive, mensongère et discriminatoire de l’Etat ainsi que celui de l’isolement social, ils ont pu construire une véritable solidarité humaine. En dénonçant cette chasse à l’homme, à l’homme racialisé, aux français musulmans d’Algérie ce 17 octobre 1961 ; à ces Nord-Africains, constructeurs des automobiles dans les usines de Renault et Peugeot, bâtisseurs des maisons qu’habiteront les Français, ces hommes de la pelle et de la pioche que les Parisiens rencontrent dans les rues de Paris, le jour. Et la nuit, vivant aux frontières de la ville de Paris, dans une autre planète, dans des bidonvilles maudits, dans une ghettoïsation pour les fixer dans une sous-humanité, se sont soulevés pacifiquement comme fut le cas, ce 14 juillet 1953 à Paris pour démontrer et prouver à la face du monde que malgré leurs conditions de colonisé, d’indigène, de sous prolétaires, ils sont dignes de respect.
Pour paraphraser Jules ROY en décrivant cette réalité de deux peuples en plein Paris, les Français et les Français musulmans d’Algérie, si le Christ était de retour, c’est en Algérie qu’il choisirait de naître. Car La condition natale du christianisme est la pauvreté, la générosité et l’amour.
La France coloniale a trahi sa culture christique et son histoire révolutionnaire car elle admis en plein cœur de Paris que des gens travailleurs étaient réduits à vivre comme des bêtes constamment traqués et terrorisés par une police qui les considèrent comme un problème : le problème nord africain. Le champ lexical utilisé pour les décrire est celui de l’animalité et de la sauvagerie. Au lendemain du massacre, on retrouvait sur les manchettes de certains journaux les mêmes fabulations de foule haineuse, fanatisée alors que le caractère pacifique de cette manifestation était manifeste.
Cette volonté affichée par le politique d’effacer ce crime d’Etat est encore visible aujourd’hui .Car même si on a reconnu que des manifestants furent sauvagement réprimés, on ne nomme pas le coupable et on se trompe sur l’identité des victimes. Ce ne sont pas des Algériens qui furent tués ce jour là mais des Français musulmans.
Comment expliquer que cette tragédie d’une gravité exceptionnelle qualifiée par des historiens Anglais Jim House et Neil Mac Artur comme la répression d’Etat la plus violente qu’ait jamais provoquée une manifestation de rue en Europe occidentale dans l’histoire contemporaine ait pu se produire dans la capitale de la Déclaration des Droits de l’Homme ?
Ce crime qu’on n’a voulu occulter s’inscrit dans la continuité d’un autre crime qu’on a réussi à étouffer car il ne fit plus partie de la mémoire collective : le massacre colonial du 14 juillet 1953.
Le bourreau ainsi que la victime sont les mêmes. L’Ampleur de la tragédie s’est amplifiée.
Les silences et les oublis face à l’histoire sont criminels car ils finiront par resurgir dans une forme qui défigure le présent. L’occultation du 14 juillet était grosse du 17 octobre et du Métro Charonne. Cette volonté d’occultation a défiguré l’histoire de Paris. Elle fut, en cette fin de la guerre d’Algérie qui représente le symbole de l’horreur colonial, la capitale des Massacres.
Commémorer l’anniversaire de cette tragédie se limite t-il à jeter des fleurs dans la seine ? Le 17 octobre nous parle t-il vraiment ?
Le Problème Nord Africain a laissé place au Problème musulman. Les bidonvilles d’hier ont laissé place aux quartiers difficiles : la culture de la ghettoïsation, de la discrimination et de la population racialisée est toujours en vigueur.
Le Séparatisme a toujours été un fait étatique. L’Algérie des Colons et l’Algérie des Indigènes. La ville coloniale et le taudis arabe. Paris et ses bidonvilles. Les Français parisiens et les Français musulmans d’Algérie. Un couvre feu qui frappe uniquement les français musulmans sur le critère de la peau ce 6 octobre 1961. L’idée de mettre fin aux ELCO, les Enseignements Langues et Cultures d’Origine et en soi une preuve du Séparatisme car c’est l’Ecole républicaine qui les avaient institués et assignés les enfants de la République à leur origines ! Pour les ELCO, véritable tare de l’Ecole de la République, ils dénotent le mépris affiché par les pouvoirs successifs pour la langue arabe car elle reste le parent pauvre de l’enseignement républicain et de permettre aux pays maghrébins d’avoir un droit de regard sur leurs »sujets ».
Il n’ y a pas un malaise dans l’Islam mais un malaise dans la République. Car celle-ci a humilié nos parents et leur a manqué de respect. Faire la clarté sur les pages sombres de son passé, assumer et reconnaître le mal qui a été fait à Autrui au nom de la France, réconcilie les mémoires et fortifie le devenir ensemble de la France plurielle. A défaut de cela, aujourd’hui des fissures, demain des abîmes.
Il n’ ya pas de malaise dans l’Islam mais un malaise dans les sociétés arabo-berbères ou musulmanes. Et ce malaise n’est pas religieux mais politique. Et premier qui en a parlé et l’a bien décrit est Burhan Ghaliun dans son livre le Malaise arabe, l’Etat contre la Nation.
Qui soutient, encourage et arme les despotes arabes contre leurs peuples ? Qui est l’allié fidèle de l’Arabie Saoudite ? Qui est solidaire maintenant avec le pouvoir algérien qualifié par l’Algérie du Peuple de pouvoir assassin ? La spoliation des richesses de l’Algérie par la junte militaire s’est fait avec la complicité des entreprises européennes et américaines et des chancelleries occidentales. Que reproduit le pouvoir algérien dans sa relation avec la population ? Les mêmes pratiques répressives du dominat d’hier et se comporte face au peuple comme une véritable force d’occupation.
Le malaise de tout temps dans le rapport à l’Autre est d’ordre politique. Lorsque nous reconnaissons dans l’Autre notre propre humanité, les consciences s’ouvrent l’une à l’autre et construisent une véritable solidarité humaine. Pour l’histoire, par essence les Religions libèrent. Ce sont les cultures religieuses qui oppriment. Et la domination – l’exploitation et l’avilissement de l’autre- est au cœur de ces cultures.
Mahmoud SENADJI